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Le : 01/12/2025 15:44
André Trivès
UN PEUPLE ASSASSINE
Ma mémoire aujourd'hui doit faire de gros efforts pour éclaircir la vase des ragots et des chimères qui s'épaissit avec le temps et finit par semer le doute. On éructe sur notre passé avec la technique de l'amalgame, on parle à notre place et on raconte notre histoire avec une méthode qui a toujours fait ses preuves : la calomnie. Pourtant, celle que j'ai vécue à Bab el Oued avant 1962 me semble tellement proche et semblable de celle partagée avec tous mes voisins qui étaient nés et vivaient dans le quartier depuis des lustres que je me dis:" On est nombreux à connaître cette vie humble vécue ensemble côte à côte ; alors que le temps nous est compté, le moment n'est-il pas venu de témoigner ? Ce sont nos descendants qui en auront grand besoin le jour où nous ne serons plus là."
À Bab el Oued, l'arc en ciel a toujours fasciné le regard des enfants, pourtant il n'avait pas beaucoup de chance d'apparaître dans le ciel de Sidi Benour ou les contreforts de la Bouzaréah . En revanche, tous les jours, il illuminait d'une lumière aveuglante nos rues avec ses différentes couleurs : italienne, kabyle, française, espagnole, mozabite, maltaise et arabe. Il suffisait d'entendre dans les classes chaque matin l'appel du nom des élèves pour se rendre compte que l'harmonie des différences se mettait en forme sur les bancs de l'école et que le destin commun à tous ne ressemblait en rien à celui des pays d'ailleurs ; ici l'addition des pluralités cimentait de belles amitiés. Notre regretté Mohamed NEMMAS m'écrivait le 21 septembre 2005 :" Nous sommes comme des Asterix quelques récalcitrants qui n'arrivent pas à en démordre de cette culture ( véritable patchwork d'italiens, espagnols, maltais, crétois) et la tchatche qui coule dans les veines des purs de Bab el Oued fait que nous sommes et seront toujours un "cru" très rare." Il voulait dire par "cru très rare": un peuple unique en son genre.
L'échelle des valeurs qui s'imposait à tous était le dénominateur commun de toutes les cultures ; qu'elle soit d'origine ouvrière, d'influence religieuse ou d'inspiration coutumière, elle attribuait le rôle essentiel à la famille. Dans ce quartier à l'époque où les métiers manuels pénibles dominaient, on percevait une grande dignité dans l'accomplissement du travail, dans le nom de famille qui se portait avec orgueil, et dans cette affirmation:" Grâce à Dieu, à la maison on ne manque de rien." Impossible de transgresser les références à l'honneur, à l'honnêteté, à la fidélité, à la politesse, au travail bien fait, au respect des anciens et de la hiérarchie, à la solidarité et à l'amitié sans que l'on se fasse traité de "falso", "d'artaille", de"falampo", ou de " ch'mata ben ch'mata". Je revois le visage des personnes qui animaient les scènes de mon quotidien ; des petites gens, rien que des petites gens. J'entends leur voix et j'ai l'impression qu'elles me réclament une juste étincelle de fierté en rappelant l'½uvre modeste accomplie au cours de leur laborieuse destinée. Le film tourne en boucle avec le son d'un tango de Carlos Gardel qui déverse sa mélancolie et rappelle la rencontre des amoureux de la danse sur la piste de Matarèse dominant les bains Padovani. Nos pères revêtait le costume cintré du dimanche avec chemise en popeline à col cassé et n½ud papillon, tandis que nos mères encore jeunes filles, s'habillaient dans le plus bel apparat, gantées et chapeautées dans une robe longue fabriquée par leur maman, avec un col de guipure décoré par une broche en or ou un camélia. Ils glissaient leurs pas sur le parquet enfariné bercé par un air cajoleur de rumba. La fête s'installait au rythme effréné d'un banjo qui accompagnait un charleston, la danse à la mode. Puis s'enchaînait la série de valses musettes enlacés dans l'harmonie d'un accordéon qui les soûlait de virevoltes infinies autour de la piste. Et, lorsque la marche cadencée d'un passo-doble euphorisait la salle toute entière, c'était, avant tout, parce qu'elle rappelait leurs origines espagnoles. Ils reprenaient leur souffle sur la terrasse qui surplombait la plage déserte et grillaient une dernière cigarette. Le temps semblait suspendu pour l'éternité. Un dernier fox-trot endiablé sonnait l'heure de la rentrée. Tous pensaient déjà au travail du lendemain qui les attendait sur les chantiers dès l'aube ; ce n'était pas agréable de renouer avec les brûlures des crevasses qui ensanglantaient leurs mains.
Ces jeunes filles et ces jeunes garçons transportés d'enthousiasme, se quittaient au crépuscule de la nuit, heureux d'avoir assouvi leur passion pour la danse à Padovani où, durant quelques heures, ils avaient mis entre parenthèses la dureté de leur quotidien... Tous avaient hâte de se retrouver le dimanche prochain.
Cette jeunesse devenue responsable de famille à son tour trimait pour leurs enfants afin d'accorder un mieux à la condition ouvrière des années d'après guerre.
Les jours de fête religieuse, à l'occasion de l'Aïd, de Kippour ou des Rameaux, une grande liesse s'emparait du quartier où toutes les attentions se portaient sur les enfants qui avaient le rôle principal. Ils étaient habillés sur leur "trente et un" et jouaient sans le savoir la plus belle parade de l'innocence qui aurait pu s'intitulait:" Amour et Fraternité ". Avec une mimique juvénile pleine de candeur, des rubans multicolores noués dans les cheveux des filles qui ressemblaient à des poupées de collection, elles parcouraient les rues du quartier en tenant la main de leur frère en veste et culotte courte avec mi-bas, le visage dégoulinant de brillantine et de gomina. Ainsi, les rues de Bab el Oued sentait le jasmin, le "rêve d'or" et l'eau de Cologne.
Dans ce quartier populaire, faire la fête était un besoin et tous, juifs, musulmans et chrétiens s'appliquaient culturellement à la répandre autour d'eux. Un exemple de fraternité : l'assiette de gâteaux traditionnels offerte entre voisins. Ces souvenirs encore vivaces en moi peuvent paraître puérils, il n'en demeure pas moins qu'ils m'ont guidé toute ma vie à rester un homme fier de ce passé que nous avons vécu ensemble. Dans toutes les époques, lorsqu'on voulait expliquer sociologiquement BAB EL OUED, la porte de l'oued M'kacel, on y précisait:" quartier populaire et ouvrier à l'ouest d'Alger où toutes les communautés vivent ensemble du man½uvre au technicien, du fonctionnaire au petit commerçant". Pour tous ces man½uvres, ces techniciens, ces fonctionnaires et petits commerçants nés dans le quartier et qui ne le quittaient que pour aller se reposer définitivement dans les cimetières d'El Khettar et de Saint-Eugène, j'éprouve une grande fierté de les remettre à l'honneur aujourd'hui.
Un peuple nouveau, unique en son genre, était né à Bab el Oued de ce magnifique arc en ciel qui illuminait nos rues ; un destin sordide l'a réduit au rang de souvenir et inéluctablement il disparaîtra avec les derniers témoins qui auront quitté ce monde.
UN PEUPLE ASSASSINE
Ma mémoire aujourd'hui doit faire de gros efforts pour éclaircir la vase des ragots et des chimères qui s'épaissit avec le temps et finit par semer le doute. On éructe sur notre passé avec la technique de l'amalgame, on parle à notre place et on raconte notre histoire avec une méthode qui a toujours fait ses preuves : la calomnie. Pourtant, celle que j'ai vécue à Bab el Oued avant 1962 me semble tellement proche et semblable de celle partagée avec tous mes voisins qui étaient nés et vivaient dans le quartier depuis des lustres que je me dis:" On est nombreux à connaître cette vie humble vécue ensemble côte à côte ; alors que le temps nous est compté, le moment n'est-il pas venu de témoigner ? Ce sont nos descendants qui en auront grand besoin le jour où nous ne serons plus là."
À Bab el Oued, l'arc en ciel a toujours fasciné le regard des enfants, pourtant il n'avait pas beaucoup de chance d'apparaître dans le ciel de Sidi Benour ou les contreforts de la Bouzaréah . En revanche, tous les jours, il illuminait d'une lumière aveuglante nos rues avec ses différentes couleurs : italienne, kabyle, française, espagnole, mozabite, maltaise et arabe. Il suffisait d'entendre dans les classes chaque matin l'appel du nom des élèves pour se rendre compte que l'harmonie des différences se mettait en forme sur les bancs de l'école et que le destin commun à tous ne ressemblait en rien à celui des pays d'ailleurs ; ici l'addition des pluralités cimentait de belles amitiés. Notre regretté Mohamed NEMMAS m'écrivait le 21 septembre 2005 :" Nous sommes comme des Asterix quelques récalcitrants qui n'arrivent pas à en démordre de cette culture ( véritable patchwork d'italiens, espagnols, maltais, crétois) et la tchatche qui coule dans les veines des purs de Bab el Oued fait que nous sommes et seront toujours un "cru" très rare." Il voulait dire par "cru très rare": un peuple unique en son genre.
L'échelle des valeurs qui s'imposait à tous était le dénominateur commun de toutes les cultures ; qu'elle soit d'origine ouvrière, d'influence religieuse ou d'inspiration coutumière, elle attribuait le rôle essentiel à la famille. Dans ce quartier à l'époque où les métiers manuels pénibles dominaient, on percevait une grande dignité dans l'accomplissement du travail, dans le nom de famille qui se portait avec orgueil, et dans cette affirmation:" Grâce à Dieu, à la maison on ne manque de rien." Impossible de transgresser les références à l'honneur, à l'honnêteté, à la fidélité, à la politesse, au travail bien fait, au respect des anciens et de la hiérarchie, à la solidarité et à l'amitié sans que l'on se fasse traité de "falso", "d'artaille", de"falampo", ou de " ch'mata ben ch'mata". Je revois le visage des personnes qui animaient les scènes de mon quotidien ; des petites gens, rien que des petites gens. J'entends leur voix et j'ai l'impression qu'elles me réclament une juste étincelle de fierté en rappelant l'½uvre modeste accomplie au cours de leur laborieuse destinée. Le film tourne en boucle avec le son d'un tango de Carlos Gardel qui déverse sa mélancolie et rappelle la rencontre des amoureux de la danse sur la piste de Matarèse dominant les bains Padovani. Nos pères revêtait le costume cintré du dimanche avec chemise en popeline à col cassé et n½ud papillon, tandis que nos mères encore jeunes filles, s'habillaient dans le plus bel apparat, gantées et chapeautées dans une robe longue fabriquée par leur maman, avec un col de guipure décoré par une broche en or ou un camélia. Ils glissaient leurs pas sur le parquet enfariné bercé par un air cajoleur de rumba. La fête s'installait au rythme effréné d'un banjo qui accompagnait un charleston, la danse à la mode. Puis s'enchaînait la série de valses musettes enlacés dans l'harmonie d'un accordéon qui les soûlait de virevoltes infinies autour de la piste. Et, lorsque la marche cadencée d'un passo-doble euphorisait la salle toute entière, c'était, avant tout, parce qu'elle rappelait leurs origines espagnoles. Ils reprenaient leur souffle sur la terrasse qui surplombait la plage déserte et grillaient une dernière cigarette. Le temps semblait suspendu pour l'éternité. Un dernier fox-trot endiablé sonnait l'heure de la rentrée. Tous pensaient déjà au travail du lendemain qui les attendait sur les chantiers dès l'aube ; ce n'était pas agréable de renouer avec les brûlures des crevasses qui ensanglantaient leurs mains.
Ces jeunes filles et ces jeunes garçons transportés d'enthousiasme, se quittaient au crépuscule de la nuit, heureux d'avoir assouvi leur passion pour la danse à Padovani où, durant quelques heures, ils avaient mis entre parenthèses la dureté de leur quotidien... Tous avaient hâte de se retrouver le dimanche prochain.
Cette jeunesse devenue responsable de famille à son tour trimait pour leurs enfants afin d'accorder un mieux à la condition ouvrière des années d'après guerre.
Les jours de fête religieuse, à l'occasion de l'Aïd, de Kippour ou des Rameaux, une grande liesse s'emparait du quartier où toutes les attentions se portaient sur les enfants qui avaient le rôle principal. Ils étaient habillés sur leur "trente et un" et jouaient sans le savoir la plus belle parade de l'innocence qui aurait pu s'intitulait:" Amour et Fraternité ". Avec une mimique juvénile pleine de candeur, des rubans multicolores noués dans les cheveux des filles qui ressemblaient à des poupées de collection, elles parcouraient les rues du quartier en tenant la main de leur frère en veste et culotte courte avec mi-bas, le visage dégoulinant de brillantine et de gomina. Ainsi, les rues de Bab el Oued sentait le jasmin, le "rêve d'or" et l'eau de Cologne.
Dans ce quartier populaire, faire la fête était un besoin et tous, juifs, musulmans et chrétiens s'appliquaient culturellement à la répandre autour d'eux. Un exemple de fraternité : l'assiette de gâteaux traditionnels offerte entre voisins. Ces souvenirs encore vivaces en moi peuvent paraître puérils, il n'en demeure pas moins qu'ils m'ont guidé toute ma vie à rester un homme fier de ce passé que nous avons vécu ensemble. Dans toutes les époques, lorsqu'on voulait expliquer sociologiquement BAB EL OUED, la porte de l'oued M'kacel, on y précisait:" quartier populaire et ouvrier à l'ouest d'Alger où toutes les communautés vivent ensemble du man½uvre au technicien, du fonctionnaire au petit commerçant". Pour tous ces man½uvres, ces techniciens, ces fonctionnaires et petits commerçants nés dans le quartier et qui ne le quittaient que pour aller se reposer définitivement dans les cimetières d'El Khettar et de Saint-Eugène, j'éprouve une grande fierté de les remettre à l'honneur aujourd'hui.
Un peuple nouveau, unique en son genre, était né à Bab el Oued de ce magnifique arc en ciel qui illuminait nos rues ; un destin sordide l'a réduit au rang de souvenir et inéluctablement il disparaîtra avec les derniers témoins qui auront quitté ce monde.
Le : 01/12/2025 08:41
Merci Antoine de nous faire revivre les meilleurs moments de notre vie là bas. Non les textes ne sont pas trop longs et le site n'est pas encombré au contraire. Nous vieillissons et dans quelques années ce sera terminé alors profitons en.
Les livres de notre ami André, que j'ai tous lus, nous font tellement de bien.
Alors messieurs continuez à nous faire rêver sans modération.
Les livres de notre ami André, que j'ai tous lus, nous font tellement de bien.
Alors messieurs continuez à nous faire rêver sans modération.
Le : 01/12/2025 08:36
Merci encore pour ces publications qui nous permettent de revivre les meilleurs moments de notre vie là b
Le : 30/11/2025 15:27
Tony,
Toutes les publicités à but LUCRATIF sont interdites sur le site et seront effacées sans avertissement.
Christian
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Christian
Le : 30/11/2025 14:34
Bonjour les ami-e-s
J'aimerais avoir vos avis sur les publications de Hubert Zakine que je fais suivre sur le site. J'ai beaucoup de scrupules à le faire tant ils semblent en prendre une place énorme. Mais ses écrits nous touchent tellement et sont si bien formulés que les partager avec vous toutes et tous, me semble une évidence.
Je pense que Christian et vous, ne m'en tiendrez pas rigueur mais sait-on jamais.
Par ailleurs, d'autres auteurs de chez nous méritent d'être lus et personnellement, je crois que nous serions nombreux à lire des extraits des merveilleux livres de notre ami André Trivès : je les ai tous et ils nous permettraient de les acquérir.
J'attends vos remarques.
Bon dimanche .
J'aimerais avoir vos avis sur les publications de Hubert Zakine que je fais suivre sur le site. J'ai beaucoup de scrupules à le faire tant ils semblent en prendre une place énorme. Mais ses écrits nous touchent tellement et sont si bien formulés que les partager avec vous toutes et tous, me semble une évidence.
Je pense que Christian et vous, ne m'en tiendrez pas rigueur mais sait-on jamais.
Par ailleurs, d'autres auteurs de chez nous méritent d'être lus et personnellement, je crois que nous serions nombreux à lire des extraits des merveilleux livres de notre ami André Trivès : je les ai tous et ils nous permettraient de les acquérir.
J'attends vos remarques.
Bon dimanche .
Le : 18/11/2025 09:04
Merci pour ce message des femmes de la bas...
Comment nos grands mères réagiraient si elles resurgissaient aujourd'hui ?
Déjà que ces nouvelles technologies c'est pas toujours simple pour nous...
Comment nos grands mères réagiraient si elles resurgissaient aujourd'hui ?
Déjà que ces nouvelles technologies c'est pas toujours simple pour nous...
Le : 17/11/2025 16:01
NOUVELLES DE LA BAS TOME 5 DE HUBERT ZAKINE.
La femme
La femme de mon pays représentait l’archétype de la méditerranéenne. Tout feu tout flamme, elle gérait sa vie à travers sa famille, son mari, ses enfants, ses parents, ses frères, ses s½urs, ses oncles, ses tantes, ses neveux et ses nièces. Ajoutez-y quelques voisines, amies d’enfance ou commerçantes du quartier et vous en aurez fait le tour.
Trésor de bonté, elle était capable d’emportements légendaires si ses enfants étaient visés par la médisance, la méchanceté ou un procès d’intention. Elle puisait dans ses souvenirs d’enfance les leçons du passé. Déjà toute petite, alors que ses frères s’escrimaient dans le couloir à imiter les vedettes locales du ballon rond, elle aidait sa maman à éplucher un légume, à faire les lits, à préparer un repas pour le seul plaisir de jouer à la mère de famille. Elle ne savait pas encore que ce jeu de rôles l’accompagnerait tout au long de sa future vie de femme mariée et de mère de famille. Etudiante, vendeuse, secrétaire, dactylo ou couturière, la jeune fille n’échappait pas à la règle commune qui voulait la voir emprunter le chemin de ses aînées. Aussi, s’obligeait–elle à mener de front la quête du savoir culturel et du savoir traditionnel qui prenait sa source au sein même de la maison familiale. Tout au moins jusqu’à son mariage.
Autrefois, s’inspirant des us et coutumes en vigueur dans les pays méditerranéens, les parents considéraient que la réussite des études s ‘appliquait prioritairement aux garçons, futurs chefs de famille et à ce titre, détenteur d’un métier susceptible de « faire bouillir la marmite ».
Aussi, la jeune fille délaissait le savoir des écoles pour celui de la femme d’intérieur. Comme sa mère et sa grand mère avant elle. Comme la majeure partie des femmes de ces pays orientaux qui semble faire la part belle à l’homme mais qui mesure à sa juste valeur l’importance de la place et du rôle déterminant de l’épouse et plus tard de la mère de famille au sein du foyer.
Femme d’intérieur, la femme de Bab El Oued l’était assurément. Elle bichonnait son appartement avec une assiduité quasi maladive. Allergique à la poussière, elle « aérait » les chambres à grands coups de courant d’air, battait les tapis et les matelas au balcon, lavait le carrelage à grande eau qu ‘elle essuyait armée du célébrissime « chiffon à laver le parterre », nettoyait les vitres et les miroirs avec du papier journal « que mon ami, les produits de maintenant c’est de la zoubia ! », retapait les lits en un tour de main après les avoir « laissé respirer »,
Son emploi du temps reposait sur des horaires précises, du lever au coucher sans se soucier du nombre de minutes passées au service de sa maisonnée.
Entre le ménage, les « commissions » au marché, le bavardage sur le chemin du retour ou sur le balcon avec une voisine en panne de menu, la préparation des repas du midi et du soir, le repassage, la sieste, la descente au jardin, la visite à un parent, la journée était bien remplie. Sans compter la grande lessive une fois par semaine sur la terrasse de l’immeuble où elle résidait. Cette lessive, dé ! Un véritable bonheur pour les enfants !
La terrasse des immeubles de Bab El Oued offrait la possibilité d’admirer le superbe panorama d’Alger. Mais la fonction première de ces terrasses du bout du monde se déclinait au féminin. En effet, une journée par mois ou par semaine selon le nombre de résidants, la terrasse, sa superficie et sa buanderie, était réservée à une famille qui s’empressait de « se taper la lessive » mon ami, souâ-souâ !
La maîtresse de maison rameutait une ou plusieurs s½urs pour lui donner la main afin de laver, astiquer, brosser, blanchir tous les vêtements de sa maisonnée. Qui n’a pas vu une femme de chez nous frotter son linge avec une brosse à chien dent ne sait pas ce que veut dire le mot « laver ». La voir s’escrimer si longtemps sur un vêtement que les enfants mettent si peu de temps à salir relèverait de la psychanalyse si le qu’en dira t-on n’était pas considéré en ce pays comme une valeur universelle et si les mauvaises langues ne se déliaient aussi aisément.
Comme disait Madame Noguès : « Il n’y a pas de mauvaises langues, il n’y a que des langues bien pendues ! »
Les enfants de la famille profitaient de l’espace offert par la terrasse pour s’amuser bien sur mais aussi pour s’inventer des histoires de corsaires, flibustiers et autres boucaniers, le nez au vent et la mer pour décor. Les filles dessinaient le jeu de la marelle, jetaient la boite de « chique « en fer blanc pour, à cloche pieds, la guider vers le ciel ou le paradis. Possibilité rarement offerte car les « chitanes » ne se gênaient pas pour « shooter » dans la boite en fer, feignant la maladresse devant les cris indignées des « demoiselles ».
L’odeur de la javel, de cristaux de soude, de savon arabe et autre lavette appartenant à l’histoire de la femme « pied noir » et à la vénération qu’elle voue à la propreté embaumait le quartier jusque tard dans la nuit.
Ces odeurs, je les garde en moi comme des sensations d’une autre époque, d’un autre lieu, d’un autre continent, d’un paradis à jamais perdu.
Douée pour la cuisine, la femme de Bab El Oued l’était assurément.
Imprégnée de toutes les influences méditerranéennes, sa cuisine chantait le soleil, la joie de vivre et les épices orientales. Elle accommodait ses plats avec le savoir faire ancestral de la famille et du voisinage.
S’il manquait un ingrédient, plutôt que de réaliser une cuisine fade, sans saveur et sans goût, elle n’hésitait pas à quémander à une voisine une dose de « kemoun », une pincée de « flio » ou quelques branches d’origan.
Ainsi parfumé, son plat sentait les jardins d’Italie, d’Espagne et d’Arabie et régalait les palais les plus difficiles, orientalisait le plat le plus banal.
La femme de chez moi aimait la bonne chère. Aussi, ne mesurait-elle jamais son temps ni son travail pour confectionner une cuisine mijotée. Aux petits soins avec ses marmites, elle goûtait sa loubia, sa sépia au noir ou son riz à l’espagnol une bonne vingtaine de fois pendant la cuisson, dosant au gramme près les ingrédients nécessaires au ravissement du palais.
Elle ne respectait que le savoir transmis par les femmes de sa famille qui ne parlait pas de grammes ou de centilitres mais de pincées ou de versées. Elles possédaient le chic, la main pour doser convenablement les ingrédients.
La crainte de cuisiner « mesquin » rivée au corps, la femme de chez moi cuisinait « les yeux plus gros que le ventre ». La devise de la cuisinière pied noir se déclinait par un « il vaut mieux faire envie que pitié ! ».
Elle n’oubliait jamais de préciser : « c’est pas perdu ! »
Si un invité ne demandait pas une deuxième part, le doute s’insinuait en elle : « elle est pas bonne ma loubia ? ». Si la réponse la satisfaisait sur la qualité de son plat, elle s’inquiétait : « dis Paulette, ton fils il a un appétit d’oiseau. Tu devrais le montrer à Machtou ! ». Machtou, c’était le docteur de la famille. Sa cuisine gourmande ne souffrait pas les petits appétits. Si l’invité se comportait en « morfal », la femme pied noir se décernait une étoile de plus au guide Michelin de Bab El Oued. Et comme, grâce à Dieu, le faubourg fourmillait de « morfals »…….
Malgré certaines mauvaises langues qui dénigraient tout et n’importe quoi, l’état d’esprit général se voulait magnanime. En effet, toutes logées à la même enseigne, les femmes du faubourg, conscientes du rôle essentiel qu’elles remplissaient au sein de leur foyer, se faisaient un devoir de complimenter leurs congénères. « Critiquer les autres, c’était se critiquer soi-même » pensaient-elles à juste titre. Car nos mères partageaient leur savoir-faire avec les voisines qui se pâmaient volontiers sur un plat dont elles ignoraient la composition. Goûtées lors des fêtes religieuses au c½ur d’assiettes gourmandes offertes au voisinage, les pâtisseries italiennes, espagnoles, arabes ou juives détenaient la palme de cette marque d’affection par assiettées témoignée.
Ainsi se nouaient au fil du temps une communion d’esprit entre toutes ces femmes d’Algérie qui maniaient les vertus de maîtresse de maison avec abnégation, courage et talent.
La femme de Bab El Oued était à l’image des femmes méditerranéennes. Avant les années soixante, la jeune fille travaillait jusqu’au jour où une robe de mariée lui ravissait le c½ur. Alors, pour la plupart d’entre elles, l’appartement des jeunes époux devenait sa propriété, son « chez elle », sa Maison. Le champ clos de son horizon s’arrêtait là où commençait son foyer. Elle s’appuyait sur l’exemple de sa mère, voire de sa grand-mère, apprenait des autres femmes de la famille ou du voisinage ce qu’elle n’avait pas encore assimilé.
Au bout de quelques semaines, elle maîtrisait la confection d’une paëlla, d’un couscous ou d’une bonne pastière. Elle portait fièrement le nom de son époux et si elle revenait souvent à ses « années demoiselles » auprès de sa mère, elle les abandonnait, dans un sourire, pour écrire le roman de sa vie.
Après avoir apprivoisé les comptes du ménage, elle prenait les rênes de son foyer. Elle s’investissait alors ministre des finances. Puis quand le cri de bébé ensoleillait sa maison, elle prenait le portefeuille de l’éducation puis une fois son enfant scolarisé, de l’enseignement. Le mari, premier ministre de fortune, s’accommodant très bien des fonctions de son épouse, le temps pour lui au sortir du travail, de traîner au café avec quelques amis de la prime enfance.
La femme de chez nous maniait l’art de materner avec mansuétude. Elle se faisait des « kilos de mauvais sang » à la moindre toux de son enfant. Douée jusqu’à la déraison pour l’inquiétude, elle soignait avec des remèdes de grand-mère comme les ventouses, l’huile chaude dans les oreilles et la friction à l’anisette sur la tête, le cataplasme de choux ou la ouate thermogène mais l’enveloppement d’alcool gardait sa préférence.
Un carré de sucre dans la poche pour le creux de dix heures, l’écolier pouvait alors affronter le calcul mental et l’analyse. Un peu d’eau sucrée quand le vin était absent et voilà l’enfant remonté comme une pendule. Et pourquoi pas un peu de quinquina ? Le quatre heures, la maman de chez nous pouvait offrir à ses enfants un café au lait mais elle préférait une versée d’huile d’olive et du sucre en poudre dans une assiette, un morceau de pain et le tour était joué. « C’est le meilleur fortifiant ! » répétait –elle à son fils qui lorgnait sur la tablette de chocolat Lefèvre.
La femme adorait se moquer d’autrui. Gentiment, sans méchanceté simplement pour le plaisir d’attraper un bon fou rire. Car le rire détenait la première place au Panthéon des vertus du pied noir. Pour un oui, pour un non, le rire s’installait pour se travestir en franche rigolade dans ce pays, cette ville, ce quartier où la misère fut le dénominateur commun de ces pauvres gens qui avaient fui la pauvreté.
La femme de chez moi, femme méditerranéenne jusqu’au bout des ongles, adepte de la dramatisation du moindre incident frôlant sa maisonnée, dotée d’une foi inébranlable en sa religion, sa famille et son pouvoir, fille de l’Orient et de l’Occident, aux valeurs immuables héritées de son entourage familial, femme souvent sacrifiée aux besoins de ses enfants mais dont la fatalité orientale la dédouanait autant qu’elle la protégeait, femme aux multiples courages et aux multiples origines, qui se vautrait dans le drapeau tricolore, qui chantait la marseillaise comme on appelle au secours avant la noyade, femme de chez moi qui s’abandonnait à la fierté en regardant son enfant, sans pudeur et sans faux-semblant, femme d’Algérie tout simplement. Merci !
La femme
La femme de mon pays représentait l’archétype de la méditerranéenne. Tout feu tout flamme, elle gérait sa vie à travers sa famille, son mari, ses enfants, ses parents, ses frères, ses s½urs, ses oncles, ses tantes, ses neveux et ses nièces. Ajoutez-y quelques voisines, amies d’enfance ou commerçantes du quartier et vous en aurez fait le tour.
Trésor de bonté, elle était capable d’emportements légendaires si ses enfants étaient visés par la médisance, la méchanceté ou un procès d’intention. Elle puisait dans ses souvenirs d’enfance les leçons du passé. Déjà toute petite, alors que ses frères s’escrimaient dans le couloir à imiter les vedettes locales du ballon rond, elle aidait sa maman à éplucher un légume, à faire les lits, à préparer un repas pour le seul plaisir de jouer à la mère de famille. Elle ne savait pas encore que ce jeu de rôles l’accompagnerait tout au long de sa future vie de femme mariée et de mère de famille. Etudiante, vendeuse, secrétaire, dactylo ou couturière, la jeune fille n’échappait pas à la règle commune qui voulait la voir emprunter le chemin de ses aînées. Aussi, s’obligeait–elle à mener de front la quête du savoir culturel et du savoir traditionnel qui prenait sa source au sein même de la maison familiale. Tout au moins jusqu’à son mariage.
Autrefois, s’inspirant des us et coutumes en vigueur dans les pays méditerranéens, les parents considéraient que la réussite des études s ‘appliquait prioritairement aux garçons, futurs chefs de famille et à ce titre, détenteur d’un métier susceptible de « faire bouillir la marmite ».
Aussi, la jeune fille délaissait le savoir des écoles pour celui de la femme d’intérieur. Comme sa mère et sa grand mère avant elle. Comme la majeure partie des femmes de ces pays orientaux qui semble faire la part belle à l’homme mais qui mesure à sa juste valeur l’importance de la place et du rôle déterminant de l’épouse et plus tard de la mère de famille au sein du foyer.
Femme d’intérieur, la femme de Bab El Oued l’était assurément. Elle bichonnait son appartement avec une assiduité quasi maladive. Allergique à la poussière, elle « aérait » les chambres à grands coups de courant d’air, battait les tapis et les matelas au balcon, lavait le carrelage à grande eau qu ‘elle essuyait armée du célébrissime « chiffon à laver le parterre », nettoyait les vitres et les miroirs avec du papier journal « que mon ami, les produits de maintenant c’est de la zoubia ! », retapait les lits en un tour de main après les avoir « laissé respirer »,
Son emploi du temps reposait sur des horaires précises, du lever au coucher sans se soucier du nombre de minutes passées au service de sa maisonnée.
Entre le ménage, les « commissions » au marché, le bavardage sur le chemin du retour ou sur le balcon avec une voisine en panne de menu, la préparation des repas du midi et du soir, le repassage, la sieste, la descente au jardin, la visite à un parent, la journée était bien remplie. Sans compter la grande lessive une fois par semaine sur la terrasse de l’immeuble où elle résidait. Cette lessive, dé ! Un véritable bonheur pour les enfants !
La terrasse des immeubles de Bab El Oued offrait la possibilité d’admirer le superbe panorama d’Alger. Mais la fonction première de ces terrasses du bout du monde se déclinait au féminin. En effet, une journée par mois ou par semaine selon le nombre de résidants, la terrasse, sa superficie et sa buanderie, était réservée à une famille qui s’empressait de « se taper la lessive » mon ami, souâ-souâ !
La maîtresse de maison rameutait une ou plusieurs s½urs pour lui donner la main afin de laver, astiquer, brosser, blanchir tous les vêtements de sa maisonnée. Qui n’a pas vu une femme de chez nous frotter son linge avec une brosse à chien dent ne sait pas ce que veut dire le mot « laver ». La voir s’escrimer si longtemps sur un vêtement que les enfants mettent si peu de temps à salir relèverait de la psychanalyse si le qu’en dira t-on n’était pas considéré en ce pays comme une valeur universelle et si les mauvaises langues ne se déliaient aussi aisément.
Comme disait Madame Noguès : « Il n’y a pas de mauvaises langues, il n’y a que des langues bien pendues ! »
Les enfants de la famille profitaient de l’espace offert par la terrasse pour s’amuser bien sur mais aussi pour s’inventer des histoires de corsaires, flibustiers et autres boucaniers, le nez au vent et la mer pour décor. Les filles dessinaient le jeu de la marelle, jetaient la boite de « chique « en fer blanc pour, à cloche pieds, la guider vers le ciel ou le paradis. Possibilité rarement offerte car les « chitanes » ne se gênaient pas pour « shooter » dans la boite en fer, feignant la maladresse devant les cris indignées des « demoiselles ».
L’odeur de la javel, de cristaux de soude, de savon arabe et autre lavette appartenant à l’histoire de la femme « pied noir » et à la vénération qu’elle voue à la propreté embaumait le quartier jusque tard dans la nuit.
Ces odeurs, je les garde en moi comme des sensations d’une autre époque, d’un autre lieu, d’un autre continent, d’un paradis à jamais perdu.
Douée pour la cuisine, la femme de Bab El Oued l’était assurément.
Imprégnée de toutes les influences méditerranéennes, sa cuisine chantait le soleil, la joie de vivre et les épices orientales. Elle accommodait ses plats avec le savoir faire ancestral de la famille et du voisinage.
S’il manquait un ingrédient, plutôt que de réaliser une cuisine fade, sans saveur et sans goût, elle n’hésitait pas à quémander à une voisine une dose de « kemoun », une pincée de « flio » ou quelques branches d’origan.
Ainsi parfumé, son plat sentait les jardins d’Italie, d’Espagne et d’Arabie et régalait les palais les plus difficiles, orientalisait le plat le plus banal.
La femme de chez moi aimait la bonne chère. Aussi, ne mesurait-elle jamais son temps ni son travail pour confectionner une cuisine mijotée. Aux petits soins avec ses marmites, elle goûtait sa loubia, sa sépia au noir ou son riz à l’espagnol une bonne vingtaine de fois pendant la cuisson, dosant au gramme près les ingrédients nécessaires au ravissement du palais.
Elle ne respectait que le savoir transmis par les femmes de sa famille qui ne parlait pas de grammes ou de centilitres mais de pincées ou de versées. Elles possédaient le chic, la main pour doser convenablement les ingrédients.
La crainte de cuisiner « mesquin » rivée au corps, la femme de chez moi cuisinait « les yeux plus gros que le ventre ». La devise de la cuisinière pied noir se déclinait par un « il vaut mieux faire envie que pitié ! ».
Elle n’oubliait jamais de préciser : « c’est pas perdu ! »
Si un invité ne demandait pas une deuxième part, le doute s’insinuait en elle : « elle est pas bonne ma loubia ? ». Si la réponse la satisfaisait sur la qualité de son plat, elle s’inquiétait : « dis Paulette, ton fils il a un appétit d’oiseau. Tu devrais le montrer à Machtou ! ». Machtou, c’était le docteur de la famille. Sa cuisine gourmande ne souffrait pas les petits appétits. Si l’invité se comportait en « morfal », la femme pied noir se décernait une étoile de plus au guide Michelin de Bab El Oued. Et comme, grâce à Dieu, le faubourg fourmillait de « morfals »…….
Malgré certaines mauvaises langues qui dénigraient tout et n’importe quoi, l’état d’esprit général se voulait magnanime. En effet, toutes logées à la même enseigne, les femmes du faubourg, conscientes du rôle essentiel qu’elles remplissaient au sein de leur foyer, se faisaient un devoir de complimenter leurs congénères. « Critiquer les autres, c’était se critiquer soi-même » pensaient-elles à juste titre. Car nos mères partageaient leur savoir-faire avec les voisines qui se pâmaient volontiers sur un plat dont elles ignoraient la composition. Goûtées lors des fêtes religieuses au c½ur d’assiettes gourmandes offertes au voisinage, les pâtisseries italiennes, espagnoles, arabes ou juives détenaient la palme de cette marque d’affection par assiettées témoignée.
Ainsi se nouaient au fil du temps une communion d’esprit entre toutes ces femmes d’Algérie qui maniaient les vertus de maîtresse de maison avec abnégation, courage et talent.
La femme de Bab El Oued était à l’image des femmes méditerranéennes. Avant les années soixante, la jeune fille travaillait jusqu’au jour où une robe de mariée lui ravissait le c½ur. Alors, pour la plupart d’entre elles, l’appartement des jeunes époux devenait sa propriété, son « chez elle », sa Maison. Le champ clos de son horizon s’arrêtait là où commençait son foyer. Elle s’appuyait sur l’exemple de sa mère, voire de sa grand-mère, apprenait des autres femmes de la famille ou du voisinage ce qu’elle n’avait pas encore assimilé.
Au bout de quelques semaines, elle maîtrisait la confection d’une paëlla, d’un couscous ou d’une bonne pastière. Elle portait fièrement le nom de son époux et si elle revenait souvent à ses « années demoiselles » auprès de sa mère, elle les abandonnait, dans un sourire, pour écrire le roman de sa vie.
Après avoir apprivoisé les comptes du ménage, elle prenait les rênes de son foyer. Elle s’investissait alors ministre des finances. Puis quand le cri de bébé ensoleillait sa maison, elle prenait le portefeuille de l’éducation puis une fois son enfant scolarisé, de l’enseignement. Le mari, premier ministre de fortune, s’accommodant très bien des fonctions de son épouse, le temps pour lui au sortir du travail, de traîner au café avec quelques amis de la prime enfance.
La femme de chez nous maniait l’art de materner avec mansuétude. Elle se faisait des « kilos de mauvais sang » à la moindre toux de son enfant. Douée jusqu’à la déraison pour l’inquiétude, elle soignait avec des remèdes de grand-mère comme les ventouses, l’huile chaude dans les oreilles et la friction à l’anisette sur la tête, le cataplasme de choux ou la ouate thermogène mais l’enveloppement d’alcool gardait sa préférence.
Un carré de sucre dans la poche pour le creux de dix heures, l’écolier pouvait alors affronter le calcul mental et l’analyse. Un peu d’eau sucrée quand le vin était absent et voilà l’enfant remonté comme une pendule. Et pourquoi pas un peu de quinquina ? Le quatre heures, la maman de chez nous pouvait offrir à ses enfants un café au lait mais elle préférait une versée d’huile d’olive et du sucre en poudre dans une assiette, un morceau de pain et le tour était joué. « C’est le meilleur fortifiant ! » répétait –elle à son fils qui lorgnait sur la tablette de chocolat Lefèvre.
La femme adorait se moquer d’autrui. Gentiment, sans méchanceté simplement pour le plaisir d’attraper un bon fou rire. Car le rire détenait la première place au Panthéon des vertus du pied noir. Pour un oui, pour un non, le rire s’installait pour se travestir en franche rigolade dans ce pays, cette ville, ce quartier où la misère fut le dénominateur commun de ces pauvres gens qui avaient fui la pauvreté.
La femme de chez moi, femme méditerranéenne jusqu’au bout des ongles, adepte de la dramatisation du moindre incident frôlant sa maisonnée, dotée d’une foi inébranlable en sa religion, sa famille et son pouvoir, fille de l’Orient et de l’Occident, aux valeurs immuables héritées de son entourage familial, femme souvent sacrifiée aux besoins de ses enfants mais dont la fatalité orientale la dédouanait autant qu’elle la protégeait, femme aux multiples courages et aux multiples origines, qui se vautrait dans le drapeau tricolore, qui chantait la marseillaise comme on appelle au secours avant la noyade, femme de chez moi qui s’abandonnait à la fierté en regardant son enfant, sans pudeur et sans faux-semblant, femme d’Algérie tout simplement. Merci !
Le : 16/11/2025 10:43
Salut tout le monde
Quelqu'un peut-il m'aider, j'essaye d'aller sur les photos oualou
Quelqu'un peut-il m'aider, j'essaye d'aller sur les photos oualou
Le : 15/11/2025 09:29
bonjour a tous mes amis pn de beo et d ailleurs
ils sont ou les oualiones de la clique des messageries j espère que tout va bien
juste un petit coucou de Paris
ils sont ou les oualiones de la clique des messageries j espère que tout va bien
juste un petit coucou de Paris
Le : 22/10/2025 18:54
Très beau texte Jean - Pierre qui peut s'appliquer à beaucoup de nos compatriotes de cette génération.
Guy MARI
Guy MARI
