Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

André TRIVES

Le : 23/11/2013 08:50

Un souvenir d'enfance déjà publié afin de répondre à la demande de Mustapha et en faire profiter ceux qui l'auraient zappé...Ce texte figurera dans mon prochain livre qui s'appellera :

BAB EL OUED FOR EVER.

NOCES DE BAB EL OUED A TIPASA.

J’ai toujours ce besoin incontrôlable de trifouiller dans l’enregistrement de ma mémoire ancienne où sont rangés les bons et les mauvais souvenirs de ma jeunesse vécue en Algérie. Je pousse la porte de la salle des archives ; les grincements me rappellent qu'il y a bien longtemps que je n’y suis venu. Dans la pénombre, sans hésitation, je me dirige vers le rayonnage blanchi d’une épaisse poussière. Sur l’étagère branlante, je saisis la bobine où figurent les images en noir et blanc d’une inoubliable sortie éducative à la découverte des ruines romaines de Tipasa organisée par notre instituteur de l’école de la Place Lelièvre : Monsieur BENHAÏM. C’était il y a bien longtemps, 60 ans je crois, et dans mon esprit l'événement date d'hier. Ce jour là avec l’ensemble des camarades, nous étions transportés de joie à l’idée d’aller découvrir ce site historique, et aussi par le fait de ne pas avoir classe ce jour là. Il faut dire que pour la majorité d’entre nous âgée d'une dizaine d'années, partir en véhicule automobile loin du quartier représentait un baptême et une aventure. Dès sept heures, on prit place dans l’autocar garé devant l'école, et Monsieur BENHAÏM, tel un épicier vérifiant son stock de marchandises, pointa et repointa les présents pour n’oublier personne. Un cri collectif de libération salua le départ et nous regagnâmes le littoral en chantant comme un seul homme toutes les rimes en « A » de notre « pataouète » ( Langue colorée d'espagnol, d'italien, d'arabe et de français révélée en 1896 par l'écrivain Auguste Robinet dans ses publications sur « Les amours de Cagayous » ) : « Faire un tour en pastéra » lança pour débuter Ferrer; et tout le car reprit en cœur : « C’est tata, c’est l’algérois ». « Manger d'la calentita » cria-t-il à nouveau, amenant à l’unisson le refrain : « C’est tata, c’est l’algérois ». « Monter la côte de la Bassetta », « La figa de ta ouella », et toujours le même cœur avec les veines du cou prêtes à éclater : « C’est tata c’est l’algérois.» L’énergie débordante et les cris d’exaltation se calmèrent subitement ; à hauteur du stade Marcel Cerdan, nous fûmes pour un court instant muet d’admiration : le boulevard et la mer, côte à côte dans un joue-à-joue sinueux, déroulaient en perspective des cartes postales marines. Seuls les bavards commentèrent les scènes le nez collé à la vitre. « Oh ! L'Eden... l'Eden ! Là-bas sur l'eau la pastéra, regardez la pastéra ! » En contrebas de la route, un pêcheur souquait ferme pour rejoindre son palangre posé à quelques encablures de la plage déserte. Le voyage allait être long. Pour beaucoup plongés dans la fascination, les yeux écarquillés par tant de tableaux animés, ils découvraient pour la première fois d’un piédestal mobile la beauté insoupçonnée de leur pays. L’émerveillement était à son paroxysme. Feuilleter l'album de clichés tout en couleur sur l’écran transparent qui avançait constituait une belle surprise. Notre mémoire de citadins n'imaginait pas enregistrer pour toujours le charme de ce coin d’Algérie où la route ne pouvait échapper à l’omniprésence de la mer. On venait de quitter Bab el Oued et la ville, et déjà, Saint-Eugène posé comme un balcon sur le large nous en mettait plein les yeux. Nos deux quartiers limitrophes avaient en commun la protection divine de Notre Dame d’Afrique érigée en vigie au sommet de la colline. Entre Raïsville et le Parc-aux-huîtres, le blanc des façades alignées comme un rang d'amandiers en fleurs, reflétait fièrement la lumière aveuglante du soleil levant. La corniche accordait une vue plongeante d'exception sur les plages et les calanques. Les constructions anciennes et modestes se dressaient avec pudeur à l'arrière des jardins arborés de figuiers et de néfliers. Les fenêtres fixées sur l’horizon cueillaient une vue imprenable ; elles semblaient se faire la courte échelle pour ne pas manquer une seconde de l’impacte des saisons. Dans ces nids de verdures perchés comme des cages d'oiseaux et embaumés de jasmin on ne pouvait rater les teintes étalées au cours de la journée par la mer : le bleu nacré succédait au bleu gris du matin avant de laisser sa place au bleu turquoise de midi. L'après-midi le bleu lumineux paradait un long moment avant de se transformer en bleu d’encre pour la nuit. La permanence des contrastes ne pouvait laisser indifférent. Les amoureux de cette nature éclatante de lumière auraient pu raconter Saint-Eugène à la manière d’un conte de fées bien réel. L'histoire aurait pu commencer ainsi : « Il était une fois un village bâti sur un promontoire dominant la mer où le parfum des fleurs exhalait le sel et l'iode. Les cascades de lilas suspendues aux balcons et les vérandas drapées de gerbes de bougainvilliers rouges-violacés décoraient le hameau en île paradisiaque. Sur les terrasses écrasées de soleil, le linge des lessives battu par la brise du large donnait l’impression de saluer en permanence les passagers des paquebots en partance pour la France. Ici, le bonheur se trouvait au rendez-vous chaque matin, il suffisait d'ouvrir les fenêtres donnant sur la mer pour respirer l'odeur iodée des embruns et entendre les cornes de brume des bateaux qui passaient.» Les criques, les rivages de sable blond et les îlots escarpés s'enfilaient comme des perles sur tout le littoral. La beauté n’était pas radine, et à midi plein elle scintillait de mille éclats. En quelques virages, on était bien loin des agitations de notre faubourg, du brouhaha incessant du marché, du tintamarre grinçant des tramways et du vacarme lancinant des moteurs et des klaxons qui envahissaient de plus en plus nos rues. La liesse enfantine perdurait dans le car ; elle ne cessait de commenter à haute voix le déroulement du trajet : Sebaoun s’écria : « Raïsville, et un cornet de frites, chaud bien chaud ! », Ben Malek enchaîna « Le stade dimanche quand Hamoutene il a marqué, on a crié « iiiiilllll’yyyyyééééé », les morts au cimetière ils ont bougé.», Ayache reprit : « La salle des fêtes de Saint Eugène ! Pour le mariage de ma sœur, on a fait la bombe à tout casser.» Quittard lança : « Le Petit Bassin, ici purée, on fait des oursins maousse comme des assiettes », Solivérès renchéri : « Les Deux Chameaux ! J’ai un copain qui nage la tête sous l’eau sans respirer du Fauteuil au Charlemagne, d’un seul coup. » Lozano s’enthousiasma: « Le Parc aux Huitres ! Mon père ici, il a attrapé un poisson gros comme une baleine.» Labianca interrogea: « Ma parole, comment ta mère elle a fait pour le mettre dans le four ? » Amara expliqua : « Lavigerie ! le frère de mon copain, il a fait une pantcha du plongeoir de la corniche. Il est resté mort dans l’eau un quart d’heure. » Dans l’excitation des découvertes qui se poursuivaient, le groupe restait intarissable et chacun voulait exprimer une part de son vécu ; comme tous les enfants, nous avions le sentiment d’être le nombril du monde.L’euphorie se partageait de part et d’autre de la chaussée qui serpentait avec le rivage. Sur la droite, la brume matinale de l’été roulait des fumées opaques jusqu’aux limites de l’horizon. Comme un rituel, le soleil embrasait le large pour commencer la journée. La mer habillée dans sa tunique bleue clapotait inlassablement contre les rochers la douce mélodie des vagues entre l’Eden et les Bains Romains. De partout, des cabanons sobres et modestes, vaporisés d'embruns et agglutinés en grappe sur des éperons, semblaient se mirer dans les eaux dansantes comme par coquetterie. Si ces lieux n’étaient pas le paradis, ils lui ressemblaient beaucoup. Les îlots de Baïnem-Falaise, dressés en remparts sur les eaux argentées, affrontaient en toute quiétude l’écume de colère des tempêtes hivernales. La côte dans sa totalité s’ouvrait en toute innocence aux assauts de la haute mer. Dans le lointain du phare de Cap Caxine, des guirlandes de fumées noires suspendues dans le sillage d’un paquebot à destination de terres inconnues maculaient le ciel de rêves incertains. En traversant Guyotville, Jeandet, garçon malingre et rieur, déclara: « En août, La Madrague est envahie de Peaux Rouges qui s’tapent la gazouze les pieds dans l’eau et la tête coincée dans les baleines du parasol ». Les plus loquaces avaient confisqué la parole et seuls les rois de la tchatche s’en donnaient à cœur joie pour exprimer le trop plein d'énergie qui bouillait en eux. Le seul lieu connu de tous fut Sidi Ferruch, endroit mythique de villégiature fréquenté par les familles de Bab el Oued lors d’excursions traditionnellement organisées pour Pâques, Pentecôte ou le 15 août. Le souvenir historique du débarquement de 1830 était loin de nos pensées, seule la forêt des plaisirs partagés en famille et entre amis depuis des générations avait un sens. Le Robinson, le Normandie, la plage Moretti, le vivier, tous ces noms rappelaient de beaux moments d'amitié. Toutes les bourgades traversées affichaient avec fierté leur union à la mer : Daouda-Marine, Fouka-Marine, Castiglione et son célèbre aquarium. Chiffalo, village de pêcheurs, nous gratifiait d'un rituel quotidien : un lamparo de retour de pêche franchissait la passe du port, suivi par les cris d’une nuée de mouettes rieuses affamées. Le spectacle maritime sur notre droite ne nous faisait pas perdre une miette de la vie rurale qui défilait de l’autre côté de la route. La plaine côtière alignait des damiers de terre cultivés de légumes et d’agrumes et protégés du vent par des claies de roseaux. Parfois un espace caillouteux tapissé de buissons épineux, d’acacias sauvages et de végétation jaunie par la sécheresse habillait tristement le paysage. Quel contraste avec les jardins d’hibiscus rouges et d’iris bleus au centre des bourgs où la profusion de roses accrochées aux façades donnait aux maisons l'allure de chars décorés pour disputer un corso fleuri. La seule ombre au tableau de ce florilège d’images de vacances, provenait de l’usine des ciments Lafarge. Juste dans la descente après le Casino de la Corniche, ses longues cheminées crachaient en continu des fumées noires dans le ciel azur et créaient une tâche sombre sur le petit joyau qui avait pour nom : La Pointe Pescade. . Comme dans les films en noir et blanc de l'époque, la bobine déroulait des scènes et des images magnifiques avec en prime les couleurs de la réalité. A Zéralda, près des Sables d’Or, à l'ombre d'un caroubier, des travailleurs en pause s'échangeaient des rires complices en se désaltérant sous le jet d’une gargoulette. Un peu plus loin, à la sortie de Tefeschoun, un char à banc transportait des ouvriers agricoles enturbannés dans les champs. A l'orée de Bouharoun, réputé pour ses sources d'eau minérale, une moissonneuse-batteuse enveloppée dans un nuage de poussière, crachait en saccade des fumées pétaradantes et déposait sur le côté une botte de paille et un sac de grains. Un peu plus loin dans les rangs de vigne alignés sur la pente d’un coteau, un chasseur, le fusil en bandoulière, avançait dans le pas de ses chiens heureux de folâtrer dans la rosée du matin. Sur la ligne d'horizon, des collines boisées de chêne-liège et de pins maritimes jouaient à saute-mouton de loin en loin dans la découpe du ciel immaculé. Un peu d’ombre dans la fournaise traversée par la stridence des cigales ne pouvait que faire du bien à la faune animalière de ces territoires désertiques. Transcendés par tant de découvertes, nous assistions de notre car à rien de plus qu’à un moment de vie banale de notre Algérie dans laquelle on était si bien. . Dès le printemps, l'Algérie se pomponnait des couleurs de l’arc-en-ciel : les amandiers en fleurs ouvraient le bal des émotions avec leur parure de crème fouettée répandue dans les campagnes. La réplique rouge-sang des coquelicots ne se faisait pas attendre. Sous l’impulsion de la brise, ils dansaient dans les champs au rythme d’une marche espagnole. Le ballet des coloris se poursuivait avec le jaune cérémonie des boutons d’or scintillant sous les rayons de midi et virevoltant comme des lucioles dans la nuit. En début d'après-midi, un souffle d’air ardent ondulait les tapis fleuris disséminés sur la nappe blonde des blés. Le mouvement perpétuel de va et vient rappelait le flux et le reflux des vagues le long de la grève. Le vent vorace inspirait à pleins poumons l’envol des pollens pour restituer avec générosité le parfum des fleurs où le jasmin s’imposait comme une marque de fabrique. Les coins enchanteurs de cette côte littorale appelée « Côte Turquoise » se succédaient comme un opéra en plusieurs tableaux où les spectateurs subjugués appréhendaient la fin pour ne pas détruire le rêve éveillé qui les régalait. Le retour chaque année de cette beauté lumineuse n'était-ce pas l’œuvre de Dieu ? Ce Grand Architecte de l'Univers, artiste-peintre à ses heures perdues devait sûrement gambader avec son chevalet sur la terre de chez nous. Entêté à sublimer et à faire partager ses émotions, lui aussi devait être amoureux de ce pays. De criques tourmentées d’à-pics aux plages de sable fin, de vignes aux raisins gorgés de sucre aux champs rayés de sillons à perte de vue, nous fûmes brusquement saisis dans le lointain entre Marengo et El Affroun par des alignements d’orangers, de clémentiniers et d’oliviers, soulevant dans l’autocar de l’admiration. « C'est immense ! Cela nous change du champ de tomates d'Ali et de la campagne du Beau Fraisier ». Enfin, Tipasa nous apparu dans un havre de splendeur prodigieux bordé par le bleu nacré de la mer. Sur la gauche, le massif du Chenoua dressé en bouclier préservait le port des caprices du vent. Au large, il soufflait et moutonnait la crête des vagues d’un diadème de première communiante. Nous étions émerveillés comme devant un cadeau de Noël. Nous nous apprêtions à visiter un patrimoine de ruines et de monuments anciens figé dans un écrin de verdure que les « colonialistes Romains » (citation que les Berbères chrétiens et juifs ont dû employer à l’époque) laissèrent à la postérité dans notre pays. L’excursion se fit au pas de course sous le chant stridulant des cigales tandis que le vent blanchissait d’écume les caps de Sainte Salsa et du Forum. Les oiseaux en concert répliquaient leur partition à la cime des arbres, créant une ambiance de gaieté et de joie. Dans ce site majestueux embaumé des parfums d’armoise et de lentisque, les dieux Romains avaient probablement été, eux aussi, éblouis et fascinés par tant d'attrait. N’étaient-ce pas des noces qui se célébraient sous nos yeux entre l’innocence des enfants et le charme de cette nature éternelle ? Quelques années auparavant un jeune écrivain, promis à un brillant avenir, Albert Camus, avait écrit: « Noces à Tipasa » comme un cri d’amour à toutes ces merveilles qui nous entouraient. Nous suivions Monsieur BENHAIM s’efforçant de nous intéresser à l’histoire de la Catacombe des Evêques, du Mausolée Circulaire, de la Grande Basilique Chrétienne, des Grands Termes et de l’Amphithéâtre. Notre imagination sans borne nous faisait entendre les eaux en cascade de la fontaine de Nymphée et les cris de la foule enthousiaste dans le Petit Théâtre où le premier spectateur était la mer. Nous avions l’impression que le Cardo avec ses alignements de colonnes plongeait dans notre Mare Nostrum. Nous apprîmes en franchissant les portes des remparts protégeant la ville qu’à cette époque, Alger s’appelait Icosium et Cherchell : Césarée. La pause pique-nique se fit sur un quai du port où nous partageâmes « omblettes de pon de terre », « cocas à la frita », « casse-croûte à l’huile frotté d’ail », le tout arrosé au « sélecto Hamoud Boualem » et à la limonade « Dédé ». Et l’incroyable c’était que le banc de pierres sur lequel on déjeunait avait mille huit cents ans ! Nous formions un cercle attentif autour de notre maître d’école qui mêlait le geste à la parole pour mieux expliquer les événements historiques de la période romaine. Cela n’empêchait pas les rangs arrières de se distraire, le nez levé au ciel pour suivre un vol noir d’étourneaux qui passait, ou cueillir à la hâte une poignée d’arbouses sucrées dans les genêts et les jujubiers sauvages qui jalonnaient le parcours. Monsieur Benhaïm, nous expliqua que notre pays avait subit depuis ses origines un mélange extraordinaire : « Mes enfants, nous dit-il, ce sont les Berbères les véritables ancêtres de l’Algérie ; ensuite se succédèrent des colonialistes venus de tout le bassin méditerranéen : Phéniciens, Numides, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes, Espagnols, Turcs et enfin nous autres les Français.» Mon copain Ahmed Djilalli provoqua des rires en interrogeant : « Qui prendra le tour suivant ? » La journée à Tipasa s’acheva par un détour à travers des champs plantés d’amandiers. Au sommet d’une butte nous découvrîmes un monument circulaire impressionnant dominant la plaine : le tombeau de la Chrétienne. Une construction de l’époque barbare témoignant des hautes valeurs du peuple Berbère. Le retour fut tout autre. La chorale impromptue entendue dans le car ce matin avec des « plus vite chauffeur ! plus vite chauffeur ! plus vite ! » s'était tue. La fatigue était passée par là. Désormais, le ronronnement du moteur berça la somnolence générale qui s’était emparée du groupe avant Bérard. Chacun dans son coin revisitait dans ses pensées la page d’histoire écrite par les Romains dans les pins et les tamaris aux troncs couchés par le vent marin.Le bleu de la mer et l'ocre des monuments formaient d’incroyables tableaux suspendus aux cimaises de la ligne d'horizon pour l’éternité. A l’arrivée devant « Chez Coco et Riri », Pappalardo lança : « Icosium, Icosium dernier arrêt, tout le monde descend », et les éclats de rires rappelèrent à nouveau la joie de vivre qui nous collait à la peau. Après tant années, surtout les jours gris battus par la pluie, je repense souvent dans le détail à cette admirable balade avec les camarades du CM² sur la côte Turquoise. La fresque d'images imprimée à jamais dans ma mémoire resurgit lors les nuits agitées par ma « nostalgérie ». Je ne peux oublier le calme et le silence de Tipasa traversé par le chant des oiseaux, la crête des vagues blanchies par le vent du large et l’odeur du jasmin et de l’armoise. Je ne peux oublier également les rires, les accents et les amitiés partagés au cours de cette journée. Je garde aussi en mémoire la bravoure et l’humanité de Monsieur Benhaïm qui ce jour là délaissa son habille guindé d’instituteur pour devenir le père et l’ami de tous ses élèves. Quelle émotion lorsque six ans plus tard, ayant intégré l’Éducation Nationale, je reçu ma nomination d’enseignant pour l'école de la rue Léon Roches dans le quartier qui m’avait vu naître. Je frappais à la porte du bureau du directeur pour me présenter. La porte s'ouvrit et je me retrouvais nez à nez avec Monsieur BENHAÏM, l'instituteur du CM². L’émotion fut à la hauteur de l’estime et de la reconnaissance que je lui devais.

Mustapha OUALIKENE

Le : 21/11/2013 21:25

C’est le récit de mon séjour à Yakouren Grande Kabylie à l’occasion de la célébration de l’achoura La célébration de l’Achoura à Sidi El Abad se fait toujours selon les coutumes ancestrales. Lors des asensi ou zerda organisées au mausolée de Sidi El Abad un pic cumulant à 1014m d’altitude lieu vénéré et qui attire à l’occasion de nombreux visiteurs et pèlerins . Ces derniers viennent en famille de toute la Kabylie pour effectuer une Ziara (pèlerinage) surtout le jeudi, mais aussi pour une simple promenade ou randonnée. Tous ces gens contemplent le panorama avec un ciel si proche et l’immensité de la mer de chênes liège zen qui s’étend à perte de vue avec au Sud une vue imprenable sur le majestueux mont du Djurdjura et au Nord une vue sur la grande Bleu. A sidi El Abad à l’occasion de l’Achoura (fête religieuse) une fois part an est organisée, lawzighââ ou Tiwizert pour certains qui est le sacrifice que les villageois font chaque année à la petite fête. Cette coutume qui permet de récolter de grosses sommes d’argent pour le sacrifice des bêtes et de distribuer équitablement la viande d’abord aux plus démunis mais aussi aux nantis. Les villageois cotisent en fonction de leurs moyens pour l’achat de veaux et moutons. La veille toutes les femmes et les jeunes filles du village vont puiser l’eau, ensuite les femmes roulent le couscous toute la nuit. Le jour « J » de l’Achoura tôt le matin des files de voiturent affluent déjà sur la montagne ou un immense parking leurs est aménagé dans la forêt. Dés l’aube après la prière du matin toutes les femmes sont devant leurs fourneaux et marmites pour préparer le repas pour tous les villageois et leurs invités. Quand aux hommes c’est à eux que revient la tache qui consiste à immolé les bêtes et à partager la viande équitablement même les invités ne sont pas oublier. Pendant ce temps les plus jeunes dressent les tables sous les arbres. Après avoir déguster un couscous royal en plein aire toute ses famille récupèrent leurs part de viande. A l’occasion de cette fête Sidi El Abad aura vécu l’espace d’une journée pas comme les autres des moments inoubliables où cette journée de kermesse a fait revivre le bon vieux temps aux villageois. C’est le comité de village composé de jeunes dynamiques qui a pris le pari de réussir un tel rendez vous fait de solennité et de convivialité. Autour d’une foule bigarrée les bénévoles s’occupent à la répartition des chapelets de viande découpées soigneusement après le sacrifice des beaux taurillons et à régler les menus détails devant les yeux pétillants de fierté, de sagesse et de nostalgie des vieux du village. Cela fait du bien de voir tous ces jeunes perpétuer une telle tradition et de reprendre le relais des personnes âgés qui eux l’ont aussi hériter de leurs anciens me dira mon oncle Arezki. Son fils mon cousin Ali me dira à son tour »à chaque fois que nous organisons cette fête nous sommes fières d’avoir renoué avec l’histoire que nous ont légué nos parents et grands parents certes ce n’est pas facile de gérer tous ce monde et de réaliser une telle tache mais avec beaucoup de volonté et de sacrifices nous arrivons à satisfaire tout le monde et il ajoute regarde toute cette foule qui s’embrasse et qui se souhaite mutuellement une bonne fête tout en dégustant un bon thé à la menthe ou un bon café chaud en attendant de rentrer à la maison avec un beau chapelet de viande pour de bonnes grillades comme le faisaient jadis nos ancêtres . Avec le sentiment du devoir accompli mon cousin Ali regarde toute cette marais humaine qui commence à quitter les lieux il me fait promettre de revenir l’année prochaine, promesse que j’ai fait avec fièrté. Comme à Sidi El Abad partout en Kabylie les coutumes ont gardé toute leurs saveurs et leurs nostalgies, il existe encore des hommes qui restent follement amoureux de leur bled et profondément attachés à leurs racines.

André TRIVES

Le : 11/11/2013 09:40

Dans ce site mis à notre disposition généreusement par notre ami Christian, il existe un trésor culturel exceptionnel dans la page " LA BIBLIOTHEQUE DES TROIS HORLOGES ". Elle rassemble LA MEMOIRE DE NOTRE BAB EL OUED D'AVANT 1962. On y trouve pêle-mêle, sans fioritures, les témoignages d'enfants du quartier avec pour singularité de ranimer l'histoire écrite par nos parents afin qu'ils ne meurent pas une seconde fois dans l'oubli. Je vous invite à divulguer autant qu'il est possible ces textes narrant la vérité, notre vérité, dont l'histoire s'applique sans vergogne à déformer. Le mensonge et la calomnie n'ont jamais donné une vérité pour l'éternité, à condition de rappeler inlassablement, sans faiblir devant l'arrogance et l'adversité de nos détracteurs bornés et incultes : qui nous étions ? et comment on vivait? Le confort de notre vie d'aujourd'hui ne doit pas nous conduire à baisser les bras...Ce sont nos petits enfants qui nous rendront grâce un jour d'avoir défendu leur dignité d'être descendants de Pieds-noirs.

André TRIVES

Le : 12/11/2013 09:40

Hier 11 novembre 2013, commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918. La France déclare s'apprêter à fêter l'an prochain le centenaire de cette guerre atroce qui fit 1 million 400.000 morts parmi ses enfants. Parmi eux, il y avait des poilus de chez nous qui partirent la fleur au fusil et ne revinrent jamais sur leur terre natale d'Algérie. Ces braves qui ignoraient s'appeler " Pieds-noirs " et n'imaginaient pas qu'un jour on chasserait du pays leurs descendants, s'embarquèrent pour défendre la patrie. Si les Manuel, Simon et Mohamed restés sur les champs de batailles de la Marne et dans les tranchées du Chemin des Dames revenaient aujourd'hui, ils se demanderaient à quoi leur sacrifice a-t-il bien pu servir ? A l'école pourtant, on leur avait bien appris que la France était UNE ET INDIVISIBLE... Respect à ces hommes de chez nous tombés dans l'oubli.

Cherif

Le : 03/10/2013 19:09

Merci Manuel de nous avoir transporté dans le temps et dans l'espace. Je garde une mémoire vive de l'épicerie de madame Nivard. je revois l'image de la vieille dame et de sa fille blonde avec une forte corpulence. Les tonneaux de poissons étaient en fait de la morue salée et séchée. Chez madame Nivard, nous pouvions tout acheter presque tout en vrac et en petites quantités: un demi litre d'huile, 2 ou 3 oeufs... Les produits conditionnés dans des emballages étaient trop chers (ou jugés comme tels). Nous transportions nos provisions dans nos paniers les sachets en matière plastique n'avaient pas encore fait leur apparition. Plus haut que le commerce de madame Nivard, il y a avait un marchand de vins et liqueurs géré par un sympathique couple parlant un Français avec un fort accent espagnol. Leur fils, Jean Claude fut de mes amis. je te salue Jean Claude. Plus haut encore, se tenait l'épicerie des Moutchous (mozabits). Elle était très achalandée, elle aussi. Plus haut encore, à l'angle du boulevard de Champagne et de la rue Francois Serrano, il y avait un horloger, ce me semble. Il est un autre personnage du quartier que je voudrais citer. Il s'appelle, je crois, Robert. C'était lui qui collait les affiches des films qui devaient être projetés au Rialto.

Manuel

Le : 30/09/2013 15:51

Bab el oued ,la porte de la rivière . Beo , tour de babel où vivaient en parfaite harmonie tous les peuples de la méditérrannée .

Bab el oued avait ses particularités la Bassetta et la place Dutertre avec ses héros CAGAYOUS et MUSETTE .C'était aussi mon quartier et j'aimerai vous en parler CAGAYOUS , était en fait une caricature des jeunes du quartier au langage original et élevés et grandis à la va comme je te pousse. MUSETTE ,un écrivain local possédait son monument . Un banc immense en forme de fer à cheval. C'était le rendez-vous des anciens et des jeunes quand les nuits d'été rendaient le lit insupportable . Ce banc était aussi le lieu d'interminables parties de " Mora "que se livraient les garçons . Et la fameuse BASSETTA : une rue en forme de côte si raide que rares sont les cyclistes pouvant se vanter d'avoir pu l'escalader ,exception des frères FRANCES , champions locaux et habitant de la rue . Cette côte vous amène passant devant les lavoirs directement à la place DUTERTRE La place DUTERTRE coeur de la bassetta avec son jardinet ,ses bancs, son urinoir, et son monument dédié à MUSETTE . La place DUTERTRE c'était le "RIALTO "de Rombi et Négro où nous avons vibrer aux exploits de "tonto" et du dernier des fédérés .La place DUTERTRE avec madame NIVARD son épicerie et ses deux filles . La place DUTERTRE c'était jeannot SENABRE et sa boulangerie . La place DUTERTRE c'était ANTONIO l'homme à la baguette et JEANNETTE son incomparable épouse .La place DUTERTRE c'est "TAGO" le roi de la calentita . De la place DUTERTRE passaient ou débutaient :Le boulevard de champagne dont la noria quotidienne des camions ne pouvait vous faire oublier l'ombre gigantesque et protectrice de la carrière JAUBERT . La rue camille DOULS et sa fameuse maison MARI ,déroulait son interminable ruban pour vous indiquer la direction de notre dame d'afrique sanctuaire de la vierge veillant sur le quartier . La rue françois SERRANO où les maltais élevaient , en pleine ville,des vaches et BALZAN qui vendait le lait tous les soirs poursuivi par la maréchaussée . La place DUTERTRE c'était toutes ces jolies filles ,prenant le frais rivalisant d'une beauté que ni Naples,ni Barcelone n'auraient pu nous envier . La place DUTERTRE c'étaient les copains dont beaucoup sont partis pour le pays où le facteur ne passe jamais,Je ferme les yeux et je revois ;GUY,HENRI,JEAN,ETIENNE, FABIEN, FRANCIS,NORBERT,JEAN PIERRE,NENESS, EMBAREK,JOSE, JOACHIM, et JOCELYNE,YOLANDE,MARYSE,MICHELE,JOSETTE,MARIE CARMEN,EVELYNE,COLETTE sans oublier FIFINETTE nôtre intouchable protégée . BAB EL OUED quartier de mon enfance,de mon adolescence du beau temps de l'égalité figure pour toujours dans mon paysage intérieur et dans le jardin de mes souvenirs . J'ai rêvé un instant de vous faire partager la nostalgie,l'amour indicible que je porte à mon pays de naissance, quand comme beaucoup d'entre vous je n'ai " empoté que terre à mes souliers " .

André TRIVES

Le : 16/07/2013 10:32

DERNIER JOUR D'ECOLE A BAB EL OUED AVANT LES GRANDES VACANCES;

La cour de l’école de la place Lelièvre vivait sa dernière récréation, la fougue et l’excitation des enfants étaient à son comble. La veille tous les livres avaient été rendus et remisés dans les placards. Le matériel de classe, les encriers et la bouteille d’encre rangés dans l’armoire située au fond de la classe. Pour la première fois de l’année, les élèves studieux et les cancres formaient un groupe homogène : ils participaient ensemble à une étonnante kermesse où les jeux et les déclamations théâtrales sur l'estrade galvanisaient les enthousiasmes. La communion était totale : l’ultime rencontre avec les copains avant de se séparer créait le moment le plus fabuleux que l’enfance puisse procurer . On vivait le dernier après-midi de classe avant de partir pour les grandes vacances qui duraient trois mois. Dans cette période festive nos maîtresses et nos maîtres se laissaient aller à une tendre complicité avec leurs élèves devenus subitement de gentils garnements. Ils participaient à tous les jeux de société amenés pour la circonstance et bataillaient fermement dans des parties de cartes, de dames, de dominos, de « mikado de Bab el oued » constitué de cinq lamelles de roseau jetées pêle-mêle qu'il fallait relever délicatement sans toucher les autres, d’osselets dégageant encore l’odeur du gigot de mouton et, pour défier l’intelligence et la réflexion de chacun, les cérébraux se confrontaient dans une partie « d'échecs made in BEO » appelée le « carré arabe ». Dans cette ambiance de liberté sans contrainte, les plus indisciplinés retrouvaient la sagesse et la modération. La liesse s’emparait de l’école . Une chorale grandiose résonnait lors de cette dernière récréation où le chant traditionnel repris à l’unisson ébranlait tout le quartier : « Gai, gai l’écolier, c’est demain les vacances- Gai, gai l’écolier, c’est demain que j’ m’en vais- A bas les analyses, les verbes et les dictées, tout ça c’est d’ la bêtise, allons nous amuser. » L' événement se célébrait dans toutes les écoles de Bab el Oued. Une joie maladive s’emparait des gamins à l’approche du dernier tintement de la cloche à la liberté retrouvée. Alors, l’été nous transformait et nous exalter durant 3 mois en nous confiant au père soleil et à notre mer « mare nostrum » à quelques pas de nos maisons . Les journées de baignade à Padovani, à l’Eden, au Petit Bassin, aux Deux Chameaux ou au Parc aux huitres nous faisaient tolérer la chaleur étouffante de nos étés caniculaires. Trois mois à jouer et à rire sur les espaces de distractions offerts par des traditions apprises de nos aînés : « des faiseurs de rêves ». La buanderie consacrée au jour de lessive, la terrasse réservée au matelassier pour la matinée, les trottoirs barbouillés de dessins à la craie, les terrains vagues transformés en stade de foot, les placettes ombragées au sein des cités, les cours intérieures des maisons de carriers, les halls d'entrées d'immeubles réservés aux petits, les criques caressées par une mer bleue transparente, les soirées partagées en famille sur la plage des Bains de Chevaux autour du « cabassette », la passion des jeux fabriqués « maison » : noyaux, tchappes, déraillés, billes, toupies, carré arabe, marelle, corde à sauter, mère-que-veux-tu, fanfan vinga, tu l'as, chat perché, carrioles à roulements, trottinettes...Bab el Oued, c'était un cirque permanent dédié à la joie des enfants où tout se fabriquait de leurs mains.Cette inventivité offrait à tous ces jeunes de familles modestes, la foire aux rêves la plus extraordinaire que le monde des enfants ait pu réaliser. Et cela se transmettait de génération en génération. Enfin, le tintement de la cloche salvatrice libérait définitivement les fauves des « cages » primaires, la sortie se franchissait au pas de course et en quelques instants le parvis de l’école de la place Lelièvre retrouvait la tranquillité pour trois mois.

André TRIVES

Le : 17/07/2013 11:56

LES GRANDES VACANCES ( suite)

Si quelques privilégiés fils de fonctionnaires partaient en colonie de vacances et découvraient la France, tandis que d’autres rejoignaient des centres de jeunesse sous la houlette de la Mairie d'Alger comme celui de la forêt de Yakouren, la grande majorité organisait les vacances sur place dans le quartier. Alors, le quotidien d’été prenait forme petit à petit et le goût de l’aventure s’emparait vite des préoccupations de chacun, ainsi chaque matin on prévenait sa mère : « Mama ! je descends en bas la rue… ». Nous avions de bonnes têtes avec nos cheveux coupés à la brosse pour l'été. La rue, c’était la porte ouverte à une multitude d'amusements et d’apprentissages que l’on découvrait avec sa génération de copains. Elle se transformait en un théâtre de plein air où la folie imaginative des créateurs en culotte courte s'exprimait comme une réalité. Les grandes vacances nous donnaient le sentiments d’agir en toute liberté et souvent on en vérifiait la limite en investissant des territoires encore inconnus. Là, on s’inventait des secrets mystérieux , on se fabriquait des légendes et la curiosité l’emportait toujours. Braver l’interdit nous excitait particulièrement : l’un d’entre nous chipait la clef de la cave de l’immeuble du trousseau pendu derrière la porte d’entrée de la concierge, et descendre vers cet abîme inconnu pour y découvrir les esprits et les fantômes imaginés, c’était la plus belle chair de poule suscitée par la frayeur ressentie. Pas de lumière, une nuit totale, on s’asseyait en tailleur, on ne percevait pas le regard angoissé des autres, on jouait à se faire peur. La flamme vacillante d’une bougie allumée accentuait le silence inquiétant qui nous entourait et pour ne pas se faire remarquer des revenants que l’on redoutait et qui nous tétanisaient, nous nous soutenions en se prenant par la main et les conversations se poursuivaient à voix basse. Soudain, la concierge qui s’était rendue compte de l’intrusion, jaillissait hurlante de colère et nous détallions comme une volée de moineaux. Madame G. avec son accent espagnol criait : « bande de petits vauriens, vous finirez par mettre le feu à l’immeuble, ce soir je le dirais à votre père… » Ainsi, durant le reste de la journée nous retrouvions un calme forcé pour ne plus se faire remarquer en pensant aux représailles qui nous seraient réservées le soir venu. Mais Madame G. était une brave femme qui nous avez vu tous naître, elle ne mettait jamais à exécution ses menaces. Alors nous avions l’obligation de trouver un autre territoire interdit pour exister de nouveau. Venait l’idée de construire le moyen de locomotion le plus grisant : une carriole à roulements à billes. L’œuvre était collective et telle une écurie de course automobile, on se mettait en quête de trouver auprès du menuisier et du garagiste du coin, les divers éléments nécessaires à sa réalisation. Ensuite était désigné le pilote qui représenterait l’équipe pour participer à la course qui se déroulait dans la descente de la rue des Moulins. La compétition se passait l’après-midi après que les portefaix aient rangé les étals des marchands et que les éboueurs munis de lances à eau aient aspergé abondamment le pourtour du marché . Les carrioles s’élançaient dans un brouillard londonien où l’asphalte chauffé par le soleil de plomb de juillet, dégageait une fumée humide et blanchâtre. Les « Fangio » en herbe gagnés par la vitesse avaient du mal à maintenir leur trajectoire sur le sol glissant et la visibilité partiellement bouchée par l’écran de fumée. Alors ce qui devait arriver, arrivait : un choc violent contre le rebord du trottoir, l’amusement se muait en accident, des cris de peur couvraient la scène, la carriole bondissait sur le trottoir et pénétrait dans le Bar Costes à l’angle de la rue de Châteaudun, heurtant les consommateurs qui se rafraîchissait paisiblement au comptoir. L’ambiance chauffait quelques minutes, des larmes sur les joues rougies du téméraire attendrissaient les adultes qui expliquaient qu’à son âge ils en avaient fait autant, des excuses prononcées en essuyant d’un revers de main le nez renifleur ; il y avait toujours plus de peur que de mal. On promettait comme pour la fois précédente, de ne jamais plus recommencer. Pour divertir nos journées nous projetions une escapade en bande sur les hauteurs de Bab el Oued en direction des carrières Jaubert où la végétation desséchée affichait un jaune triste de pâleur et totalement délavé. Nous retrouvions les plaisirs de saison que notre imagination mettait à profit chaque année : cueillir de belles mûres rouges ou noires gorgées de sucre, remplir la musette de figues de barbarie en prenant soin d’éviter leurs piquants acérés, couper quelques plumets de roseaux au bord d’un ruisseau tari et parcouru de cailloux brûlants pour tailler la redoutable sarbacane: le « canoutte » ou « tire-boulette » qui servait à nos batailles rangées contre les bandes ennemies qui s’aventureraient à attaquer notre rue. S’ajoutait le lance-pierre qui servait aussi à chasser les moineaux : le « taouète » formé d’un rameau en forme d’Y sur lequel deux élastiques tendus reliés à un rectangle de cuir propulsaient violemment un petit caillou de forme ronde à la manière d’une fronde. Le « taouète » porté à la ceinture nous donnait le sentiment d’appartenir à une armée de Robin des Bois investie d’une mission au service des pauvres et des opprimés. Dans un vallon encore humide on grattait la terre pour extraire l'argile que l'on appelait : « terre en glaise » servant de pâte à modeler qui allait nous distraire lors des moments de canicule passés à l’ombre sur le sol frais de la cour de notre immeuble. On sculptait des figurines et le jeu de la « coca » fabriqué avec cet argile nous couvrait de salissures ; mais l’application et le soin que l’on y mettait faisaient dire aux adultes : « Ils se pourrissent comme des charbonniers, mais au moins on sait où ils sont...». A tour de rôle, les mamans obtenaient la terrasse de l’immeuble pour effectuer la grande lessive. C’était alors des moments d’amusement exceptionnels avec les baignades dans la buanderie où, à la fin de la journée, on rentrait épuisés des jeux et affrontements échangés dans les rires et la bonne humeur. Notre imagination réussissait à recréer une véritable tempête en haute mer avec l’eau des bassins de 60 cm²qui servaient de lavoir. La seule précaution à prendre consistait à éviter de s’aventurer pieds nus sur les carrelages rouges de la terrasse que le soleil impitoyable avait rendu en braises incandescentes. Les parties de foot se concevaient toujours comme une rencontre de coupe du monde dont les règles définies par les protagonistes concluaient d'un accord préalable : « C’est un match contrat ». Elles se déroulaient entre deux bouches d’égout disposées face-à-face au bord du trottoir dont on avait pris soin d’obstruer l’accès avec du papier afin que la balle faite de chiffon humide ou de papier journal compacté et ficelé ne puisse disparaître à jamais au premier but marqué. On s’appelait par les noms de nos idoles, on défendait bec et ongles la réputation de notre club de foot préféré, mais la partie allait rarement à son terme ; le cantonnier stoppait nos ardeurs en ouvrant la vanne d’eau pour inonder la rue à l’occasion de son nettoyage quotidien. Lorsque tôt le matin, Bab el oued se réveillait sans un souffle d’air et que les rayons du soleil s’accrochaient indiscrètement aux claires-voies des persiennes, une journée de canicule s’annonçait et la chaleur entamait sans pitié le siège des maisons encore endormies. Ce jour là, nous étions aspiré par le nord, là où se trouvait la mer. En tenue légère, et dans la même direction, des groupes formaient une longue procession vert un but commun : vivre en maillot de bain et se rafraîchir dans l’eau bleue que le ciel immaculé nous offrait. La marche en espadrilles jusqu’aux Deux Chameaux était moins pénible à l’aller qu’au retour, même si le poids de la pastèque constituait un lourd handicap à porter. A destination, une couverture tendue servait de parasol entre deux piquets et le mur qui soutenait le boulevard. Le ressac des vaguelettes nous tenait au frais les bouteilles de gazouz que l’on avait enterrées dans le sable. Les amusements jusqu'à épuisement sur la chambre à air, la corbeille d’oursins que l’on « faisait », les cris de joie des enfants sous le regard de leurs parents, heureux de revivre à leur tour les scènes familiales de leur propre enfance, les jeux de ballon où il fallait toujours gagner. Les plongeons en « pantcha » explosant le miroir d’eau d'une gerbe blanche tel un feu d'artifice, la chaleur collée à la peau et le coup de soleil « en traître » dans le dos, le calvaire du retour à la maison par Raïsville, l’Eden, le Petit Chapeau et le stade Marcel Cerdan s’adoucissait quelque peu avec l’admiration de la vue enchanteresse qui dominait notre « mare nostrum ». Partout, les cris et les éclats de rire continuaient de monter des criques pour nous rappeler que la liesse se poursuivait tard dans la soirée, jusqu’à ce que la nuit dépose un voile de fraîcheur ; enfin de fraicheur toute relative. Au retour à la maison, on croyait habiter dans le four d'un boulanger tellement il faisait chaud. La fatigue nous calmait des ardeurs habituelles, un bain dans la grande bassine et quelques casseroles d’eau diluaient le sel qui fardait notre corps : on s’endormait avec les bruits et les plaisirs que la mer nous avait une fois de plus accordés. Le soleil nous tiraillait la peau jusqu’au sommeil, alors les rêves avaient l’odeur de l’iode et contrairement à ceux qui se construisent habituellement dans l'invention, nos rêves étaient toujours puisés dans la réalité. La tirelire de la mémoire comptabilisait ces belles journées d’été et nous savions qu’il y en aurait d’autres à l’infini. A l’instar des villes du sud de la Méditerranée, les après-midi de fournaise nous cloîtraient dans les appartements avec persiennes fermées et portes ouvertes ; le calme d’un brin de sieste se prenait alors dans une sorte d’abandon langoureux sur le carrelage où s’entamait un joue à joue amoureux dans l'attente d’un courant d’air. Les cris des « yaouleds » ventant la une du journal « Dernière Heure » qui paraissait à partir de seize heures, sonnaient le rassemblement des troupes d’enfants qui se préparaient à vivre une nouvelle vie « en bas la rue ». Il ne fallait pas perdre de temps si l’on voulait jouir de la douche inespérée que l’arroseuse municipale nous gratifiait en remontant la rue des Moulins en direction du marché déserté. Elle aspergeait en pluie fine rues et trottoirs, et nous, fidèles opportunistes adeptes de la secte des plaisirs immodérés, on se précipitait derrière l’engin, manifestant bruyamment une joie indescriptible sous le jet chatouilleux et bienfaisant qui rafraîchissait nos pieds nus. Puis petit à petit le cirque de nos distractions traditionnelles installait son chapiteau dans la rue, la grande parade des numéros commençait : «à la une, à la deux, à la trois », ici les filles s’engageaient prestement pour le saut à la corde qui claquait comme un fouet sur les dalles du trottoir couvertes de gribouillis à la craie. Là, raisonnaient des questions ponctuées d’un claquement de main : « mère, que veux-tu ? », et la réponse intimait d’avancer sans être vu. Plus loin le ciel était le but qu’il fallait atteindre à cloche-pied lors d’une marelle effrénée. Les plus jeunes mettaient en scène sous les boîtes aux lettres de l’entrée de l’immeuble, la vie de leur maman avec poupées en chiffon, lit à bascule, dînette, vaisselle et ustensiles de cuisine en fer blanc. Il y avait même, en cas d’urgence, un volontaire qui remplissait la fonction de docteur. Les garçons eux, maintenaient leur singularité en se choisissant par catégorie d’âge et surtout par affinité. Adossait à un mur, le « coussin » dirigeait la manœuvre du sauteur qui prenait son élan pour atterrir sur le dos d’un groupe de cinq garçons arc-boutés comme dans une mêlée de rugby alignée en colonne, la tête contre son ventre. Le sauteur criait : « fanfan » et le « coussin » ainsi que les badauds qui suivaient intéressés la partie répondaient à l’unisson : « vinga ». L’équipe qui gagnait était celle qui était restée en équilibre sans tomber sur le groupe arc-bouté. Il s’en suivait des moments homériques avec des chutes extraordinaires lorsque les porteurs montaient une farce au sauteur parti promptement dans les airs, en s’écartant au dernier instant. Les rires collectifs et une pointe de honte apaisaient les douleurs. Juillet était propice au tour de France des déraillés : le parcours tortueux dessiné à la craie était minutieusement suivi sans sortir du chemin tracé, c’est à dire sans dérailler. L’objet de la compétition consistait à propulser des bouchons métalliques de bouteilles de soda lestés par pichenettes successives, afin de franchir l’arrivée le premier. Inutile de décrire les passions engendrées où chaque bouchon représentait des noms célèbres : Bobet, Robic, Coppi, Bahamontès sans oublier nos vedettes locales : Zaaf et Zélasco. A la maison l’imagination débordante des enfants se faisait sentir dans de nombreux domaines : plus une boîte d’allumettes en l’état, seulement une boîte de chaussures les contenant par poignées; la raison n’échappait à personne, la folie des « tchappes » était passée par là. Certains jeux se conditionnaient par sacs entiers que l’on gardait précieusement jusqu’à l’année d’après : le sac de billes ou le sac de noyaux était l’accessoire d’excellence au même titre que le cartable . Aussi, le fruit le plus apprécié à Bab el Oued, c’était l’abricot, non pour sa chair sucrée, mais pour la valeur inestimable de son noyau qui suivait une cotation fluctuante à la bourse des trocs du jeu des noyaux. Ces jeux avaient donné naissance à un langage spécifique que seuls les enfants de Bab el Oued en comprenaient le sens: la « tchappe » qui tombait à cheval contre le mur déclenchait un cri d’admiration : « cabaille », pour aguicher une partie de noyaux, l’annonce était scandée en chantant : « A qui tire le tas, il gagne le tas », aux billes, la mesure entre les extrémités du pouce et du majeur tendus à plat donnait le gain en déclarant :« bite et pam », réussir à lancer toutes les billes dans un même trou avait pour formule joyeuse : « tuisse-bacuisse, tu l’as dans la cuisse », jouer aux noyaux à « séven » avec une paire de « tic-tic » n’échappait pas à des mots ésotériques : le 7 gagnant c’était :« séven », le 2 ou 12 perdant : c’était : « claps », pour avoir le droit de recommencer son jeu, une affirmation bien pratique : « pas bonne échappe » , s’excuser pour avoir toucher 2 billes à la fois : « pas bon caran », et reconnaître la défaite :« j’ai fait tchouffa ! ». Lors du lancé des « tic-tic » on essayait d’affirmer une connaissance secrète afin d’inquiéter l’adversaire en soufflant un air magique sur le poing fermé et si le coup s’avérait par chance gagnant, il confirmait la prophétie et soulevait des rires de vantardise de son auteur en déclarant: « c’est la classe qui parle ». C'était ça le Bab el Oued de mon enfance. Un quartier destiné à divertir et à rendre joyeux les enfants que nous étions. Comme nos parents l'avaient vécu, à notre tour la continuité était assurée. L'histoire a privé nos enfants de naître dans ce merveilleux quartier et de connaître à leur tour cette vie fraternelle partagée entre toutes les communautés.

André TRIVES

Le : 08/07/2013 19:01

C'est 18 h, le coup de canon vient d'annoncer que le jeûne peut être rompu. Nous sommes au mois d'Aoùt 1950, j'ai 9 ans. Le Ramadan est installé pour un mois dans Bab el Oued. Le sirocco et la chaleur caniculaire de l'été accentue la difficulté à ne pas boire durant la journée. Dans la rue des Moulins on note une agitation particulière avec les clients qui se précipite dans le café maure de l'Etoile Blanche pour rompre le jeune en avalant une gazouz bien fraîche. Les marchands itinérants ont installé leur chariot à deux roues, maintenu en équilibre par une béquille. On fait la queue pour acheter des maïs grillés, des jujubes, des figues de barbarie. A gauche de l'entrée s'alignent sur des grandes plaques les pâtisseries orientales au miel et aux amandes dont je raffole. Pour certains, la partie de dominos les transporte dans un moment de plaisir partagé entre amis autour d'un thé à la menthe après une dure journée de carème. Leur joie s'exprime par le claquement du pion qu'il frappe sur le tapis. L'euphorie est générale. Qu'il fait bon vivre dans ce quartier populaire d'Alger où les traditions sont respectées par toutes les religions. A 21 h, après notre repas pris en famille, nous nous retrouverons assis sur le trottoir à profiter de cette belle fête qui occupe la rue et comme chaque soir, avec quelques pièces de monnaie j'irai acheter quelques zalabias dégustés en famille. Alors, je me lècherai les babines comme un chaton avec ce miel qui ne coagule jamais en été. Nous irons nous coucher avec les douze coups de l'horloge de l'école de la place Lelievre. Quel bonheur de savoir que tout recommencera le lendemain et ce, pendant un mois. C'est impossible à oublier ces moments d'enfance passés en compagnie de mes parents. Ce mois de Ramadan en été dans la rue des Moulins à Bab el Oued ne s'est jamais effacé de mes rêves...

André TRIVES

Le : 09/06/2013 10:48

Cher Mustapha, mon frère de Bab el Oued !

Il n'y a aucune différence entre ta nostalgie de l'époque et la mienne. Sauf que toi, tu retrouves au quotidien le changement délabré du décor de notre enfance resté figé à la même place. Je t'imagine sur ton balcon dominant Padovani où la vue sur l'horizon demeure magnifique. C'est probablement cet instant qui te réconcilie avec notre passé...Les levés et couchés de soleil sur la mer d'huile, les nuits traversées d'étoiles filantes, les bateaux au loin allant et venant sur le port d'Alger, les cris d'enfants sur la plage Matarès, les filles jouant à la marelle sur l'esplanade, les garçons en sueur courant à perdre haleine derrière un cerceau sur le square Guillemin ; est-ce hier ou aujourd'hui ? Le privilège de ton balcon : c'est de te donner un flash-back réel et de te restituer les scènes d'avant sans détour. Oui, mon frère, tous les deux nous avons cette nostalgie chevillée au corps ; ensemble, nos nuits sont désormais perturbées. L'histoire nous a séparé, mais nos cœurs sont proches à jamais. Comme j'aimerais passé un moment sur ton balcon à admirer l'horizon où la beauté demeure toujours indestructible. Bien fraternellement, ya khouya !

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