Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

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André TRIVES

Le : 02/12/2015 13:40

Un extrait du berger de Mostaganem (page 357) relatif au drame qui se déroula dans le tunnel allant de BEO à l'Amirauté pendant la guerre 39/45: " L'ancienne gare de Bab el Oued reliait le centre ville d'Alger par une voie souterraine. Souvent la nuit,ce tunnel désaffecté accueillait des centaines de familles venues se réfugier à l'annonce d'un raid aérien allemand sur Alger. Ce soir là, à 21 heures, les sirènes des Messageries avaient rameuté des milliers d'habitants accourus pour se protéger des bombardements. L'hébergement provisoire de tout ce monde s'était effectué dans une ambiance débonnaire, et pour les enfants c'était l'occasion de se divertir un peu plus. Les familles suivaient attentivement les ordres des responsables, les porte-voix ne cessaient de répéter : - Dépêchez-vous, avancez fissa, avancez sur l'avant, tout le monde doit trouver une place dans l'abri. Les premiers avaient suivi attentivement les consignes et s'étaient engouffrés dans le tunnel sans lumière. Au même moment, la protection civile s'organisait contre les largages de bombes. Pour camoufler les infrastructures portuaires et les nombreux navires à quais dans le port d'Alger, cibles choisies par les « Heinkel » et les « Messerschmidt » de la « Luftwaffe* », la défense passive de l'Amirauté,entreprit comme à chaque alerte de faire disparaître Alger sous unépais nuage de fumigènes. Mais le vent ce soir là, ne soufflait pas dans la direction habituelle. Une aspiration d'air imprévisible se fit sentir dans le souterrain noir de monde, ramenant les gaz irrespirables dans le corridor transformé encouloir de la mort. Une panique indescriptible s'en suivit. Les personnes affolées par les fumées suffocantes contribuèrent à une gigantesque bousculade. Dans la poussée pour survivre, elles chutaient et s'écrasaient les unes sur les autres, créant un entassement horrible de corps asphyxiés. L'épouvante et les cris d'horreurs durèrent trente longues minutes, puis plus rien. Horrifiés, les plus chanceux retrouvèrent l'air frais du dehors et s'étonnèrent d'avoir échappé à l'affreux drame. A la lueurdes briquets, les sauveteurs découvrirent des scènes abominables. La mort s'était invitée dans cet abri destiné à les protéger. On retira une trentaine de cadavres et des centaines de blessés. Le tunnel fut fermé et condamné àjamais. Plus aucune alerte n'attira le peuple de Bab el Oued dans ce piège criminel. Désormais, les Bab el Ouediens suivaient les balles traçantes des combats aériens au-dessus du quartier par la persienne entrouverte de leur chambre.

Raymond MOLTO

Le : 29/10/2015 07:13

De Gyotville à Bab El Oued

LE TEMPS VIENDRA OÙ NOUS SERONT RÉUNIS

Il est parfois difficile dans ma solitude, de me souvenir que quelqu'un m'aime, quelque part. Quelqu'un qui m'aime pour ce que je suis et non pour ce qu'il souhaite que je sois ou pour ce qu'il souhaite faire de moi. Quelqu'un qui m'aime, juste pour moi.

Comme c'est parfois difficile d'accepter d'être si loin d'un de l'autre et de se voir si peu! Mais je sais que lorsque le temps viendra pour nous d'être réunis rien ni personne ne nous en empêchera.

Toi, mon amour, tu vis toujours dans mes rêves, mes espoirs, mes actions. Mais plus que tout, tu vis dans mon coeur, et ça, mon amour, c'est la chose qu'aucune distance aussi grande soit-elle ne pourra jamais faire disparaître.

LES TROIS HORLOGES

Le : 30/11/-1 00:00

A tous les ami(e)s,

Pour la deuxième fois, je vous écris un petit mot, car en cette semaine de la Toussaint et comme tous les Toussaints depuis très très longtemps je suis toujours aussi triste. J'existe depuis très longtemps, j'ai pu voir les premiers corbillards tirés par des chevaux, et plus tard les corbillards automobiles. Je pense que vous m'avez reconnu, je suis l'horloge, je dirais plutôt LES TROIS HORLOGES, comme vous le savez je suis située au coeur de notre quartier BAB EL OUED. Des plus petits aux plus grands, je vous ai tous connus.

Depuis quelques années, j'ai la chance que certains d'entre vous qui ont un besoin de faire une thérapie ou un pèlerinage viennent faire un tour au quartier qu'ils n'ont pas oublié et encore moins de venir me voir et se prendre en photo avec moi en souvenir du bon temps passé ensemble. En 2010, un enfant du quartier est venu me voir avec sa femme, il était fier de se faire prendre en photo avec sa charmante et douce femme qui était née à MARSEILLE et heureuse de prendre cette photo comme une pieds noirs. Ils s'étaient promis de revenir en 2014 mais les circonstances de la vie ne l'ont pas permis.

Mais ce qui m'attriste d'autant plus c'est que cette charmante femme qui n'avait rien connu de ce quartier, mais qui le connaissait grâce au site NEABABELOUED que son fils Sébastien avait créé pour son père qu'elle aidait et soutenait dans les mauvais moments. Elle a su se faire aimer de notre communauté et de plus elle nous appréciait. En début de cette année, elle s'en est allée un peu trop jeune pour le grand voyage. J'aimerais bien quand ce jour de Toussaint avec moi vous ayez une pensée pour cette petite patos qui manque beaucoup à son mari, ses enfants ainsi qu'à ses deux petites filles.

Sans oublier tous ceux qui nous ont quittés avant 1962 et jusqu'à nos jours. LES TROIS HORLOGES

Jean-Jean MORENO

Le : 28/10/2015 09:01

Bonjour André et toutes les fréquentations du site de Christian.

Ton très beau texte sur la rue Cardinal Verdier au cimetière de St Eugène me touche tout particulièrement car je connais ce trajet par c 1/2 ur. Je demeurais avenue de la Bouzaréah, au début de cette fameuse rue du cardinal Verdier et je devais me rendre à mon école située rue Larrey au bout de cette rue, juste avant les pompes funèbres. En lisant ton texte je me revoyais cheminant cette rue et croisant les rues des moulins, J.J. Rousseau, de Normandie, du Dauphiné, profitant des effluves de notre marché de Bab el oued et plus loin celles du parfumeur Zouaï.

Effectivement, ce trajet je le faisais également le jour de la Toussaint comme presque tous mes voisins, accompagné de ma mère, frères et s 1/2 ur . Je revois ces étals de chrysanthèmes à l’angle de la rue Verdier et du Bd de Champagne, à l’abri des murs de l’hôpital Maillot. C’était une formidable explosion de couleurs jusqu’à la clinique Barbier Hugo. Que ces instants de remémorations, de souvenirs nous permettent de nous recueillir virtuellement sur les tombes de nos êtres chers abandonnés dans nos cimetières qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans.

Je viens de rencontrer sur le site "répertoire PN" un ancien de la rue Léon Roches au N°6, il se nomme Michel DOMENECH, il est né en 1938. Il souhaiterait dialoguer avec d'autres anciens du quartier, alors..si le c 1/2 ur vous en dit....Belle journée à tous

André TRIVES

Le : 26/10/2015 15:01

A quelques jours de la Toussaint: un hommage à nos aïeux.

La rue Cardinal Verdier

La rue Cardinal Verdier cheminait de la vie à la mort. Elle prenait naissance au marché de Bab el Oued et aboutissait au cimetière de St-Eugène. Les corbillards municipaux empruntaient régulièrement ce trajet.

Depuis des générations et chaque année jusqu'en 1961, les deux dernières semaines d'octobre, voyaient se dérouler un rituel immuable entre le marché et le cimetière ( créé en 1836 ). Une foule immense empruntait à pied et en famille ce trajet afin de rendre hommage à ses défunts. Durant deux semaines, les trottoirs regorgeaient de fleuristes occasionnels et la rue se colorait de magnifiques arcs-en ciel de chrysanthèmes. Jeunes et vieux, recueillis comme il se doit, remplissaient un devoir générationnel transmis par les us et coutumes hérités de leurs ancêtres : rénover l'encadrement des tombes en fer forgé, nettoyer la pierre des monuments, redorer les inscriptions gravées dans le marbre, désherber les alentours, fleurir sans compter vases et jardinières. Le travail était ardu, c'est pour cela qu'il était entrepris dès la mi-octobre. Pour rien au monde, les descendants de cette tradition séculaire auraient failli à la mission de relier le présent au passé. Durant cette période du souvenir, où la ferveur remettait en lumière au près des jeunes la mémoire de ceux qu'ils n'avaient pas connus, il ne serait venu à l'idée de personne d'avoir un souci autre que celui d'aller accomplir son devoir en allant se recueillir sur la tombe familiale. Les Juifs et les Chrétiens se rendaient au cimetière de St Eugène, tandis que les Musulmans grimpaient au cimetière d'El Khettar. Les choses avaient été bien pensées : il n'y avait aucune différence, tous avaient la vue sur la mer.

Il y a 54 ans, jour pour jour, en cette fin d'octobre 1961, le peuple de Bab el Oued ignorait qu'il rendait hommage à ses morts pour la dernière fois. Comment pouvait-il imaginer qu'un destin aussi injuste allait mettre fin à une tradition familiale et le contraindre à l'abandon d'un rite ancestral ? Aujourd'hui, le cimetière de St-Eugène est délabré en plusieurs endroits, les tombes abandonnées, les parterres de fleurs absents de l'hommage qui était rendu aux défunts. Il existe toujours des visages pétrifiés dans la porcelaine sur les livres de marbre. Leurs regards souriants restent imperturbables dans le silence des allées désertes. Ils ont fini par prendre l'habitude depuis tout ce temps : personne ne viendra les visiter. Les herbes hautes, les monuments penchés, la rouille épaisse des fers forgés, témoignent que la tradition de la Toussaint ne reviendra plus. Seul le gazouillement éternel des moineaux dans les cyprès ravivent un semblant de gaieté comme un clin d'oeil à l'oubli. Tout les décors sont à leur place : les cris du stade sont toujours là, la mer bleue aussi est à deux pas, tout comme le ciel azur qui descend des collines de Sidi Bennour. Non, les décors n'ont pas changé.

Depuis 1962, dans le monde où l'on nous a obligés à vivre, y a-t-il un enfant de Bab el Oued qui ait trouvé dans la docte société métropolitaine, ou dans la savante littérature qui s'entasse dans la poussière des bibliothèques, un Directeur de Conscience ou un Maître à Penser ? Moi, jamais! Tous ceux qui ont construit les valeurs auxquelles je crois, les exemples auxquels je me réfère, demeurent toujours présents au cimetière de Saint-Eugène.

Tony BILLOTTA

Le : 23/10/2015 12:55

Ce détail, c’est la date : 30 JUIN 1962 ! ! !

Date historique s’il en fut, pour les PN mais aussi pour les historien-ne-s pour lesquel-le-s la Grande Histoire s’écrit aussi avec les petites.

Après ma 1ère année, en tant que prof de Anglais-Français au Collège Laverdet de Maison-Carrée, et pour obtenir ma titularisation, je suis muté d’office à celui de Marengo-Square, poste pour lequel, les candidatures ne se bousculent pas ...

« Généreusement », on me confie une classe de 65 élèves dans un préfabriqué jouxtant le commissariat (soigneusement barricadé et ...attaqué).

Aucunement préparé pour les classes primaires, je fais de mon mieux pour enseigner à des enfants démunis, atteints de trachome à soigner, supporter avec eux le froid puis la chaleur torride de ce préfabriqué, les déplacements angoissants en car pour rentrer chez moi, à BEO le weekend et pour en revenir, pas très rassuré, le lundi vers 5h du matin.

À peine marié, fin décembre, je reçois mon ordre d’incorporation pour le 4 janvier au Bastion 15 à Alger, annulé par un télégramme de l’Académie, m’enjoignant de me rendre à mon poste.

Avec un travail énorme de préparation et de corrections, un succès flatteur aux épreuves écrites du CAP, j’attends de pied ferme l’inspection qui devrait me permettre d’être titularisé grâce à ces enfants, disciplinés, attentifs et travailleurs.

Hélas pour moi, les jours passent et point d’inspecteur à l’horizon.

Je le sollicite maintes fois et surprise –massue ! Ce monsieur T., craignant de venir à Marengo, me convoque, chez lui à Blida, école du Centre, à 8h.

Choix cornélien. Ne pas y aller, c’est perdre l’espoir de ne plus être titularisé, y aller, c’est prendre d’énormes risques sur une route dangereuse où je peux être abattu ou disparaître. Je choisis de répondre présent. Je me retrouve devant une classe moins nombreuse mais totalement inconnue avec des consignes à exécuter dans les différentes matières et ce, pendant toute la journée, bien longue.

De 16H30 à 17h30, l’Inspecteur me donne des conseils, des bibliographies etc. , me félicite pour la conduite magistrale de mes leçons et la réussite au CAP qu’il me promet de m’adresser rapidement.

Très éprouvé mais aussi très fier et heureux, je quitte l’établissement et me rends à l’arrêt d’autobus pour retourner, toujours anxieux (barrages, mitraillages, force locale...) à Marengo.

Mais là, cruelle déception ! Les cars ne circulent plus à cette heure-ci. Que faire ? Je n’ai pas l’habitude des hôtels ni même la pensée d’en trouver un. Je suis pressé de rentrer et j’attends au bord de la route, une des rares voitures qui s’aventurerait sur cette route réputée peu sûre. Et voilà que, au bout d’une bonne heure, une 403 camionnette, s’arrête. Elle est conduite par le père d’un de mes élèves et nous arrivons sains et saufs au bercail.

Le mois de juin se passe sans aucune nouvelle de mon CAP.

Le samedi 30 juin, dernier jour de classe aussi ...sauf que demain, dimanche est un autre jour, le 1er JUILLET 1962 et que ce sera l’Indépendance.

Malgré les promesses du FLN qui s’était engagé à protéger nos personnes et nos biens, je ne tiens pas à rester sur place et à 16h30, avec des collègues, je descends,(après une multitude de barrages et au milieu de foules de gens) sur Alger, direction l’Inspection Académique où j’arrive au pas de course à 17h55.

Le concierge (que je connais) se prépare à fermer DÉFINITIVEMENT la porte et me laisse entrer dans ces lieux familiers où j’avais travaillé pendantl’été 1960.

Sans difficulté, je trouve le bureau de M. Scotti, Inspecteur d'Académie Adjoint qui se prépare à mettre un point final à ses fonctions et à qui j’explique mon odyssée.

Après vérification, il se rassoit, renseigne le CAP vierge, le signe, le tamponne et me le remet.

Nous sortons ensemble et les portes se referment derrière nous.

C’est donc le dernier document, (obtenu de haute lutte) de l’Inspection Académique de l’Algérie Française que je détiens précieusement et sans lequel, je n’aurais pas pu faire valoir mes droits ni exercer ce métier que j’ai tant aimé.

En écrivant laborieusement ces lignes, surgissent d’autres souvenirs de cette époque où il fallait aimer notre pays natal par-dessus tout pour y demeurer.

Merci de les avoir lues et partagées : vous m’avez ainsi permis d’exorciser en partie, ces dures épreuves (et bien d’autres plus tragiques) que nous avons vécues, nous, les richissimes colons ....

André TRIVES

Le : 23/09/2015 08:43

Un souvenir d'enseignant datant du 1° octobre 1961.

LES NEIGES ETERNELLES DU DJURDJURA L'hiver dernier, je vivais un moment extraordinaire à la neige sur la station du Sauze-Super Sauze près de Barcellonnette dans les Alpes de Haute Provence. La matinée inondée de soleil s'annonçait magnifique. Le téléski du col de Fours me transportait de bonheur vers le sommet dans un silence de cathédrale; seul le bruit feutré de mes skis glissant sur la poudreuse me ramenait à la réalité. Mon regard se remplissait d'émerveillement à la vue du col tout de blanc vêtu qui ciselait le bleu azur du ciel tandis qu'au même moment le soleil dans sa flemme matinale s'apprêtait à franchir la crête dans un halo aveuglant. La carte postale qui s'affichait à l'instant sur le présentoir de la beauté m'emporta dans des rêves vagabonds comme seule la montagne peut nous en donner. Etait-ce le choc subit par cette vue éblouissante de lumière qui me bouleversa au point de supplanter le présent pour instantanément me retrouver un demi-siècle en arrière dans une mémoire intacte ? Comment arrivais-je à substituer à ce décor grandiose une image du passé qui venait de frapper comme un jaloux à la porte des souvenirs et me rappeler une émotion qui restait enfouie depuis le 1° octobre 1961. C'était définitif, mon esprit était dominé par ce que j'avais enregistré dans le disque dur de ma mémoire et qui me revenait plus vrai que nature :

Le 1° octobre 1961 à 8 h 30 précises, je venais de prendre en charge la classe du CM1 de l'école communale de Dra el Mizan, dans l'académie de Tizi Ouzou. La veille j'avais vécu une journée peu ordinaire pour rejoindre ce village de kabylie perché tel un rapace sur un piton montagneux. Levé à cinq heures, j'avais quitté Bab el Oued et ma famille le coeur gros avec une valise en carton pour rejoindre la gare d'Alger. Le guichetier des C.F.R.A. m'avait délivré le billet pour Dra el Mizan en me précisant que la gare d'arrivée s'appelait "Aomar"; et pour moi qui venait d'avoir vingt ans, Aomar devait se situer au sein de Dra el Mizan, comme la gare de Lyon se trouve au coeur de Paris. Le train à banquettes s'ébranla lentement par les ports dans un vacarme de castagnettes que les roues martelaient en franchissant l'entrecroisement des rails. Curieusement, j'étais secoué en saccade avec mes voisins de compartiment par un mouvement latéral qui nous faisait dandiner de telle manière qu'on avait l'impression dans notre face à face obligé, de se dire "non" en permanence. La ville d'Alger disparue, c'est l'arrière pays qui se mit à serpenter au grès des champs cultivés, des vignes qui s'alignaient à l'infini, des collines arides et des oueds desséchés fidèles à leur réputation ; seule la machine signalait son passage à grands coups d'avertisseur sonore perturbant la quiétude de la campagne encore assoupie. Quelques minutes d'arrêt à Ménerville entourée de verdure, puis la traversée des gorges de Palestro au relief agressif, et quelques éclipses assourdissantes dans des tunnels interminables, le contrôleur annonça au son d'une clochette d'église, l'arrivée imminente à destination. Aucune agitation particulière s'en suivie, sauf l'arrêt brusque qui occasionna une dernière bousculade avant de me retrouver seul avec mes bagages sur un quai désert entouré d'une végétation luxuriante où je crus un instant revivre le film qui avait ému tout le Plaza:" Le pont de la rivière Kwaï". J'entendis pendant quelques instants encore le tintamarre des roues s'évaporer dans le lointain. J'étais sans réaction baigné d'inquiétude sur ce ciment zébré d'ornières, face à une bâtisse en ruine qui indiquait sous la forme d'un jeu de mots à compléter « G.re d'A.mar » ".J'étais bien arrivé dans la bonne gare et le sentiment qui m'envahit me rappelait que j'étais planté au milieu de nulle part. Un événement soudain me fit penser que les miracles ne se font pas qu'à Lourdes : un enfant d'une douzaine d'années longeant le ballast les pieds nus en compagnie de trois moutons plutôt malingres vint à ma rencontre le regard espiègle, vêtu d'un sarouel pas très propre qui couvrait ses jambes jusqu'aux chevilles. Il me questionna:" Msieur, t'y es le nouveau chir ?" J'acquiesçai avec soulagement car enfin je retrouvais une identité:" Oui petit, ana chir fil Dra el Mizan". Il me répondit:" Je suis Ali. Le taxi il n'est pas encore là, mais il va pas tarder". J'étais heureux d'avoir des informations mais surpris d'avoir un taxi à prendre. Devant mon étonnement, il compris la situation et rajouta:" Tu peux pas aller à pieds, Dra el Mizan est à quinze kilomètres dans la montagne". Enfin je venais de comprendre que la gare d'Aomar n'était pas ma destination finale.

Après une heure d'attente, je pu m'introduire en force dans un taxi Panhard dont le pot d'échappement pétaradant indiqua bien à l'avance sa venue. J'étais comprimé en surplus sur le siège arrière avec d'autres passagers, des paysans qui rentraient après avoir vendu leur petit bétail et acheté des victuailles au marché d'Aomar. La galerie était à l'image du véhicule: pleine à craquer de couffins et de paquets ficelés d'où des caquètements de poules en souffrance me parvenaient comme des appels à l'aide. Ce n'était pas un voyage de plaisir dans ces lacets tortueux qui devaient nous mener tous à bon port; j'avais l'impression de revivre l'aventure de Charles Vanel dans "Le salaire de la peur"? Toute proportion gardée. Pour l'enfant de la ville que j'étais, la vie rurale me donnait ses premières leçons et en définitive ce qui dominaient principalement c'étaient la décontraction, le sourire et la fatalité de ces montagnards de kabylie qui préservaient une certaine sagesse dans ce décor lunaire : " Ne fabriques pas le mauvais sang, il se fabriquera tout seul" me dit l'un d'eux. Mon arrivée à l'hôtel fut ressentie comme une délivrance avec une grande joie d'être accueilli comme un notable ; une odeur de "cheurba" remplissait mes narines et je me délectais à l'avance du thé à la menthe que je n'allais pas tarder à savourer.

Le 1° octobre 1961 donc, à 8h30, je venais de faire l'appel de la classe et j'eus la bonne idée d'aller ouvrir la fenêtre. Ce fut un éblouissement incomparable, un moment magique que la mémoire enregistre pour toujours, j'étais au balcon d'un spectacle de montagne que j'observais pour la première fois de ma vie. Face à moi, les neiges éternelles du Djurdjura scintillaient comme des diamants dans un écrin, le soleil s'apprêtait à franchir les crêtes dans un halo aveuglant, c'était ahurissant de beauté ; comme j'aurais voulu partager cet instant avec ma famille et les amis restés à Bab el Oued. Le tableau mêlait toutes les couleurs de l'arc en ciel, et le Djurdjura dans sa majestueuse hauteur, tel un artiste peintre, me donnait l'impression de tremper la pointe blanche de son sommet dans le bleu azur du ciel. Je me sentis attirer par cette féerie éternelle, et chaque matin désormais, en ouvrant la fenêtre de ma classe j'entrevoyais le vrai bonheur. C'était il y a bien longtemps et le Sauze a contribué bien courtoisement à faire revivre pour un instant le Djurdjura. Entre montagnes c'était la moindre des choses.

Liliane DOMENECHE

Le : 22/09/2015 10:14

Je reprends le message d'Antoine Billota.

Comme je le comprends...

J'ai eu mon 1er poste de prof de secrétariat à 23 ans et j'avais des élèves entre 15 et 18 ans.

Je me souviens du 1er cours où quand les filles sont rentrées dans la classe, j'avais mis mes mains tremblantes derrière le dos et je me les pincées pour que çà s'arrête.

J'ai été parachutée moi aussi sans formation et je crois que finalement je me suis pas trop mal débrouillées.

J'ai essayée de prendre tout ce qui avait été positif avec les profs que j'avais eu.

Surtout pas la pédagogie d'un prof d'histoire géo de 4ème qui commençait toujours le cours par une intéro. Il suffisait de repérer la vingtaine de mots en gras du cours car l'intero se résumait en 20 questions dans l'ordre chronologique. C'était très facile 'avoir 20.

Ensuite on échangeait nos feuilles et on corrigeait. Puis relevé des notes.

Il restait un quart d'heure avant que la cloche sonne, c'est tout juste si on avait le temps de lire la leçon suivante.

C'était pas compliqué d'être prof...

Tony BILLOTTA

Le : 22/09/2015 07:58

À propos de cet arrêté paru aujourd'hui dans la rubrique "documents divers" de ce site.

Avec étonnement et grande surprise, je retrouve mon 1er arrêté de nomination du 30 septembre 1960 dans l’enseignement au Collège Laverdet de Maison-Carrée pour assurer « immédiatement » les cours de lettres-anglais, sans avoir jamais été informé ou préparé.

Surprenant le fait

- que j’avais reçu cette notification la veille de la rentrée scolaire (peut-être aucun enseignant n’avait-t-il eu le courage de rejoindre ce poste ?) - que, pendant 8 ans, j’avais fait 4 fois par jour à pied le trajet des Messageries au lycée Bugeaud, sans jamais voir l’adresse que je découvre en lisant le cachet du Service Départemental de l’Enseignement Primaire d’Alger : 7 avenue de la Marne ! ! ! Ami-e-s collègues, le saviez-vous ?

Voilà, simple et heureux souvenir : Je n’avais que 20 ans et suis arrivé dans un collège mixte mais où les jeunes filles de 3ème, largement majoritaires, en avaient 16-17 ! ! !

Je n’en menais pas large(c'est ça, les copains, rigolez !)...

Je me souviendrai toujours des très bons résultats obtenus par mes élèves au BEPC (particulièrement en anglais où j'avais donné en classe le même texte qu'à l'examen !), Brevet Élémentaire, et au Certificat d’Études Primaires par toute la classe de 5ème que j’avais préparée et présentée en candidats libres.

Ce qu’il en reste ? Beaucoup de fierté et surtout beaucoup d’émotions quand elles et ils se sont manifesté-e-s après m’avoir retrouvé sur Internet et quand nous nous écrivons, nous rencontrons ou nous nous téléphonons ; c’est à l’un d’eux d’ailleurs que je dois d’être retourné avec ma famille à Alger,d'avoir été logé chez lui, nourri, accompagné..

André TRIVES

Le : 17/09/2015 09:13

Souvenir olfactif et fraternel à Bab el Oued

Les murs des maisons autour du lavoir de la Bassetta, doivent se souvenir de ces airs espagnols qui se répandaient dans le quartier par les fenêtres entrouvertes les matins d’été. Nos aïeux se régalaient à écouter ces musiques de leur pays sorties d’un phonographe à manivelle. La vie se déroulait paisiblement, pourvu que la table du dimanche midi ait été bien garnie autour et dessus. Autour, il y avait la famille, parents et enfants ; dessus une marmite contenant une “arroz caldo” qui embaumait les paliers des maisons. A la fin du repas, retentissaient des rires à l’écoute de cet air valencien : “ La ouella fa roz sin seba, et le ouello di que no vol, la ouella salsa li pega et le ouello li trenca le pérol.” Cette comptine de nos anciens rappelait le pays de leurs ancêtres qu’ils avaient quitté pour offrir un avenir meilleur à leur descendance. Et comment oublier les odeurs qui s’installaient tous les jours, sur le coup de midi dans le courant d’air des maisons aux portes d’entrée toujours ouvertes. La friture de poissons, de poivrons, d'aubergines, les sardines en escabetch et « l’omblette de pon de terre » ravissaient nos narines d'enfant. Alors, on ressentait un torrent de plaisir se déverser dans nos gorges. Mes amis, quel bonheur et quelle chance d’avoir vécu cette époque extraordinaire sous la protection de nos parents. L'existence en ce temps là à Bab el Oued se déroulait dans la simplicité du monde ouvrier et les petites gens qui habitaient le quartier, trimaient toute leur vie pour espérer donner un avenir meilleur à leur famille. L'amitié et la solidarité entre voisins apportaient du réconfort à chacun. Souvenons-nous du trait de caractère de ce modeste petit peuple : la déconnade et le rire. Sans prétention, nous avions inventé le festival du rire à tous les coins de rue. Chaque soir au retour du travail, surtout l'été, la rencontre avec les copains était un moment sacré d'échanges et de fraternité ; là aussi, nous étions les précurseurs des MJC ( maisons des jeunes et de la culture). Je me marre d'entendre aujourd'hui qu'une fois par an on célèbre la fête des voisins. Chez nous, chrétiens, juifs et musulmans se retrouvaient dans la joie à chaque fête religieuse et comme nous avions trois religions et que la coutume voulait que l'on offre une assiette de gâteaux fait maison à ses voisins de palier, on se régalait toute l'année.

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