Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Jean-Jean MORENO

Le : 03/03/2014 09:05

Bonjour à vous tous, concitoyens et anciens du plus beau quartier du monde, celui de notre enfance. Il me prend de temps en temps un brin de nostalgie qui m'oblige à écrire sans prétention aucune des mots venant du cœur au sujet de notre Bab el Oued. En voici un

Les bancs du square Guillemin

À l’occasion des deux pèlerinages ou retour à la terre natale que j’ai effectué chez nous à Bab el oued en 2007 et 2009, j’ai pu me rendre compte que l’état général des anciennes bâtisses du quartier, comme des infrastructures en général. Elles étaient plutôt défaillantes. Un manque d’entretien évident me fait penser que ces constructions ne tiendront pas encore des décennies au vu de certaines façades d’immeubles délabrées comme également leurs entrées donnant accès aux cages d’escaliers. Malgré tout il en reste un certain cachet.

Ces constructions avaient été faites avec amour par des ouvriers émigrés d’Espagne, d’Italie ou de l’ile de Malte et avec le concours des indigènes, qui allaient occuper ces logements par la suite puisque ce quartier était habité en majorité par des ouvriers. Ces premières constructions, dont une partie a été engouffrée par la coulée de boue descendant de la colline de Bouzaréah en 2001 et une autre, en prévision de démolition, ont dû débuter vers la fin du XIXème. C’est notre quartier, celui de la Cantéra c’est à dire ces immeubles non loin de la fameuse carrière Jaubert, celle qui a fourni l’ensemble des pierres destinées à l’érection d’une grande partie des bâtisses de la ville d’Alger.

Au début du XXème siècle, ces bâtisseurs ont surtout œuvré aux constructions allant de la place du lycée Bugeaud vers les Trois Horloges. Il me semble que cette partie du quartier de Bab el oued est relativement plus récente, ces constructions ont moins souffert du temps qui passe et du manque flagrant d’entretien. Au centre de ce secteur a été érigé en son temps, sur le souhait de l’épouse de Napoléon III, je crois, un grand jardin implanté au cœur d’un boulevard partant de la plage de Padovani et, s’étalant en montant jusqu’au tournant de la rampe Vallée.

À notre époque on le nommait « square Guillemin », mais à sa construction il devait être nommait boulevard général Farre. À l’intérieur de ce jardin, le long des allées serpentant en montant de la rue Montaigne vers la cité des Eucalyptus, avaient été implantés des bancs de pierre et de béton. Ils ont une particularité : leur assise est recouverte d’une belle mosaïque représentant les initiales de la ville d’Alger, en l’occurrence : V.A. de couleur bleue sur fond marron. Dès l’entrée de ce jardin, m’est venu de suite à l’esprit la photo où j’avais été pris l’été 1961 assis sur un de ces bancs dans la partie montante du jardin. J’avais encore en tête cette photo noir et blanc quand je me suis présenté devant un de ces bancs et je me revoyais là, assis avec mon pantalon blanc et ma chemise de même couleur, manches retroussées et col bien ouvert, à la zazou quoi ! Et les petits mocassins de forme italienne également blancs très à la mode en ce temps-là.

La végétation alentour avec ses cactus, ses plantes aromatiques ou grasses, ses arbustes de la région méditerranéenne, ne trahissait pas du tout la situation géographique de ce quartier. Nous sommes bien en Afrique du nord, face à la Méditerranée !

Il est vrai qu’après 45 ans d’absence, loin de ce quartier, les souvenirs des endroits que l’on fréquentait souvent à cette époque se déforment. Avec le temps on a tendance à imaginer ces endroits beaucoup plus grands, beaucoup plus large qu’en réalité. J’en ai eu la preuve en arpentant cette allée conçue en lacet pour atteindre le haut de ce jardin. Comme je le dis, je m’imaginais cette allée beaucoup plus large et mieux entretenue mais là, pour ce qui est de l’entretien, ce n’est pas de l’ordre de l’imaginaire mais bien de la réalité malheureusement. Peu ou pas d’entretien de voirie en général et encore moins au niveau de la propreté. Je ne m’attarderai pas sur le sujet. On peut également accéder au haut de ce jardin par deux grands escaliers situés de chaque côté de ce jardin montant mais, bien évidemment, il est plus agréable d’emprunter l’intérieur du jardin pour le plaisir des yeux, d’une part le cheminement est plus intéressant et d’autre part il nous permet d’avoir une vue sur Padovani et la mer. Un panorama qui vous marque à jamais! Inoubliable, quoi !

De cet endroit on peut apercevoir la partie basse de ce jardin, celle qui est comprise entre l’avenue de la Bouzaréah et l’avenue Malakoff. D’autres bancs y sont implantés dans cette partie basse mais ils n’ont pas la même élégance que ceux du haut. Certes ils sont tout aussi confortables mais ils ne sont pas agrémentés de mosaïques sur le dessus. Avant 1962, cette partie du jardin était divisée en deux parties, je crois, sur deux niveaux puisque nous sommes toujours sur une dénivellation. Ces deux parties étaient accessibles l’une à l’autre par une volée d’escaliers. Chacune de ces deux parties étaient cernées d’un petit muret surmonté d’une assise qui servait de banc et permettait aux mamans, tout en étant bien installées pour papoter entre elles, de surveiller leur progéniture qui se défoulait entre eux ou bien tournait sur le manège installé ici à longueur d’année, ce qui faisait la joie non pas des parents mais des tout petits.

En été ou quand il n’y avait pas d’école, dans les années 50, avec ma mère mais plus souvent avec ma tante qui était femme au foyer et mes deux cousins : José et Pierre-Jean nous passions des après midi à nous chamailler dans cette partie basse du jardin. C’était un endroit très fréquenté par les enfants des beaux immeubles environnant, on s’en faisait des copains d’un jour.

À l’heure du gouter, on avait le droit à une pièce de 100 sous pour s’acheter, au marchand ambulant, une part de calentita, sorte de tarte salée à la farine de pois chiche que l’on nomme dans le sud de la France de la « socca ou cade ». Après être passé chez le boulanger, récuper sa plaque de calentita cuite, ce marchand l’installait sur des tréteaux dans le jardin et pour attirer le chaland, il cognait son couteau sur le bord de la plaque par petits coups successifs en criant : « calentita,calentita ! ». On lui remettait la pièce de 100 sous et lui nous tendait le morceau de calentita enveloppé dans du papier journal, eh oui, c’était notre façon à nous de recycler ce papier entre autres façons puisqu’on l’utilisait également aux toilettes et on n’en est pas mort!

En 2009, quand je suis retourné pour la dernière fois, une grande partie des infrastructures de ce jardin existait encore mais la négligence des pouvoirs publics…. Enfin ! J’espère y retourner encore une fois (avec mon fils cette fois-ci) afin de remarcher sur les pas que j’ai pu faire dans ma jeunesse et me redire : c’est là que je suis né, c’est là que j’ai passé les meilleurs moments de ma jeunesse!

Stéphane ROUX

Le : 20/01/2014 09:45

Je suis né à Alger en 60 et parti en 62, je n'ai hélas aucun souvenir de cette période. Mais étant enfant, combien de fois avons nous entendu, mes cousines et moi, nous les gosses, parler nos parents et grands-parents, d'Alger, combien de fois entendu des noms, des surnoms (spécialité il faut croire des pieds-noirs), des rues, des commerces, de tout un tas d'anecdotes sur cette période... Combien de fois cela nous a saoulé d'entendre répéter les mêmes histoires, sur une vie que nous n'avons pratiquement pas connue, aucun souvenir pour aider, bref du bla-bla d'adultes. Mais voilà, les grands-parents ont disparu, certains parents aussi, ou alors bien vieux maintenant,on a beau dire ou beau faire nos racines ont trempé dans la terre d'Alger, alors ces bla-bla, nous manquent, une part de nous s'efface, beaucoup de nostalgie demeure. Alors quand par hasard, on découvre que des personnes ont connu les nôtres, qu'ils se rappellent de ces histoires, on a un peu l'impression de retrouver une branche de la famille, qui nous remémore nos propres souvenirs... J'ai vécu à Marseille, mais je ne suis pas de Marseille, j'ai vécu ensuite dans le Gard, mais je n'y ai pas mes racines, je vis depuis 1973 en région Toulousaine, mais je ne serai jamais un vrai toulousain... Ma terre natale est par delà la mer, une terre que je ne connais pas et que probablement je ne connaitrai jamais... Alors voilà, un grand merci à ceux qui se sont manifestés, qui m'ont écris, merci à tous ceux qui faites vivre la mémoire de nos anciens, notre mémoire, ma mère de 84 ans n'en revient encore pas, et cela lui a fait un plaisir incroyable. Si partout où j'ai vécu, j'ai entendu des mots de patois local, à la maison, c'est toujours des mots pieds-noirs que l'on a conservé et quand je dis à ma compagne qui est toulousaine : "Pour aller à la plage, je mets une cuissette, j'emporte le cabassette pour midi et la fouta pour s'essuyer" et si certains sont un peu "tchoutche ou beauveau", elle m'a regardé avec des yeux ronds au départ, mais elle commence à s'y faire... Allez, je termine mon roman, il faut que je me remette au travail bessif.. Bien amicalement à vous toutes et tous.

André TRIVES

Le : 17/01/2014 09:52

Mon cher Merzak,

Ton magnifique poème décrit la peine ressentie entre toi et Alger. Ta nostalgie, c'est la mienne. Ta douleur est équivalente à la mienne. Tes regrets sur notre Alger de l'époque sont les miens. Nous souffrons ensemble depuis 1962 et certainement nous garderons cette déchirure jusqu'à notre dernier souffle. Pour toutes ces raisons, j'affirme que toi et moi faisons partie d'une seule et même famille. Toi le musulman et moi le chrétien nous sommes Frères à jamais...Ensemble, avec nos Frères juifs, nous formions dans notre Bab el Oued d'alors, un peuple fraternel unique. La guerre, salope de guerre, est venue tout détruire...

Merzak OUABEDE

Le : 16/01/2014 14:13

QUI DE NOUS DEUX A PU CHANGER

Qui de nous deux a pu changer

N’est plus le même, n’est plus constant

Est-ce bien moi ou toi Alger

Toi que j’adore, et qu’j’aime tant

Je n’ai que toi, et ton soleil

Qui me réchauffe, sans me brûler

Et qui m’invite dès ton éveil

D’aller vers toi, déambuler

Je n’ai que toi, et ta mer bleue

Que je contemple sans me lasser

Même si dehors, il vente ou pleut

Je plonge au loin, dans ton passé

Dans tes boulevards et avenues

Tes belles terrasses, ont disparues

Que je me sens, un inconnu

Un débarqué et un intrus

Ni novelty, ni coq hardi

Ni le névé, ni d’autres encore

Ni les coquettes, ou les dandys

Qui s’pavanaient, dans ton décor

Où sont les modes vestimentaires

Qu’aux lendemains on adoptées

Qu’elles viennent de France ou d’Angleterre

Les algérois, vite les portaient

Mini, maxi, et le poncho

Taille basse, taille haute, patte d’éléphant

Deux pièces en plage, dès qu’il fait chaud

Et le jacquard pour les enfants

Où est la belle et la souriante

Que j’ai connue dans ma jeunesse

La chaleureuse et l’accueillante

Qui envoûtait jusqu’à l’ivresse

Où est l’ambiance des nuits d’été

Que tu offrais à tout moment

Comme ces galas de variétés

Dont on était, jadis gourmands

Pourquoi tes rues sont désertées

Juste à l’orée du crépuscule

Pourquoi l’on brime les libertés

Au lieu d ‘avancer, l’on recule

Qui rase tes murs, en étranger

Mais doit tenir, faut pas qu’il flanche

Qui se sent seul, et en danger

C’est moi ou toi, Alger la blanche

Qui te contraint et qui t’accule

A tout fermer, rideaux et portes

Plus rien ne bouge, rien ne circule

Devenant ainsi, une ville morte

Dis-moi pourquoi les étrangers

Ont tous quitté le territoire

Pourquoi, la peur et le danger

Pourquoi le deuil, pourquoi le noir

Ne pouvant pas t’abandonner

Je suis resté à tes côtés

Car je ne peux me pardonner

De te voir seule grelotter

Tu sais très bien ma belle cité

Que J’t’aime trop pour changer d’air

Mais j’aime autant la liberté

Et surtout celles auxquelles j’adhère

Tu es morose, n’est plus la même

Et tes enfants veulent te quitter

Mais malgré tout, tu sais qu’ils t’aiment

Tu es la leur et leur fierté

Je sais que tu as tant résisté

Comme toujours, et en tout temps

Je sais aussi qu’en vérité

S’en va l’hiver, vient le printemps

Alors dis moi qui a changé

N’est plus le même, n’est plus constant

Est-ce bien moi ou toi Alger

Toi que j’adore, et qu’j’aime tant

Merzak OUABED Alger, le 20 février 1998

Ce poème est dédié à vous et à votre site et à tous ceux qui sont nés à Alger, qu'ils ont quitté involontairement, et qu'ils continuent à aimer malgré tout.

L'ASSOCIATION A.B.E.O (le Blog)

- Assemblée Générale de BAB EL OUED (A.B.E.O)

- Club des CROISIERES

ASSEMBLEE GENERALE

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Club des CROISIERES

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Robert VOIRIN

Le : 01/01/2014 11:44

BONNE ANNEE 2014

Aïe Aïe Aïe voilà qu'elle est arrivée fissa cette nouvelle année,

j'en profite pour tirer mon capéo aux ouellos de mon quartier,

je sais qu'ils gardent dans un coin de leur cabote des images

que quand ils étaient des moutchatchous pas très sages

dans les rues de Bab El Oued ils arrêtaient pas de courir,

et maintenant les michquines ils arrêtent pas de s'en souvenir.

A eux et à tous , et je vais tacher moyen d'oublier personne,

bessif que le Bon Dieu à de vrai une botcha il me donne,

que jamais d'la vie ma parole d'honneur je raconte des tchalefs

surtout qu'à vous les amis je veux pas vous faire des zouzguefs.

Vous souhaiter ce qu'y a de mieux j'vous jure j'en ai la gobia,

alors purée de nous que la santé elle vous fasse pas tchoufa,

entention que schkoumoune et mauvais sang ils vous oublient,

akarbi c'est pas les bloffes d'un falso tout ça que j'vous dis.

Robert Voirin

Jean-Jierre RODRIGUEZ

Le : 31/12/2013 16:59

B O N N E A N N E E 2 0 1 4

A vous bande de calamars boiteux,

Qu'est ce que je dirais pas pour vous rendre heureux,

Sinon vous donner une calbote amicale,

Que ça va surement pas vous faire mal,

A vous tous les fartasses,les guitches et les laouères,

Ceux qui allaient se taper le bain en bas à la mer,

A tous les bouffeurs de cocas,mantécaos,zlabias,

Bliblis,roliettes,mounas makrouds et calentitas,

A ceux qui dégustaient les brochettes à Fort-de-l'Eau,

A ceux qui tapaient cinq,à tous les falsos,

Aux buveurs d'anisette avec kémias,

A ceux qui faisaient sans arrêt

La rue de Lyon,le jardin d'Essai,l'avenue de la Bouzaréah,

A tous les falampos qui mentaient comme des voleurs,

A tout ceux qui ont fait le bras d'honneur,trichaient aux tchics tchics

Ceux qui faisaient la chaine au Stella,qui tiraient le fer,

A tous les kilos,qui comme moi tapaient cao,soi disant manqua hora,

Allez,à tous ceux de notre ancien paradis,à tous ceux là

Je souhaite que cette nouvelle année,elle vous apporte le bonheur,et surtout que cette purée de santé,elle nous laisse pas tomber.

Jean-Jean MORENO

Le : 20/12/2013 21:21

Vacances d’été à Bab el oued

Il faisait très chaud ce début d’été 1961. Je venais d’avoir 14 ans et terminais ma scolarité dans l’école primaire de la rue Larrey, école nommée « Céccaldi », située à l’autre bout de mon quartier, avec l’obtention de ce fameux certificat d’étude passé dans cette non moins fameuse école/collège de la place Lelièvre située à deux pas de chez nous devant l’église St Joseph, chere église St Joseph où presque tous les gamins du quartier se sont fait baptiser, dans notre très bouillant quartier de Bab el Oued. Ce certificat d’étude primaire nous permettait d’envisager l’avenir d’une façon plutôt sereine. Ma mère s’était chargée de mon futur professionnel en me trouvant un emploi comme coursier, employé de bureau dans la compagnie d’assurance « l’Urbaine » située dans le centre ville d’Alger, rue Michelet, pas très loin de son lieu de travail entre la faculé d’Alger et le parc de Galland. Je devais m’y rendre avec elle à la fin des vacances scolaires c'est-à-dire début octobre, pour un entretien avec le responsable de l’établissement - Fondé de pouvoir qu’on le nommé !- afin d’entériner le contrat d’embauche qui devait, peut-être, me mener aux métiers de l’assurance après quelques années de bons et loyaux services dans cette compagnie. Mon parcours professionnel devait être tout tracé. Mais en attendant ces débuts professionnels, je devais profiter de ces trois mois de vacances réglementaires. Début juin, premier mois de vacances scolaires, s’annonçait très beau.

Jacky, mon copain et voisin du 2eme étage de notre immeuble, était le dernier enfant de la famille Pastor. De par ce statut et malgré une mère veuve, son père parti malheureusement trop tôt, nous ne l’avons pas connu, il obtenait pratiquement tout ce qu’il voulait d’elle. Il était je crois le seul garçon du quartier à se promener avec des chaussures « italiennes » de chez le grand chausseur à la mode de l’avenue de la Bouzaréah, non pas de Monoprix mais en face. Sans parler du reste, attention! Enfin, malgré cette différence de paraître on était quand même copain.

Sa sœur, Danielle, une très belle fille, un peu plus âgée que Jacky, se faisait pas mal courtiser par les garçons du quartier, j’avoue qu’elle ne me laissait pas indifférent quand elle sortait avec sa petite robe à carreau et ses ballerines, remuant du popotin en cherchant à imiter Brigitte Bardot dans les films « la femme et le pantin » ou « la vérité ». Je me souviens également qu’elle avait une voix aigue mais déjà imposante, une future mama en quelque sorte. Même Yvon, le fils de la mercière Madame Gilabert, un grand sec qui exerçait le métier d’électricien, était toujours dans ses jupes et disait à qui voulait bien l’entendre qu’il voudrait bien se la marier ! A cette époque, les filles ne pouvaient pas faire ce qu’elles voulaient, elles étaient tellement tenues et surveillées par les parents, en particulier les mères mais quand il manquait le père ou la mère au foyer, c’était un peu quartier libre pour ces jeunes filles ou garçons d’ailleurs! Jacky mon copain avait obtenu au Noël dernier par sa mère un beau vélo avec le guidon de course, la sonnette et une sacoche sur le côté. Le grand luxe quoi ! Pas besoin de vous dire que je cherchais souvent à le lui emprunter sans trop de succès.

Ce début de vacances scolaires était propice aux sorties et aux jeux et, ne pouvant faire du vélo à deux, avec les copains du quartier, nous avions plusieurs possibilités : La plage dite des « Bains de chevaux » ou celle de l’Eden, la carrière Jaubert, le jardin de l’église St Louis ou simplement le terrain de jeux enclavé dans notre pâté d’immeubles entre la rue Léon Roches et l’avenue de la bouzaréah

La plage la plus proche - les bains de chevaux - n’était pas très saine, on disait que les égouts de Bab el oued se déversaient ici et de plus, la proximité du terrain d’atterrissage des hélicoptères et le balai bruyant et incessant de ceux-ci, ramenant les militaires, blessés des montagnes de l’Aurès ou de l’Ouarsenis, était très désagréable. Alors, avec Jacky et les autres copains, il ne nous restait plus que la plage de l’Eden située entre le stade Marcel Cerdan et celui de St Eugene. Elle était un peu plus éloignée de chez nous. On y accédait par des escaliers assez dangereux du haut du Bd Pitolet. Le sable gris et assez grossier nous convenait très bien, il ne nous restait pas trop collé aux pieds en repartant donc pas besoin de serviettes. De plus une petite source descendant de la colline de la Bouzaréah venait se jeter dans la mer ici-même. Je pense que c’est à cet endroit que tous les jeunes du quartier ont appris à nager en plongeant d’un rocher émergeant de cinquante centimètres de l’eau qui n’était pas très loin du rivage. Le seul inconvénient de cette plage, paradoxalement, est le manque de soleil pour la simple raison que cette plage est vraiment en contre bas du boulevard du littoral et que celui-ci fait de l’ombre sur cette plage mal orientée par rapport au soleil.

On montait également à la carrière Jaubert, un endroit magique pour nous les enfants. C’est de cette carrière qu’ont été extraites la plus grande partie des pierres qui ont servi à la construction de la ville d’Alger et du faubourg de Bab el oued entre autres. Elle se situe juste au dessus de chez nous, après la côte de la Basseta. Quand le gardien des lieux ne nous poursuivait pas pour nous chasser de cette carrière, avec Jacky, mon frère et toute la bande de Cagayous du quartier, nous allions chercher les roseaux qui nous servaient à faire des sarbacanes que nous appelions « Canouts » ou bien, en coupant ces roseaux dans le sens de la longueur pour en faire des armatures de cerfs volants. Je vous expliquerai la confection d’un cerf volant plus tard.

Sur ces terres propices à la culture des roseaux poussaient également des figues de barbarie, un fruit vert ovale rempli d’épines sur sa peau. Avec délicatesse, en évitant de se piquer, avec un couteau on ôtait sa peau épaisse en étêtant les deux extrémités puis, une incision dans la longueur pour en manger le cœur. Que du bonheur !

Cette carrière était également une terre vouée aux courses de moto cross. De grands champions s’y sont exhibés et même si nous n’avions pas le sou pour assister au spectacle, nous entendions les pétarades de ces motos jusque dans le quartier !

Quand il faisait trop chaud et que nos parents nous interdisaient la plage, avec les copains on se repliait sur le petit jardin derrière chez nous rue Léon Roches à l’ombre de l’église St Louis. Ce jardin nous servait de stade de foot. Par bonheur il était rectangulaire, il y avait une entrée par la rue Léon Roches et une autre à l’extrémité rue Duplex qui nous servaient toutes deux de but, pas besoin de vous dire qu’on en a passé du temps dans ce jardin. Comme la plupart de mes copains, nous n’avions pas le sou pour nous payer un ballon de foot. Faut dire que notre quartier n’était pas le plus huppé d’Alger, loin s’en faut ! La majorité de la population était de simples ouvriers sans prétention. De fait, quand nous avions besoin de ballon, nous le confectionnons en formant une boule avec du papier qu’on ligotait avec de la ficelle. Ça tenait le temps d’un match, sinon on recommençait une autre boule.

Le terrain de jeux le plus fréquenté par l’ensemble des gamins du quartier, les Mikaleff, les Yvora, etc. était sans conteste ce terrain vague enclavé entre l’avenue de la Bouzaréah et le début de la rue Leon Roches, juste derrière le bar « Le Barcelone ». On y accédait en descendant la petite rue Eiffel ou Raspail. Cet espace en terre battue devait abriter à l’origine une bâtisse car des fondations apparaissaient de place en place au ras de terre. Nos jeux préférés étaient les billes avec un jeu qu’on nommait « TUIS ». Ce jeu consistait à lancer dans un trou qui avait 10 cm de diamètre environ et distant de 2 ou 3 mètres de nos pieds, un nombre de billes misé à part égale entre les 2 joueurs. Si il y avait un nombre pair de billes qui tombaient dans le trou, le lanceur remportait l’ensemble des billes misées, si le nombre était impair, c’est l’adversaire qui remportait la mise. Nous jouions aussi avec les capsules métalliques de bouteilles de « Cruch, Spips, Pchitt, 33 export » et autres en les faisant avancer par pichenettes, on appelait ce jeu « tchiaps ». Comme c’était la période estivale il y avait abondance de fruits et en particulier les abricots. Nous récupérions par centaines les noyaux de ce fruit pour en faire un jeu qui consistait à démolir des petits tas de quatre noyaux – trois noyaux à la base et un dessus – avec d’autres noyaux. Le caouitos qui démolissait le dernier tas, remportait l’ensemble des noyaux du jeu. Passionnant, n’est-ce pas ? En tout cas ça nous convenait amplement, on y passait des heures et on n’en demandait pas plus !

Cette période estivale était propice aux sorties le dimanche au bord de l’eau sur ces grandes plages au sable fin ou en foret avec les parents et les amis surtout pour ceux qui avaient une voiture. On allait à Fort de l’eau, Baïnem ou bien Zéralda. Le matin de bonne heure on chargeait la voiture de provisions sans oublier les chaises et la table pliantes, le parasol. Les bouées chambres à air et les maillots de bain qui n’étaient autres que des slips coton, étaient en bonne place dans le coffre afin de pouvoir s’ébrouer dans l’eau allègrement. La mama et la ouella – la grand-mère - avaient déjà fait frire la veille les cocas à la frita et aux blettes, les petits pâtés à la soubressade, préparé la boutifara, la fougasse et les kémias. Les hommes avaient veillé à ce qu’elles n’oublient pas de mettre dans le panier l’anisette et les tramousses, la bouteille ou la bonbonne de vin que l’on enterrerait dans le sable mouillé sitôt arrivé sur la plage sinon on aurait frisé le scandale ! Ce jour-là, les enfants avaient exceptionnellement droit à un peu de vin allongé de limonade ou un verre de Sélécto avec leur repas. Tout était préparé minutieusement, je dirais aussi cérémonieusement tant ces instants de plaisir assez rares comptés dans la vie de nos concitoyens.

Après ces repas pantagruels, les mamas obligeaient les enfants - et tout le monde d’ailleurs - à une sieste digestive d’environ deux heures avec la casquette obligatoire vissée sur la tête avant de pouvoir retourner s’ébattre dans l’eau et attention à celui qui s’avisait à ne pas respecter les consignes maternelles.

Quand le soir arrivait, la journée dominicale se terminait et là c’était une autre paire de manches ! Après avoir dégonflé les bouées, plié les chaises et table, rangé tout le matériel dans la voiture, ainsi que la petite famille, on refaisait le chemin à l’envers, on rentrait sur Bab el oued. Pendant le trajet du retour les enfants dormaient sur la banquette arrière quand aux parents, eux, ils pensaient à leur prochaine sortie. C’était leur façon à eux de partir en vacances.

La période la plus délicieuse de ces mois d’été était pour mes frères, ma sœur et moi les 15 jours ou 3 semaines que nous passions avec notre mère dans ce magnifique village de vacances de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Il était géré par notre caisse d’allocation familiale. Au matin, un taxi nous prenait à l’entrée de notre immeuble de Bab el oued pour nous déposer devant le pavillon d’accueil de ce village après environ 30mn de voyage. Une fois les formalités administratives faites auprès de la personne qui nous recevait, un employé chargeait nos bagages sur une charrette et nous conduisait à la « villa » qui nous était attribuée pour la durée du séjour. Pour nous ce logement qui était équipé d’une chambre pour les parents, de 3 alcôves de 2 lits gigogne chacune et d’une salle de bain/cabinet de toilette, était un palais. Un petit palais mais un palais tout de même. Ces logements n’étaient pas équipés de cuisine et pour cause, nous prenions, tous les vacanciers ensemble, les trois repas journaliers au grand restaurant du village.

Les enfants étaient rassemblés par des moniteurs le matin et l’après midi pour des activités ludiques ou sportives, histoire de libérer les parents qui s’adonnaient au plaisir du jeu de boules, la lecture, le sport ou autres occupations. Nos vacances au village se terminaient par une formidable fête organisait par les moniteurs et nous même les enfants. Ça se passait au cinéma théâtre de plein air et chaque groupe avait un spectacle à faire. La fête se terminait en apothéose : tout le monde sur la scène, c’était magique !

Généralement, à la fin de ce séjour de rêve, le retour à la maison annonçait malheureusement les préparatifs pour la rentrée scolaire, mais je dois avouer que les 3 mois de vacances me paraissaient toujours un peu trop longs. Pour ma part, je ne devais plus penser à la reprise scolaire. Certificat de fin d’étude en poche, mon cursus scolaire étant terminé, je devais penser plutôt à mon futur emploi de coursier en assurance. Même si je l’avais oublié, ma mère était là pour me le rappeler. Au début du mois d’octobre, la main dans la main, nous avons pris le bus boulevard de Provence jusqu’à la rue Michelet pour rencontrer mon fameux « fondé de pouvoir » de la compagnie d’assurance l’ « Hurbaine et la Seine »

C’était mes dernières vacances, scolaires ou pas, à Alger pour 2 raisons : D’abord ma mère ne souhaitait pas me voir continuer mes études au collège Condorcet, ensuite j’ai quitté l’Algérie dramatiquement et précipitamment en juin de l’année suivante : 1962

J’ai écrit ce texte en pensant à toutes les personnes disparues depuis et en particulier à mon cher frère CHRISTIAN disparu récemment, qui ne voyait et ne pensait, de par son handicap mental, qu’à sa jeunesse perdue là-bas, chez lui de l’autre côté de la Méditerranée. Paix à son âme!

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