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Le : 18/11/2025 09:04
Merci pour ce message des femmes de la bas...
Comment nos grands mères réagiraient si elles resurgissaient aujourd'hui ?
Déjà que ces nouvelles technologies c'est pas toujours simple pour nous...
Comment nos grands mères réagiraient si elles resurgissaient aujourd'hui ?
Déjà que ces nouvelles technologies c'est pas toujours simple pour nous...
Le : 17/11/2025 16:01
NOUVELLES DE LA BAS TOME 5 DE HUBERT ZAKINE.
La femme
La femme de mon pays représentait l’archétype de la méditerranéenne. Tout feu tout flamme, elle gérait sa vie à travers sa famille, son mari, ses enfants, ses parents, ses frères, ses s½urs, ses oncles, ses tantes, ses neveux et ses nièces. Ajoutez-y quelques voisines, amies d’enfance ou commerçantes du quartier et vous en aurez fait le tour.
Trésor de bonté, elle était capable d’emportements légendaires si ses enfants étaient visés par la médisance, la méchanceté ou un procès d’intention. Elle puisait dans ses souvenirs d’enfance les leçons du passé. Déjà toute petite, alors que ses frères s’escrimaient dans le couloir à imiter les vedettes locales du ballon rond, elle aidait sa maman à éplucher un légume, à faire les lits, à préparer un repas pour le seul plaisir de jouer à la mère de famille. Elle ne savait pas encore que ce jeu de rôles l’accompagnerait tout au long de sa future vie de femme mariée et de mère de famille. Etudiante, vendeuse, secrétaire, dactylo ou couturière, la jeune fille n’échappait pas à la règle commune qui voulait la voir emprunter le chemin de ses aînées. Aussi, s’obligeait–elle à mener de front la quête du savoir culturel et du savoir traditionnel qui prenait sa source au sein même de la maison familiale. Tout au moins jusqu’à son mariage.
Autrefois, s’inspirant des us et coutumes en vigueur dans les pays méditerranéens, les parents considéraient que la réussite des études s ‘appliquait prioritairement aux garçons, futurs chefs de famille et à ce titre, détenteur d’un métier susceptible de « faire bouillir la marmite ».
Aussi, la jeune fille délaissait le savoir des écoles pour celui de la femme d’intérieur. Comme sa mère et sa grand mère avant elle. Comme la majeure partie des femmes de ces pays orientaux qui semble faire la part belle à l’homme mais qui mesure à sa juste valeur l’importance de la place et du rôle déterminant de l’épouse et plus tard de la mère de famille au sein du foyer.
Femme d’intérieur, la femme de Bab El Oued l’était assurément. Elle bichonnait son appartement avec une assiduité quasi maladive. Allergique à la poussière, elle « aérait » les chambres à grands coups de courant d’air, battait les tapis et les matelas au balcon, lavait le carrelage à grande eau qu ‘elle essuyait armée du célébrissime « chiffon à laver le parterre », nettoyait les vitres et les miroirs avec du papier journal « que mon ami, les produits de maintenant c’est de la zoubia ! », retapait les lits en un tour de main après les avoir « laissé respirer »,
Son emploi du temps reposait sur des horaires précises, du lever au coucher sans se soucier du nombre de minutes passées au service de sa maisonnée.
Entre le ménage, les « commissions » au marché, le bavardage sur le chemin du retour ou sur le balcon avec une voisine en panne de menu, la préparation des repas du midi et du soir, le repassage, la sieste, la descente au jardin, la visite à un parent, la journée était bien remplie. Sans compter la grande lessive une fois par semaine sur la terrasse de l’immeuble où elle résidait. Cette lessive, dé ! Un véritable bonheur pour les enfants !
La terrasse des immeubles de Bab El Oued offrait la possibilité d’admirer le superbe panorama d’Alger. Mais la fonction première de ces terrasses du bout du monde se déclinait au féminin. En effet, une journée par mois ou par semaine selon le nombre de résidants, la terrasse, sa superficie et sa buanderie, était réservée à une famille qui s’empressait de « se taper la lessive » mon ami, souâ-souâ !
La maîtresse de maison rameutait une ou plusieurs s½urs pour lui donner la main afin de laver, astiquer, brosser, blanchir tous les vêtements de sa maisonnée. Qui n’a pas vu une femme de chez nous frotter son linge avec une brosse à chien dent ne sait pas ce que veut dire le mot « laver ». La voir s’escrimer si longtemps sur un vêtement que les enfants mettent si peu de temps à salir relèverait de la psychanalyse si le qu’en dira t-on n’était pas considéré en ce pays comme une valeur universelle et si les mauvaises langues ne se déliaient aussi aisément.
Comme disait Madame Noguès : « Il n’y a pas de mauvaises langues, il n’y a que des langues bien pendues ! »
Les enfants de la famille profitaient de l’espace offert par la terrasse pour s’amuser bien sur mais aussi pour s’inventer des histoires de corsaires, flibustiers et autres boucaniers, le nez au vent et la mer pour décor. Les filles dessinaient le jeu de la marelle, jetaient la boite de « chique « en fer blanc pour, à cloche pieds, la guider vers le ciel ou le paradis. Possibilité rarement offerte car les « chitanes » ne se gênaient pas pour « shooter » dans la boite en fer, feignant la maladresse devant les cris indignées des « demoiselles ».
L’odeur de la javel, de cristaux de soude, de savon arabe et autre lavette appartenant à l’histoire de la femme « pied noir » et à la vénération qu’elle voue à la propreté embaumait le quartier jusque tard dans la nuit.
Ces odeurs, je les garde en moi comme des sensations d’une autre époque, d’un autre lieu, d’un autre continent, d’un paradis à jamais perdu.
Douée pour la cuisine, la femme de Bab El Oued l’était assurément.
Imprégnée de toutes les influences méditerranéennes, sa cuisine chantait le soleil, la joie de vivre et les épices orientales. Elle accommodait ses plats avec le savoir faire ancestral de la famille et du voisinage.
S’il manquait un ingrédient, plutôt que de réaliser une cuisine fade, sans saveur et sans goût, elle n’hésitait pas à quémander à une voisine une dose de « kemoun », une pincée de « flio » ou quelques branches d’origan.
Ainsi parfumé, son plat sentait les jardins d’Italie, d’Espagne et d’Arabie et régalait les palais les plus difficiles, orientalisait le plat le plus banal.
La femme de chez moi aimait la bonne chère. Aussi, ne mesurait-elle jamais son temps ni son travail pour confectionner une cuisine mijotée. Aux petits soins avec ses marmites, elle goûtait sa loubia, sa sépia au noir ou son riz à l’espagnol une bonne vingtaine de fois pendant la cuisson, dosant au gramme près les ingrédients nécessaires au ravissement du palais.
Elle ne respectait que le savoir transmis par les femmes de sa famille qui ne parlait pas de grammes ou de centilitres mais de pincées ou de versées. Elles possédaient le chic, la main pour doser convenablement les ingrédients.
La crainte de cuisiner « mesquin » rivée au corps, la femme de chez moi cuisinait « les yeux plus gros que le ventre ». La devise de la cuisinière pied noir se déclinait par un « il vaut mieux faire envie que pitié ! ».
Elle n’oubliait jamais de préciser : « c’est pas perdu ! »
Si un invité ne demandait pas une deuxième part, le doute s’insinuait en elle : « elle est pas bonne ma loubia ? ». Si la réponse la satisfaisait sur la qualité de son plat, elle s’inquiétait : « dis Paulette, ton fils il a un appétit d’oiseau. Tu devrais le montrer à Machtou ! ». Machtou, c’était le docteur de la famille. Sa cuisine gourmande ne souffrait pas les petits appétits. Si l’invité se comportait en « morfal », la femme pied noir se décernait une étoile de plus au guide Michelin de Bab El Oued. Et comme, grâce à Dieu, le faubourg fourmillait de « morfals »…….
Malgré certaines mauvaises langues qui dénigraient tout et n’importe quoi, l’état d’esprit général se voulait magnanime. En effet, toutes logées à la même enseigne, les femmes du faubourg, conscientes du rôle essentiel qu’elles remplissaient au sein de leur foyer, se faisaient un devoir de complimenter leurs congénères. « Critiquer les autres, c’était se critiquer soi-même » pensaient-elles à juste titre. Car nos mères partageaient leur savoir-faire avec les voisines qui se pâmaient volontiers sur un plat dont elles ignoraient la composition. Goûtées lors des fêtes religieuses au c½ur d’assiettes gourmandes offertes au voisinage, les pâtisseries italiennes, espagnoles, arabes ou juives détenaient la palme de cette marque d’affection par assiettées témoignée.
Ainsi se nouaient au fil du temps une communion d’esprit entre toutes ces femmes d’Algérie qui maniaient les vertus de maîtresse de maison avec abnégation, courage et talent.
La femme de Bab El Oued était à l’image des femmes méditerranéennes. Avant les années soixante, la jeune fille travaillait jusqu’au jour où une robe de mariée lui ravissait le c½ur. Alors, pour la plupart d’entre elles, l’appartement des jeunes époux devenait sa propriété, son « chez elle », sa Maison. Le champ clos de son horizon s’arrêtait là où commençait son foyer. Elle s’appuyait sur l’exemple de sa mère, voire de sa grand-mère, apprenait des autres femmes de la famille ou du voisinage ce qu’elle n’avait pas encore assimilé.
Au bout de quelques semaines, elle maîtrisait la confection d’une paëlla, d’un couscous ou d’une bonne pastière. Elle portait fièrement le nom de son époux et si elle revenait souvent à ses « années demoiselles » auprès de sa mère, elle les abandonnait, dans un sourire, pour écrire le roman de sa vie.
Après avoir apprivoisé les comptes du ménage, elle prenait les rênes de son foyer. Elle s’investissait alors ministre des finances. Puis quand le cri de bébé ensoleillait sa maison, elle prenait le portefeuille de l’éducation puis une fois son enfant scolarisé, de l’enseignement. Le mari, premier ministre de fortune, s’accommodant très bien des fonctions de son épouse, le temps pour lui au sortir du travail, de traîner au café avec quelques amis de la prime enfance.
La femme de chez nous maniait l’art de materner avec mansuétude. Elle se faisait des « kilos de mauvais sang » à la moindre toux de son enfant. Douée jusqu’à la déraison pour l’inquiétude, elle soignait avec des remèdes de grand-mère comme les ventouses, l’huile chaude dans les oreilles et la friction à l’anisette sur la tête, le cataplasme de choux ou la ouate thermogène mais l’enveloppement d’alcool gardait sa préférence.
Un carré de sucre dans la poche pour le creux de dix heures, l’écolier pouvait alors affronter le calcul mental et l’analyse. Un peu d’eau sucrée quand le vin était absent et voilà l’enfant remonté comme une pendule. Et pourquoi pas un peu de quinquina ? Le quatre heures, la maman de chez nous pouvait offrir à ses enfants un café au lait mais elle préférait une versée d’huile d’olive et du sucre en poudre dans une assiette, un morceau de pain et le tour était joué. « C’est le meilleur fortifiant ! » répétait –elle à son fils qui lorgnait sur la tablette de chocolat Lefèvre.
La femme adorait se moquer d’autrui. Gentiment, sans méchanceté simplement pour le plaisir d’attraper un bon fou rire. Car le rire détenait la première place au Panthéon des vertus du pied noir. Pour un oui, pour un non, le rire s’installait pour se travestir en franche rigolade dans ce pays, cette ville, ce quartier où la misère fut le dénominateur commun de ces pauvres gens qui avaient fui la pauvreté.
La femme de chez moi, femme méditerranéenne jusqu’au bout des ongles, adepte de la dramatisation du moindre incident frôlant sa maisonnée, dotée d’une foi inébranlable en sa religion, sa famille et son pouvoir, fille de l’Orient et de l’Occident, aux valeurs immuables héritées de son entourage familial, femme souvent sacrifiée aux besoins de ses enfants mais dont la fatalité orientale la dédouanait autant qu’elle la protégeait, femme aux multiples courages et aux multiples origines, qui se vautrait dans le drapeau tricolore, qui chantait la marseillaise comme on appelle au secours avant la noyade, femme de chez moi qui s’abandonnait à la fierté en regardant son enfant, sans pudeur et sans faux-semblant, femme d’Algérie tout simplement. Merci !
La femme
La femme de mon pays représentait l’archétype de la méditerranéenne. Tout feu tout flamme, elle gérait sa vie à travers sa famille, son mari, ses enfants, ses parents, ses frères, ses s½urs, ses oncles, ses tantes, ses neveux et ses nièces. Ajoutez-y quelques voisines, amies d’enfance ou commerçantes du quartier et vous en aurez fait le tour.
Trésor de bonté, elle était capable d’emportements légendaires si ses enfants étaient visés par la médisance, la méchanceté ou un procès d’intention. Elle puisait dans ses souvenirs d’enfance les leçons du passé. Déjà toute petite, alors que ses frères s’escrimaient dans le couloir à imiter les vedettes locales du ballon rond, elle aidait sa maman à éplucher un légume, à faire les lits, à préparer un repas pour le seul plaisir de jouer à la mère de famille. Elle ne savait pas encore que ce jeu de rôles l’accompagnerait tout au long de sa future vie de femme mariée et de mère de famille. Etudiante, vendeuse, secrétaire, dactylo ou couturière, la jeune fille n’échappait pas à la règle commune qui voulait la voir emprunter le chemin de ses aînées. Aussi, s’obligeait–elle à mener de front la quête du savoir culturel et du savoir traditionnel qui prenait sa source au sein même de la maison familiale. Tout au moins jusqu’à son mariage.
Autrefois, s’inspirant des us et coutumes en vigueur dans les pays méditerranéens, les parents considéraient que la réussite des études s ‘appliquait prioritairement aux garçons, futurs chefs de famille et à ce titre, détenteur d’un métier susceptible de « faire bouillir la marmite ».
Aussi, la jeune fille délaissait le savoir des écoles pour celui de la femme d’intérieur. Comme sa mère et sa grand mère avant elle. Comme la majeure partie des femmes de ces pays orientaux qui semble faire la part belle à l’homme mais qui mesure à sa juste valeur l’importance de la place et du rôle déterminant de l’épouse et plus tard de la mère de famille au sein du foyer.
Femme d’intérieur, la femme de Bab El Oued l’était assurément. Elle bichonnait son appartement avec une assiduité quasi maladive. Allergique à la poussière, elle « aérait » les chambres à grands coups de courant d’air, battait les tapis et les matelas au balcon, lavait le carrelage à grande eau qu ‘elle essuyait armée du célébrissime « chiffon à laver le parterre », nettoyait les vitres et les miroirs avec du papier journal « que mon ami, les produits de maintenant c’est de la zoubia ! », retapait les lits en un tour de main après les avoir « laissé respirer »,
Son emploi du temps reposait sur des horaires précises, du lever au coucher sans se soucier du nombre de minutes passées au service de sa maisonnée.
Entre le ménage, les « commissions » au marché, le bavardage sur le chemin du retour ou sur le balcon avec une voisine en panne de menu, la préparation des repas du midi et du soir, le repassage, la sieste, la descente au jardin, la visite à un parent, la journée était bien remplie. Sans compter la grande lessive une fois par semaine sur la terrasse de l’immeuble où elle résidait. Cette lessive, dé ! Un véritable bonheur pour les enfants !
La terrasse des immeubles de Bab El Oued offrait la possibilité d’admirer le superbe panorama d’Alger. Mais la fonction première de ces terrasses du bout du monde se déclinait au féminin. En effet, une journée par mois ou par semaine selon le nombre de résidants, la terrasse, sa superficie et sa buanderie, était réservée à une famille qui s’empressait de « se taper la lessive » mon ami, souâ-souâ !
La maîtresse de maison rameutait une ou plusieurs s½urs pour lui donner la main afin de laver, astiquer, brosser, blanchir tous les vêtements de sa maisonnée. Qui n’a pas vu une femme de chez nous frotter son linge avec une brosse à chien dent ne sait pas ce que veut dire le mot « laver ». La voir s’escrimer si longtemps sur un vêtement que les enfants mettent si peu de temps à salir relèverait de la psychanalyse si le qu’en dira t-on n’était pas considéré en ce pays comme une valeur universelle et si les mauvaises langues ne se déliaient aussi aisément.
Comme disait Madame Noguès : « Il n’y a pas de mauvaises langues, il n’y a que des langues bien pendues ! »
Les enfants de la famille profitaient de l’espace offert par la terrasse pour s’amuser bien sur mais aussi pour s’inventer des histoires de corsaires, flibustiers et autres boucaniers, le nez au vent et la mer pour décor. Les filles dessinaient le jeu de la marelle, jetaient la boite de « chique « en fer blanc pour, à cloche pieds, la guider vers le ciel ou le paradis. Possibilité rarement offerte car les « chitanes » ne se gênaient pas pour « shooter » dans la boite en fer, feignant la maladresse devant les cris indignées des « demoiselles ».
L’odeur de la javel, de cristaux de soude, de savon arabe et autre lavette appartenant à l’histoire de la femme « pied noir » et à la vénération qu’elle voue à la propreté embaumait le quartier jusque tard dans la nuit.
Ces odeurs, je les garde en moi comme des sensations d’une autre époque, d’un autre lieu, d’un autre continent, d’un paradis à jamais perdu.
Douée pour la cuisine, la femme de Bab El Oued l’était assurément.
Imprégnée de toutes les influences méditerranéennes, sa cuisine chantait le soleil, la joie de vivre et les épices orientales. Elle accommodait ses plats avec le savoir faire ancestral de la famille et du voisinage.
S’il manquait un ingrédient, plutôt que de réaliser une cuisine fade, sans saveur et sans goût, elle n’hésitait pas à quémander à une voisine une dose de « kemoun », une pincée de « flio » ou quelques branches d’origan.
Ainsi parfumé, son plat sentait les jardins d’Italie, d’Espagne et d’Arabie et régalait les palais les plus difficiles, orientalisait le plat le plus banal.
La femme de chez moi aimait la bonne chère. Aussi, ne mesurait-elle jamais son temps ni son travail pour confectionner une cuisine mijotée. Aux petits soins avec ses marmites, elle goûtait sa loubia, sa sépia au noir ou son riz à l’espagnol une bonne vingtaine de fois pendant la cuisson, dosant au gramme près les ingrédients nécessaires au ravissement du palais.
Elle ne respectait que le savoir transmis par les femmes de sa famille qui ne parlait pas de grammes ou de centilitres mais de pincées ou de versées. Elles possédaient le chic, la main pour doser convenablement les ingrédients.
La crainte de cuisiner « mesquin » rivée au corps, la femme de chez moi cuisinait « les yeux plus gros que le ventre ». La devise de la cuisinière pied noir se déclinait par un « il vaut mieux faire envie que pitié ! ».
Elle n’oubliait jamais de préciser : « c’est pas perdu ! »
Si un invité ne demandait pas une deuxième part, le doute s’insinuait en elle : « elle est pas bonne ma loubia ? ». Si la réponse la satisfaisait sur la qualité de son plat, elle s’inquiétait : « dis Paulette, ton fils il a un appétit d’oiseau. Tu devrais le montrer à Machtou ! ». Machtou, c’était le docteur de la famille. Sa cuisine gourmande ne souffrait pas les petits appétits. Si l’invité se comportait en « morfal », la femme pied noir se décernait une étoile de plus au guide Michelin de Bab El Oued. Et comme, grâce à Dieu, le faubourg fourmillait de « morfals »…….
Malgré certaines mauvaises langues qui dénigraient tout et n’importe quoi, l’état d’esprit général se voulait magnanime. En effet, toutes logées à la même enseigne, les femmes du faubourg, conscientes du rôle essentiel qu’elles remplissaient au sein de leur foyer, se faisaient un devoir de complimenter leurs congénères. « Critiquer les autres, c’était se critiquer soi-même » pensaient-elles à juste titre. Car nos mères partageaient leur savoir-faire avec les voisines qui se pâmaient volontiers sur un plat dont elles ignoraient la composition. Goûtées lors des fêtes religieuses au c½ur d’assiettes gourmandes offertes au voisinage, les pâtisseries italiennes, espagnoles, arabes ou juives détenaient la palme de cette marque d’affection par assiettées témoignée.
Ainsi se nouaient au fil du temps une communion d’esprit entre toutes ces femmes d’Algérie qui maniaient les vertus de maîtresse de maison avec abnégation, courage et talent.
La femme de Bab El Oued était à l’image des femmes méditerranéennes. Avant les années soixante, la jeune fille travaillait jusqu’au jour où une robe de mariée lui ravissait le c½ur. Alors, pour la plupart d’entre elles, l’appartement des jeunes époux devenait sa propriété, son « chez elle », sa Maison. Le champ clos de son horizon s’arrêtait là où commençait son foyer. Elle s’appuyait sur l’exemple de sa mère, voire de sa grand-mère, apprenait des autres femmes de la famille ou du voisinage ce qu’elle n’avait pas encore assimilé.
Au bout de quelques semaines, elle maîtrisait la confection d’une paëlla, d’un couscous ou d’une bonne pastière. Elle portait fièrement le nom de son époux et si elle revenait souvent à ses « années demoiselles » auprès de sa mère, elle les abandonnait, dans un sourire, pour écrire le roman de sa vie.
Après avoir apprivoisé les comptes du ménage, elle prenait les rênes de son foyer. Elle s’investissait alors ministre des finances. Puis quand le cri de bébé ensoleillait sa maison, elle prenait le portefeuille de l’éducation puis une fois son enfant scolarisé, de l’enseignement. Le mari, premier ministre de fortune, s’accommodant très bien des fonctions de son épouse, le temps pour lui au sortir du travail, de traîner au café avec quelques amis de la prime enfance.
La femme de chez nous maniait l’art de materner avec mansuétude. Elle se faisait des « kilos de mauvais sang » à la moindre toux de son enfant. Douée jusqu’à la déraison pour l’inquiétude, elle soignait avec des remèdes de grand-mère comme les ventouses, l’huile chaude dans les oreilles et la friction à l’anisette sur la tête, le cataplasme de choux ou la ouate thermogène mais l’enveloppement d’alcool gardait sa préférence.
Un carré de sucre dans la poche pour le creux de dix heures, l’écolier pouvait alors affronter le calcul mental et l’analyse. Un peu d’eau sucrée quand le vin était absent et voilà l’enfant remonté comme une pendule. Et pourquoi pas un peu de quinquina ? Le quatre heures, la maman de chez nous pouvait offrir à ses enfants un café au lait mais elle préférait une versée d’huile d’olive et du sucre en poudre dans une assiette, un morceau de pain et le tour était joué. « C’est le meilleur fortifiant ! » répétait –elle à son fils qui lorgnait sur la tablette de chocolat Lefèvre.
La femme adorait se moquer d’autrui. Gentiment, sans méchanceté simplement pour le plaisir d’attraper un bon fou rire. Car le rire détenait la première place au Panthéon des vertus du pied noir. Pour un oui, pour un non, le rire s’installait pour se travestir en franche rigolade dans ce pays, cette ville, ce quartier où la misère fut le dénominateur commun de ces pauvres gens qui avaient fui la pauvreté.
La femme de chez moi, femme méditerranéenne jusqu’au bout des ongles, adepte de la dramatisation du moindre incident frôlant sa maisonnée, dotée d’une foi inébranlable en sa religion, sa famille et son pouvoir, fille de l’Orient et de l’Occident, aux valeurs immuables héritées de son entourage familial, femme souvent sacrifiée aux besoins de ses enfants mais dont la fatalité orientale la dédouanait autant qu’elle la protégeait, femme aux multiples courages et aux multiples origines, qui se vautrait dans le drapeau tricolore, qui chantait la marseillaise comme on appelle au secours avant la noyade, femme de chez moi qui s’abandonnait à la fierté en regardant son enfant, sans pudeur et sans faux-semblant, femme d’Algérie tout simplement. Merci !
Le : 16/11/2025 10:43
Salut tout le monde
Quelqu'un peut-il m'aider, j'essaye d'aller sur les photos oualou
Quelqu'un peut-il m'aider, j'essaye d'aller sur les photos oualou
Le : 15/11/2025 09:29
bonjour a tous mes amis pn de beo et d ailleurs
ils sont ou les oualiones de la clique des messageries j espère que tout va bien
juste un petit coucou de Paris
ils sont ou les oualiones de la clique des messageries j espère que tout va bien
juste un petit coucou de Paris
Le : 22/10/2025 18:54
Très beau texte Jean - Pierre qui peut s'appliquer à beaucoup de nos compatriotes de cette génération.
Guy MARI
Guy MARI
Le : 21/10/2025 15:12
Bravo Jean-Pierre ,
Trés beau récit qui décrit éxactement nos 60 ans de mariage que nous fèterons au mois d'avril prochain !!!
Tout est dit l'amour, la patience, les hauts, les bats ,les difficultés mais on y est arrivés et tout surmonté main dans la main , d'un seul coeur !!!
Je vais me permettre de spolier ton texte et m'octroyer les honneurs de l'avoir écrit lors de la célébration de nos noces de Diamant !!!
Longue et bonne vie à vous deux !!!
Annie PLA-SALORT
Le : 20/10/2025 08:38
Bonjour à toutes et à tous
Je viens d'écrire notre biographie (Jeannine Jean-Pierre)à l'occasion de nos 60 ans de vie partagée.
Voiçi le dernier extrait,l'épilogue,car je ne peux vous raconter toute notre vie,biographie bien trop longue,plusieurs dizaines de pages.
60 ANS DE VIE COMMUNE
En repensant aux six décennies passées côte à côte,on réalise que le véritable secret de cette longue et belle aventure réside dans les petites choses du quotidien,les sourires échangés à l'aube,les conversations silençieuses partagées devant un café,les mains qui se frôlent et les regards complices.
Ces 60 ans ensemble,ont été marqués par une infinie patience,une immense complicité,et une volonté comme d'avançer ensemble malgrés les épreuves.
Il y a eu des moments de doute bien sur,des instants ou la vie semblait plus dure,ou la route se dressait devant nous comme une montagne abrupte.Mais à chaque obstacle surmonté,notre amour ne faisait que se renforcer,se solidifier.Nous avons appris au fil du temps que la perfection n'existe pas.Ce qui compte,c'est de continuer à grandir ensemble,d'évoluer main dans la main,d'accepter les imperfections de l'autre,ce qui est trés RARE,de nos jours.
Aujourd'hui,notre histoire est un témoignage de ce que peut-être l'amour vrai,celui qui se construit dans le temps,qui se nourrit de respect et de tendresse.
Une histoire ou les souvenirs se tissent et se partagent,ou l'avenir même incertain se contemple avec l'espoir qu'à chaque instant,chaque jour,sera encore une nouvelle occasion de s'aimer.
Soixante ans aprés,nous n'avons plus l'énergie des premiers jours,mais notre coeur bat toujours avec la même intensité,et quand nous nous regardons,nous savons,qu'il n'y a pas de fin,mais juste une éternité discrète,façonné à deux.
Voilà,j'espère que mon récit vous a plu,et je pense qu'il doit ressembler à bon nombre d'entre vous,car il est bien de notre génération et nous en sommes trés fiers......................
Je viens d'écrire notre biographie (Jeannine Jean-Pierre)à l'occasion de nos 60 ans de vie partagée.
Voiçi le dernier extrait,l'épilogue,car je ne peux vous raconter toute notre vie,biographie bien trop longue,plusieurs dizaines de pages.
60 ANS DE VIE COMMUNE
En repensant aux six décennies passées côte à côte,on réalise que le véritable secret de cette longue et belle aventure réside dans les petites choses du quotidien,les sourires échangés à l'aube,les conversations silençieuses partagées devant un café,les mains qui se frôlent et les regards complices.
Ces 60 ans ensemble,ont été marqués par une infinie patience,une immense complicité,et une volonté comme d'avançer ensemble malgrés les épreuves.
Il y a eu des moments de doute bien sur,des instants ou la vie semblait plus dure,ou la route se dressait devant nous comme une montagne abrupte.Mais à chaque obstacle surmonté,notre amour ne faisait que se renforcer,se solidifier.Nous avons appris au fil du temps que la perfection n'existe pas.Ce qui compte,c'est de continuer à grandir ensemble,d'évoluer main dans la main,d'accepter les imperfections de l'autre,ce qui est trés RARE,de nos jours.
Aujourd'hui,notre histoire est un témoignage de ce que peut-être l'amour vrai,celui qui se construit dans le temps,qui se nourrit de respect et de tendresse.
Une histoire ou les souvenirs se tissent et se partagent,ou l'avenir même incertain se contemple avec l'espoir qu'à chaque instant,chaque jour,sera encore une nouvelle occasion de s'aimer.
Soixante ans aprés,nous n'avons plus l'énergie des premiers jours,mais notre coeur bat toujours avec la même intensité,et quand nous nous regardons,nous savons,qu'il n'y a pas de fin,mais juste une éternité discrète,façonné à deux.
Voilà,j'espère que mon récit vous a plu,et je pense qu'il doit ressembler à bon nombre d'entre vous,car il est bien de notre génération et nous en sommes trés fiers......................
Le : 11/10/2025 14:55
"MA MERE JUIVE D'ALGERIE" DE HUBERT ZAKINE.
J'ai perdu mon enfance en perdant ma mère.
Je l'ai égarée dans la souffrance des glaces recouvertes d'un linge afin qu'elle ne renvoie pas aux vivants l'image défigurée du malheur et du chagrin.
Ma mère est partie. Elle a tout emporté avec elle. Tous mes souvenirs que je lisais dans son regard perdu entre Alger et Paris, dans un ailleurs qu'elle me racontait les après-midi d'hiver, son fichu bleu ciel sur les épaules qui la protégeait, non pas du froid, mais de l'agression inhumaine de l'exil d'une mère juive d'Algérie.
Sa voix ne caressera plus ma mémoire de ses histoires de famille judéo-arabe de la casbah de sa jeunesse. Elle ne perpétuera plus l'épopée de son peuple issu de l'inquisition médiévale espagnole de 1391 et de son aïeul, le Grand Rabbin Simon Ben Sémah DURAN "RASHBAZ" qui réunifia le judaïsme d'Afrique du Nord avec son comparse, "RIBACH".
Ma mère a rejoint le pays du Bon Dieu. Elle est partie pour le nuage d'où on ne revient jamais. Elle qui répétait toujours :
--" Dans ma vie, j'aurai fait deux voyages contre ma volonté : le premier en quittant mon pays, le deuxième, en quittant cette terre! "
J'ai perdu mon pays, ma peine fut immense.
J'ai perdu ma mère, mon chagrin est éternel.
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Orphelin de père depuis 1947, je suis à présent orphelin de mère. Orphelin de son amour jugé démesuré par toute personne, hormis ses fils. De sa tendresse et de sa mansuétude pour la mauvaise volonté que je développais à poursuivre des études bien difficiles à rattraper pour un jeune cheval fou lâché dans la prairie de l'enfance. L'adolescence se moque de la fierté d'un parent devant un carnet de notes réjouissant. D'un bon classement, d'une politesse déployée devant autrui, d'un compliment décerné par une grande personne. L'enfant ne mesure pas l'étendue des sentiments qui emplit et envahit le coeur d'une maman.
Orphelin d'une présence attentive à mes moindres tourments, devinant mes contrariétés, s'évertuant à les minimiser en m'invitant à l'optimisme de ma jeunesse. De ses petites et câlines vigilances qu'elle ne relâchait guère malgré mon passage à l'âge adulte, me considérant, encore et toujours, comme son petit, préparant le bol de café au lait, me servant à table le premier, oubliant de manger pour mieux boire les compliments sur sa délicieuse cuisine empruntée aux mille saveurs de l'Orient, remplissant mon assiette d'un nouveau met dès le précédent consommé.
Sans cesse aux petits soins malgré mon souci de la voir se reposer, elle guérissait le moindre de mes rhumes en me frottant le crâne à l'anisette ou en m'enfonçant du coton imbibé d'huile chaude dans l'oreille.
Orphelin de ses recettes de grands-mères aussi efficaces que les médicaments "qui détraquent l'estomac", de ses enveloppements d'alcool, de ses ventouses maniées avec une folle dextérité, de ses cataplasmes à base de choux, préconisés par les gloires médicales de la casbah judéo-arabe, les Docteurs JAÏS et JONATHAN auxquels elle ne craignait pas de tenir tête sur le bon remède à administrer à son "mazozé" de fils.
Orphelin de sa présence, tout simplement.
Ma mère est venue au monde le 25 Février 1911, à Alger, "dans la plus belle ville du monde", à une époque où la casbah répercutait encore les prières d'un peuple courbé sur son douloureux passé. Dans ces rues aux noms exotiques : rue des Trois Couleurs, rue du Chat, rue du Tigre, rue du Diwan, rue des Jétules, rue du Caftan, rue des Oranges, rue Boulabah..........
Dès mon plus jeune âge, j'arpentais ces chemins frangés d'ombres et de lumières, étroits et parfois nauséabonds, débouchant sur des placettes aérées aux fontaines enchâssées de faïence outremer. J'y découvrais un monde cinématographique et imaginaire qui prenait forme sous mes yeux effarouchés mais grisés par la tentation. Les mauvais garçons y déambulaient à la recherche d'une aventure, les vieux surveillaient du coin de l'oeil l'entrée des maisons closes de la basse casbah qu'ils franchissaient par personnes interposées dans un moment de rêve pourchassé d'un revers de main, les ventres des cafés maures déversaient des nuages odorants de "kawah" et les sages joueurs de dominos claquaient leurs pions avec sérieux et application. Les marchés à ciel ouvert étaient légion mais le marché Randon qui faisait face à la Grande Synagogue, Place du Grand Rabbin BLOCH, représentait le passage obligé du commerce de la casbah.
Je parcourais souvent cette ville grimpante et grouillante qui escaladait, de la mer à la colline, la blanche multitude de terrasses. Pourtant, les souvenirs gravés dans ma mémoire d'exil demeurent attachés aux récits de ma mère, fabuleux voyages au long cours dans le jardin mythique de sa jeunesse. Une jeunesse qui se suffisait de la richesse du coeur foisonnante chez les humbles gens de ce quartier.
Ma mère a ouvert les yeux dans une famille où l'affection et le respect accompagnaient la vie de tous les jours. Une vie de labeur, de sueur et d'amour.
J’adorais faire parler ma mère.
Intarissable comme toutes les nostalgies ayant effleuré le bonheur, ma mère juive d'Algérie escaladait sa mémoire sans effort apparent, un souvenir traînant derrière son image sépia tout un chapelet d'anecdotes puisées à la source de son enfance, entourée de ses frères William, Léon et de ses soeurs Elise, Nadine, Pauline.
Elle me racontait sa prime jeunesse dans cette casbah judéo-arabe coincée à mi-chemin de l'Orient et de l'Occident, en marche vers l'inexorable modernité ensemencée par une France civilisatrice, mais retenue par la force invisible d'un passé millénaire.
En chevauchant allégrement la machine à remonter le temps, elle n'oubliait rien ni personne. Avec une précision méticuleuse qu'elle entretenait à force d'y penser, à force d'en parler, elle décrivait ce monde qui la vît naître et précipiter ses premiers pas vers la religion de ses pères. Véritable guide touristique de la casbah, de "sa" casbah, elle situait chaque pièce de ce puzzle à l'emplacement exact; les ateliers, les échoppes, les petits artisans, les lieux de cultes, d'enseignement religieux, la Médersa toute blanche, immaculée, les Mosquées, les Synagogues, les cafés musicaux. De Brahim le Mozabite, affublé dans ce pays du sobriquet de "Moutchou", tenancier d'une épicerie-capharnaüm parcourue de charançons, qui sentait bon les épices, la bougie, la guimauve, les tramousses et.......l'huile rance. Toujours aux aguets devant les petits "yaouleds", auteur de menus larcins dans la rue Marengo, artère principale de la casbah, il faisait face au salon de Thomas le coiffeur, rendez-vous de tous les amoureux du football algérois, obligés de se contorsionner sur leur fauteuil pour admirer "le travail de l'artiste" dans une glace tenant lieu d'exposition de photos des équipes vedettes du championnat d'Alger. Moktar, le marchand de beignets arabes façonnés d'une main experte, jetés dans l'huile frémissante dans un geste auguste qui s'apprenait comme on apprend le piano, sortis de leur bain brûlant à l'aide d'une tige de fer blanc recourbée pour accrocher le beignet et l'offrir dans son papier absorbant à la convoitise du client par l'odeur alléché.
Aucun détail ne manquait et j'eus souvent l'occasion de revisiter les souvenirs de ma mère juive d'Algérie en parcourant, à mon tour, le théâtre pittoresque d'une enfance à jamais enfouie dans sa valise d'exil. Je marchais, alors, sur ses pas. Je rencontrais les personnages envoûtants qui voyageaient dans ses histoires embellies par les années perdues et je m'apercevais avec tendresse, qu'à aucun moment, sa mémoire n'avait failli.
A l'école de la rue de Toulon où elle fit ses premières armes, sous la baguette sévère d'institutrices revêches, elle se souvenait du bonnet d'âne désignant les "têtes en l'air" à l'innocente vindicte des élèves exemplaires. De sa maîtresse d'école qui se pâmait devant la beauté des grands yeux noirs de la "petite DURAND", qui semblaient soulignés de "khôl". De son préau qui s'ouvrait sur le balcon familial où la guettait sa maman-gâteau comme pour la rassurer dans cette difficile étape de la vie qu'était, alors, l'école communale.
De cette époque, elle avait gardé l'exaltation joyeuse de la petite fille insouciante élevée par sa mère, grondée par son père, surveillée par ses frères, adorée de sa famille. A l'instar de ses soeurs, elle apprenait à coudre et à repriser, à laver et à repasser, à tenir une maison le coeur content et l'âme fière de suivre l'exemple de sa mère qui le tenait, elle-même de sa grand-mère.
Elle se souvenait avec nostalgie de ce petit appartement de deux pièces au 31 rue Marengo, grande trouée qui zébrait la casbah en son milieu et se prolongeait par la rue Randon. J'imaginais en l'écoutant, la dose d'amour nécessaire à la coexistence pacifique de deux adultes et de six enfants, évoluant dans ce minuscule espace laissé ouvert sur le palier pour agrandir le volume et accueillir le courant d'air de l'amitié soufflé par le voisinage. Avec en prime, la fenêtre de la cuisine qui glissait en pente douce et en terrasses multicolores vers l'irréel, le grandiose, le majestueux panorama du port d'Alger.
Ma mère répétait souvent : "De sa cuisine, ta grand-mère voyageait par procuration à bord du Kairouan, du Ville d'Alger ou du Ville d'Oran. L'imagination faisait le reste. Et nous autres, on embarquait avec elle."
Elle évoquait souvent ses parents comme les témoins de sa jeunesse, la preuve de son existence, la confirmation de son ascendance.
Je n'ai pas eu le bonheur de connaître mes grands-parents maternels. Mes frères non plus. Mais ils semblent avoir toujours fait partie de notre univers tant leur image nous fut peinte, ciselée, détaillée par l'amour de leur fille.
De notre grand-père, nous sûmes qu'il éleva sa famille pauvrement mais dignement, ne rechignant jamais à prolonger sa journée d'ébéniste-matelassier-cardeur en travaillant de nuit au casino de la capitale. Il adorait tant son métier qu'il demanda à ses fils de glisser sous son lit de souffrance, sa machine à carder. Atteint d'un mal incurable, entre deux douleurs insupportables, il tirait à lui son outil de travail pour le contempler. En recevant cette pénible anecdote travestie en confidence, nous pénétrâmes, mes frères et moi, l'âme et le coeur de notre grand-père. Il est des grands hommes ignorés de tous, sauf de leurs familles. Il me plait, ici, de m'attarder sur cet homme digne et respectable que fut mon grand-père maternel.
Comme ses soeurs, ma mère s'identifiait à sa propre mère. Poutre maîtresse de son foyer, ma grand-mère maternelle cumulait les fonctions d'épouse, de mère, de ministre des finances, d'exemple pour ses filles. Couturière par nécessité, elle offrait du rêve bon marché, mais de bon goût, à ses "élégantes" sans le secours d'une machine à coudre.
Ma mère était fière de cette unique photographie conservée "comme la prunelle de ses yeux", représentant sa maman entourée de ses six enfants, prise au jardin Marengo, sous un généreux soleil hivernal. Le décès de mon grand-père avait agi comme un révélateur sur le frère aîné, William, investi soutien de famille qui décida d'immortaliser, sur papier Guilleminot, la famille orpheline et toute vêtue de deuil.
Cette photographie, dans les mains de ma mère, symbolisait cette époque tragique, dure, sans pardon. Une époque charnière ouverte sur le vaste champ de la modernité et le passé simple qui conjuguait la vie avec les yeux au bord des larmes. Ce fut la première et dernière image de ma grand-mère maternelle qui s'en alla quelques cieux plus loin, terrassée par un transport au cerveau. Victime d'une contrariété familiale, elle mourut durant son sommeil. Cette nuit là, Elise, l'une de ses filles, médium sans diplôme, fut réveillée par le pas claudiquant de son défunt père, martelant de sa canne, l'escalier de bois. Affolée, elle entendit très distinctement la voix paternelle lui annoncer qu'il venait chercher sa mère. Le temps de courir dans la chambre de ses parents, elle recueillit le râle de ma grand-mère en partance au pays des étoiles sur le tapis volant de mon grand-père.
Les orphelins sont souvent livrés à eux-mêmes. Pas dans cette famille. Partant d'un bon sentiment, les oncles, les tantes, les cousins, les cousines décidèrent de prendre le relais des parents. Ils se partagèrent la lourde charge d'élever les enfants, désirant pastelliser les couleurs du chagrin afin d'en oublier la violence. Mais, dans la précipitation chargée de bons sentiments, ils occultèrent l'essentiel : le malheur, comme le bonheur, a besoin de communion. La séparation des orphelins sonna le glas d'une possible réinsertion affective. Pourtant, l'éducation de ma mère, de ses frères et soeurs exigeait que le clan restât soudé, le cercle de famille ancré dans ses certitudes, la tribu réunie autour d'un feu sacré allumé par des années de vie commune.
Le : 03/10/2025 16:09
André Trives Auteur
La parole perdue
Les enfants d'Algérie d'avant 1962 se souviennent du trésor perdu à jamais que fut le véhicule de la mémoire de nos anciens. Auguste Robinet dit « Musette », avec l’inénarrable histoire des amours de Cagayous, Edmond Brua dans la célèbre parodie du Cid, plus tard « La Famille Hernandez » de Geneviève Baïlac, et plus récemment le truculent Roland Bacri, sans oublier nos artistes de Bab el Oued Robert Castel et Lucette Sahuquet, ont donné leurs lettres de noblesse à cette richesse aujourd’hui oubliée.
Mais de quel trésor s’agit-il ? De châteaux ou de palais ? D’ors ou de pierres précieuses ? Non ! encore bien plus que les fortunes boursières du CAC 40 ; il s’agit du parler et de l’accent du peuple d'Algérie, un patrimoine commun qui se transmettait sans droit de succession, avec l’avantage bien appréciable de nous faire appartenir à une même et belle famille.
Cette langue et cet accent singulier, façonnés dans les forges de la rue, étaient précurseurs de la technique du caméscope et l’ancêtre de la vidéo. La singularité de cette communication donnait le son et l’image vivante de la pensée, en même temps. En somme, une expression en trois dimensions que nos maîtres nous gratifiaient dès l’école dans les cours de math, où le verbe et les mains nous expliquaient l’abscisse et l’ordonnée ou le théorème de Pythagore. Pour se faire comprendre, il fallait démontrer, et la meilleure des manières était l’usage de la métaphore la plus percutante, accompagné de la gestuelle d’un chef d’orchestre symphonique.
Les gosses dissipés s’initiaient déjà au contact de leurs parents en colère : « Je vais t’en donner une, que le mur y va t’en donner une autre ». Notre parler fortement imprégné du « pataouète » et du « sabir » , utilisait des mots et des expressions uniques qu'il ne fallait surtout pas reproduire à l'école où nos instituteurs se décarcassaient à nous apprendre le français. N'oublions pas que le lycée Bugeaud de Bab el Oued a donné à la France en 1957, le prix Nobel de Littérature et l'écrivain humaniste probablement le plus lu dans le monde : Albert CAMUS. N'oublions pas également, que le dictionnaire LE ROBERT, a été créé par Paul ROBERT, originaire d' Orléansville.
Notre langue si particulière était une sorte de tramway de la pensée, comme nos anciens trams et autobus circulant dans Alger, Oran ou Constantine, bourrés de français, d’arabes, d’italiens, d’espagnols, juifs, musulmans, chrétiens ou athées. Un mélange extraordinaire de cultures, empruntant des néologismes, des tournures, des constructions de phrases typiques, des insultes au langage imagé avec geste approprié à l’appui dont le plus répandu était « le bras d’honneur », ou « l’agitation répétée du majeur » qui disait à son adversaire : « j’t’ai bien eu ». Des vocables aux épices piquantes et colorées, des syntaxes toutes méditerranéennes avec l’odeur des produits que la nature nous donnait avec générosité. Pour déclarer une surcharge de travail et bien la faire comprendre, on déclinait, le regard abattu : « J’ai la tête comme une pastèque ».
Notre parler se percevait comme une langue filmée en technicolor, jamais en noir et blanc. Elle permettait de monter un spot visuel, traduisant au mieux l’idée que l’on voulait développer. Tous les sujets de conversation étaient abordés avec le souci de persuader son interlocuteur; alors vous imaginez les plans, les coupes, les raccords, les montages dans l’improvisation pour convaincre quelqu'un qui de surcroît manifestait de la mauvaise foi. Dans ces tournois de la parole où il fallait avoir raison, les plus volubiles finissaient par imposer leur point de vue. Les idées exprimées, comme les sujets abordés, s’attachaient à refaire le monde. Une vie simple, entretenue par des gens simples, sans prétention, dont Marie Elbe disait : « Chez nous, on prenait l’amour au tragique et la mort à la rigolade ».
La parole perdue
Les enfants d'Algérie d'avant 1962 se souviennent du trésor perdu à jamais que fut le véhicule de la mémoire de nos anciens. Auguste Robinet dit « Musette », avec l’inénarrable histoire des amours de Cagayous, Edmond Brua dans la célèbre parodie du Cid, plus tard « La Famille Hernandez » de Geneviève Baïlac, et plus récemment le truculent Roland Bacri, sans oublier nos artistes de Bab el Oued Robert Castel et Lucette Sahuquet, ont donné leurs lettres de noblesse à cette richesse aujourd’hui oubliée.
Mais de quel trésor s’agit-il ? De châteaux ou de palais ? D’ors ou de pierres précieuses ? Non ! encore bien plus que les fortunes boursières du CAC 40 ; il s’agit du parler et de l’accent du peuple d'Algérie, un patrimoine commun qui se transmettait sans droit de succession, avec l’avantage bien appréciable de nous faire appartenir à une même et belle famille.
Cette langue et cet accent singulier, façonnés dans les forges de la rue, étaient précurseurs de la technique du caméscope et l’ancêtre de la vidéo. La singularité de cette communication donnait le son et l’image vivante de la pensée, en même temps. En somme, une expression en trois dimensions que nos maîtres nous gratifiaient dès l’école dans les cours de math, où le verbe et les mains nous expliquaient l’abscisse et l’ordonnée ou le théorème de Pythagore. Pour se faire comprendre, il fallait démontrer, et la meilleure des manières était l’usage de la métaphore la plus percutante, accompagné de la gestuelle d’un chef d’orchestre symphonique.
Les gosses dissipés s’initiaient déjà au contact de leurs parents en colère : « Je vais t’en donner une, que le mur y va t’en donner une autre ». Notre parler fortement imprégné du « pataouète » et du « sabir » , utilisait des mots et des expressions uniques qu'il ne fallait surtout pas reproduire à l'école où nos instituteurs se décarcassaient à nous apprendre le français. N'oublions pas que le lycée Bugeaud de Bab el Oued a donné à la France en 1957, le prix Nobel de Littérature et l'écrivain humaniste probablement le plus lu dans le monde : Albert CAMUS. N'oublions pas également, que le dictionnaire LE ROBERT, a été créé par Paul ROBERT, originaire d' Orléansville.
Notre langue si particulière était une sorte de tramway de la pensée, comme nos anciens trams et autobus circulant dans Alger, Oran ou Constantine, bourrés de français, d’arabes, d’italiens, d’espagnols, juifs, musulmans, chrétiens ou athées. Un mélange extraordinaire de cultures, empruntant des néologismes, des tournures, des constructions de phrases typiques, des insultes au langage imagé avec geste approprié à l’appui dont le plus répandu était « le bras d’honneur », ou « l’agitation répétée du majeur » qui disait à son adversaire : « j’t’ai bien eu ». Des vocables aux épices piquantes et colorées, des syntaxes toutes méditerranéennes avec l’odeur des produits que la nature nous donnait avec générosité. Pour déclarer une surcharge de travail et bien la faire comprendre, on déclinait, le regard abattu : « J’ai la tête comme une pastèque ».
Notre parler se percevait comme une langue filmée en technicolor, jamais en noir et blanc. Elle permettait de monter un spot visuel, traduisant au mieux l’idée que l’on voulait développer. Tous les sujets de conversation étaient abordés avec le souci de persuader son interlocuteur; alors vous imaginez les plans, les coupes, les raccords, les montages dans l’improvisation pour convaincre quelqu'un qui de surcroît manifestait de la mauvaise foi. Dans ces tournois de la parole où il fallait avoir raison, les plus volubiles finissaient par imposer leur point de vue. Les idées exprimées, comme les sujets abordés, s’attachaient à refaire le monde. Une vie simple, entretenue par des gens simples, sans prétention, dont Marie Elbe disait : « Chez nous, on prenait l’amour au tragique et la mort à la rigolade ».
