Le : 23/10/2015 12:55

Ce détail, c’est la date : 30 JUIN 1962 ! ! !

Date historique s’il en fut, pour les PN mais aussi pour les historien-ne-s pour lesquel-le-s la Grande Histoire s’écrit aussi avec les petites.

Après ma 1ère année, en tant que prof de Anglais-Français au Collège Laverdet de Maison-Carrée, et pour obtenir ma titularisation, je suis muté d’office à celui de Marengo-Square, poste pour lequel, les candidatures ne se bousculent pas ...

« Généreusement », on me confie une classe de 65 élèves dans un préfabriqué jouxtant le commissariat (soigneusement barricadé et ...attaqué).

Aucunement préparé pour les classes primaires, je fais de mon mieux pour enseigner à des enfants démunis, atteints de trachome à soigner, supporter avec eux le froid puis la chaleur torride de ce préfabriqué, les déplacements angoissants en car pour rentrer chez moi, à BEO le weekend et pour en revenir, pas très rassuré, le lundi vers 5h du matin.

À peine marié, fin décembre, je reçois mon ordre d’incorporation pour le 4 janvier au Bastion 15 à Alger, annulé par un télégramme de l’Académie, m’enjoignant de me rendre à mon poste.

Avec un travail énorme de préparation et de corrections, un succès flatteur aux épreuves écrites du CAP, j’attends de pied ferme l’inspection qui devrait me permettre d’être titularisé grâce à ces enfants, disciplinés, attentifs et travailleurs.

Hélas pour moi, les jours passent et point d’inspecteur à l’horizon.

Je le sollicite maintes fois et surprise –massue ! Ce monsieur T., craignant de venir à Marengo, me convoque, chez lui à Blida, école du Centre, à 8h.

Choix cornélien. Ne pas y aller, c’est perdre l’espoir de ne plus être titularisé, y aller, c’est prendre d’énormes risques sur une route dangereuse où je peux être abattu ou disparaître. Je choisis de répondre présent. Je me retrouve devant une classe moins nombreuse mais totalement inconnue avec des consignes à exécuter dans les différentes matières et ce, pendant toute la journée, bien longue.

De 16H30 à 17h30, l’Inspecteur me donne des conseils, des bibliographies etc. , me félicite pour la conduite magistrale de mes leçons et la réussite au CAP qu’il me promet de m’adresser rapidement.

Très éprouvé mais aussi très fier et heureux, je quitte l’établissement et me rends à l’arrêt d’autobus pour retourner, toujours anxieux (barrages, mitraillages, force locale...) à Marengo.

Mais là, cruelle déception ! Les cars ne circulent plus à cette heure-ci. Que faire ? Je n’ai pas l’habitude des hôtels ni même la pensée d’en trouver un. Je suis pressé de rentrer et j’attends au bord de la route, une des rares voitures qui s’aventurerait sur cette route réputée peu sûre. Et voilà que, au bout d’une bonne heure, une 403 camionnette, s’arrête. Elle est conduite par le père d’un de mes élèves et nous arrivons sains et saufs au bercail.

Le mois de juin se passe sans aucune nouvelle de mon CAP.

Le samedi 30 juin, dernier jour de classe aussi ...sauf que demain, dimanche est un autre jour, le 1er JUILLET 1962 et que ce sera l’Indépendance.

Malgré les promesses du FLN qui s’était engagé à protéger nos personnes et nos biens, je ne tiens pas à rester sur place et à 16h30, avec des collègues, je descends,(après une multitude de barrages et au milieu de foules de gens) sur Alger, direction l’Inspection Académique où j’arrive au pas de course à 17h55.

Le concierge (que je connais) se prépare à fermer DÉFINITIVEMENT la porte et me laisse entrer dans ces lieux familiers où j’avais travaillé pendantl’été 1960.

Sans difficulté, je trouve le bureau de M. Scotti, Inspecteur d'Académie Adjoint qui se prépare à mettre un point final à ses fonctions et à qui j’explique mon odyssée.

Après vérification, il se rassoit, renseigne le CAP vierge, le signe, le tamponne et me le remet.

Nous sortons ensemble et les portes se referment derrière nous.

C’est donc le dernier document, (obtenu de haute lutte) de l’Inspection Académique de l’Algérie Française que je détiens précieusement et sans lequel, je n’aurais pas pu faire valoir mes droits ni exercer ce métier que j’ai tant aimé.

En écrivant laborieusement ces lignes, surgissent d’autres souvenirs de cette époque où il fallait aimer notre pays natal par-dessus tout pour y demeurer.

Merci de les avoir lues et partagées : vous m’avez ainsi permis d’exorciser en partie, ces dures épreuves (et bien d’autres plus tragiques) que nous avons vécues, nous, les richissimes colons ....