Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

bibliothèque des trois horloges

Fil des billets - Fil des commentaires

André TRIVES

Le : 12/11/2013 09:40

Hier 11 novembre 2013, commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918. La France déclare s'apprêter à fêter l'an prochain le centenaire de cette guerre atroce qui fit 1 million 400.000 morts parmi ses enfants. Parmi eux, il y avait des poilus de chez nous qui partirent la fleur au fusil et ne revinrent jamais sur leur terre natale d'Algérie. Ces braves qui ignoraient s'appeler " Pieds-noirs " et n'imaginaient pas qu'un jour on chasserait du pays leurs descendants, s'embarquèrent pour défendre la patrie. Si les Manuel, Simon et Mohamed restés sur les champs de batailles de la Marne et dans les tranchées du Chemin des Dames revenaient aujourd'hui, ils se demanderaient à quoi leur sacrifice a-t-il bien pu servir ? A l'école pourtant, on leur avait bien appris que la France était UNE ET INDIVISIBLE... Respect à ces hommes de chez nous tombés dans l'oubli.

Cherif

Le : 03/10/2013 19:09

Merci Manuel de nous avoir transporté dans le temps et dans l'espace. Je garde une mémoire vive de l'épicerie de madame Nivard. je revois l'image de la vieille dame et de sa fille blonde avec une forte corpulence. Les tonneaux de poissons étaient en fait de la morue salée et séchée. Chez madame Nivard, nous pouvions tout acheter presque tout en vrac et en petites quantités: un demi litre d'huile, 2 ou 3 oeufs... Les produits conditionnés dans des emballages étaient trop chers (ou jugés comme tels). Nous transportions nos provisions dans nos paniers les sachets en matière plastique n'avaient pas encore fait leur apparition. Plus haut que le commerce de madame Nivard, il y a avait un marchand de vins et liqueurs géré par un sympathique couple parlant un Français avec un fort accent espagnol. Leur fils, Jean Claude fut de mes amis. je te salue Jean Claude. Plus haut encore, se tenait l'épicerie des Moutchous (mozabits). Elle était très achalandée, elle aussi. Plus haut encore, à l'angle du boulevard de Champagne et de la rue Francois Serrano, il y avait un horloger, ce me semble. Il est un autre personnage du quartier que je voudrais citer. Il s'appelle, je crois, Robert. C'était lui qui collait les affiches des films qui devaient être projetés au Rialto.

Manuel

Le : 30/09/2013 15:51

Bab el oued ,la porte de la rivière . Beo , tour de babel où vivaient en parfaite harmonie tous les peuples de la méditérrannée .

Bab el oued avait ses particularités la Bassetta et la place Dutertre avec ses héros CAGAYOUS et MUSETTE .C'était aussi mon quartier et j'aimerai vous en parler CAGAYOUS , était en fait une caricature des jeunes du quartier au langage original et élevés et grandis à la va comme je te pousse. MUSETTE ,un écrivain local possédait son monument . Un banc immense en forme de fer à cheval. C'était le rendez-vous des anciens et des jeunes quand les nuits d'été rendaient le lit insupportable . Ce banc était aussi le lieu d'interminables parties de " Mora "que se livraient les garçons . Et la fameuse BASSETTA : une rue en forme de côte si raide que rares sont les cyclistes pouvant se vanter d'avoir pu l'escalader ,exception des frères FRANCES , champions locaux et habitant de la rue . Cette côte vous amène passant devant les lavoirs directement à la place DUTERTRE La place DUTERTRE coeur de la bassetta avec son jardinet ,ses bancs, son urinoir, et son monument dédié à MUSETTE . La place DUTERTRE c'était le "RIALTO "de Rombi et Négro où nous avons vibrer aux exploits de "tonto" et du dernier des fédérés .La place DUTERTRE avec madame NIVARD son épicerie et ses deux filles . La place DUTERTRE c'était jeannot SENABRE et sa boulangerie . La place DUTERTRE c'était ANTONIO l'homme à la baguette et JEANNETTE son incomparable épouse .La place DUTERTRE c'est "TAGO" le roi de la calentita . De la place DUTERTRE passaient ou débutaient :Le boulevard de champagne dont la noria quotidienne des camions ne pouvait vous faire oublier l'ombre gigantesque et protectrice de la carrière JAUBERT . La rue camille DOULS et sa fameuse maison MARI ,déroulait son interminable ruban pour vous indiquer la direction de notre dame d'afrique sanctuaire de la vierge veillant sur le quartier . La rue françois SERRANO où les maltais élevaient , en pleine ville,des vaches et BALZAN qui vendait le lait tous les soirs poursuivi par la maréchaussée . La place DUTERTRE c'était toutes ces jolies filles ,prenant le frais rivalisant d'une beauté que ni Naples,ni Barcelone n'auraient pu nous envier . La place DUTERTRE c'étaient les copains dont beaucoup sont partis pour le pays où le facteur ne passe jamais,Je ferme les yeux et je revois ;GUY,HENRI,JEAN,ETIENNE, FABIEN, FRANCIS,NORBERT,JEAN PIERRE,NENESS, EMBAREK,JOSE, JOACHIM, et JOCELYNE,YOLANDE,MARYSE,MICHELE,JOSETTE,MARIE CARMEN,EVELYNE,COLETTE sans oublier FIFINETTE nôtre intouchable protégée . BAB EL OUED quartier de mon enfance,de mon adolescence du beau temps de l'égalité figure pour toujours dans mon paysage intérieur et dans le jardin de mes souvenirs . J'ai rêvé un instant de vous faire partager la nostalgie,l'amour indicible que je porte à mon pays de naissance, quand comme beaucoup d'entre vous je n'ai " empoté que terre à mes souliers " .

André TRIVES

Le : 16/07/2013 10:32

DERNIER JOUR D'ECOLE A BAB EL OUED AVANT LES GRANDES VACANCES;

La cour de l’école de la place Lelièvre vivait sa dernière récréation, la fougue et l’excitation des enfants étaient à son comble. La veille tous les livres avaient été rendus et remisés dans les placards. Le matériel de classe, les encriers et la bouteille d’encre rangés dans l’armoire située au fond de la classe. Pour la première fois de l’année, les élèves studieux et les cancres formaient un groupe homogène : ils participaient ensemble à une étonnante kermesse où les jeux et les déclamations théâtrales sur l'estrade galvanisaient les enthousiasmes. La communion était totale : l’ultime rencontre avec les copains avant de se séparer créait le moment le plus fabuleux que l’enfance puisse procurer . On vivait le dernier après-midi de classe avant de partir pour les grandes vacances qui duraient trois mois. Dans cette période festive nos maîtresses et nos maîtres se laissaient aller à une tendre complicité avec leurs élèves devenus subitement de gentils garnements. Ils participaient à tous les jeux de société amenés pour la circonstance et bataillaient fermement dans des parties de cartes, de dames, de dominos, de « mikado de Bab el oued » constitué de cinq lamelles de roseau jetées pêle-mêle qu'il fallait relever délicatement sans toucher les autres, d’osselets dégageant encore l’odeur du gigot de mouton et, pour défier l’intelligence et la réflexion de chacun, les cérébraux se confrontaient dans une partie « d'échecs made in BEO » appelée le « carré arabe ». Dans cette ambiance de liberté sans contrainte, les plus indisciplinés retrouvaient la sagesse et la modération. La liesse s’emparait de l’école . Une chorale grandiose résonnait lors de cette dernière récréation où le chant traditionnel repris à l’unisson ébranlait tout le quartier : « Gai, gai l’écolier, c’est demain les vacances- Gai, gai l’écolier, c’est demain que j’ m’en vais- A bas les analyses, les verbes et les dictées, tout ça c’est d’ la bêtise, allons nous amuser. » L' événement se célébrait dans toutes les écoles de Bab el Oued. Une joie maladive s’emparait des gamins à l’approche du dernier tintement de la cloche à la liberté retrouvée. Alors, l’été nous transformait et nous exalter durant 3 mois en nous confiant au père soleil et à notre mer « mare nostrum » à quelques pas de nos maisons . Les journées de baignade à Padovani, à l’Eden, au Petit Bassin, aux Deux Chameaux ou au Parc aux huitres nous faisaient tolérer la chaleur étouffante de nos étés caniculaires. Trois mois à jouer et à rire sur les espaces de distractions offerts par des traditions apprises de nos aînés : « des faiseurs de rêves ». La buanderie consacrée au jour de lessive, la terrasse réservée au matelassier pour la matinée, les trottoirs barbouillés de dessins à la craie, les terrains vagues transformés en stade de foot, les placettes ombragées au sein des cités, les cours intérieures des maisons de carriers, les halls d'entrées d'immeubles réservés aux petits, les criques caressées par une mer bleue transparente, les soirées partagées en famille sur la plage des Bains de Chevaux autour du « cabassette », la passion des jeux fabriqués « maison » : noyaux, tchappes, déraillés, billes, toupies, carré arabe, marelle, corde à sauter, mère-que-veux-tu, fanfan vinga, tu l'as, chat perché, carrioles à roulements, trottinettes...Bab el Oued, c'était un cirque permanent dédié à la joie des enfants où tout se fabriquait de leurs mains.Cette inventivité offrait à tous ces jeunes de familles modestes, la foire aux rêves la plus extraordinaire que le monde des enfants ait pu réaliser. Et cela se transmettait de génération en génération. Enfin, le tintement de la cloche salvatrice libérait définitivement les fauves des « cages » primaires, la sortie se franchissait au pas de course et en quelques instants le parvis de l’école de la place Lelièvre retrouvait la tranquillité pour trois mois.

André TRIVES

Le : 17/07/2013 11:56

LES GRANDES VACANCES ( suite)

Si quelques privilégiés fils de fonctionnaires partaient en colonie de vacances et découvraient la France, tandis que d’autres rejoignaient des centres de jeunesse sous la houlette de la Mairie d'Alger comme celui de la forêt de Yakouren, la grande majorité organisait les vacances sur place dans le quartier. Alors, le quotidien d’été prenait forme petit à petit et le goût de l’aventure s’emparait vite des préoccupations de chacun, ainsi chaque matin on prévenait sa mère : « Mama ! je descends en bas la rue… ». Nous avions de bonnes têtes avec nos cheveux coupés à la brosse pour l'été. La rue, c’était la porte ouverte à une multitude d'amusements et d’apprentissages que l’on découvrait avec sa génération de copains. Elle se transformait en un théâtre de plein air où la folie imaginative des créateurs en culotte courte s'exprimait comme une réalité. Les grandes vacances nous donnaient le sentiments d’agir en toute liberté et souvent on en vérifiait la limite en investissant des territoires encore inconnus. Là, on s’inventait des secrets mystérieux , on se fabriquait des légendes et la curiosité l’emportait toujours. Braver l’interdit nous excitait particulièrement : l’un d’entre nous chipait la clef de la cave de l’immeuble du trousseau pendu derrière la porte d’entrée de la concierge, et descendre vers cet abîme inconnu pour y découvrir les esprits et les fantômes imaginés, c’était la plus belle chair de poule suscitée par la frayeur ressentie. Pas de lumière, une nuit totale, on s’asseyait en tailleur, on ne percevait pas le regard angoissé des autres, on jouait à se faire peur. La flamme vacillante d’une bougie allumée accentuait le silence inquiétant qui nous entourait et pour ne pas se faire remarquer des revenants que l’on redoutait et qui nous tétanisaient, nous nous soutenions en se prenant par la main et les conversations se poursuivaient à voix basse. Soudain, la concierge qui s’était rendue compte de l’intrusion, jaillissait hurlante de colère et nous détallions comme une volée de moineaux. Madame G. avec son accent espagnol criait : « bande de petits vauriens, vous finirez par mettre le feu à l’immeuble, ce soir je le dirais à votre père… » Ainsi, durant le reste de la journée nous retrouvions un calme forcé pour ne plus se faire remarquer en pensant aux représailles qui nous seraient réservées le soir venu. Mais Madame G. était une brave femme qui nous avez vu tous naître, elle ne mettait jamais à exécution ses menaces. Alors nous avions l’obligation de trouver un autre territoire interdit pour exister de nouveau. Venait l’idée de construire le moyen de locomotion le plus grisant : une carriole à roulements à billes. L’œuvre était collective et telle une écurie de course automobile, on se mettait en quête de trouver auprès du menuisier et du garagiste du coin, les divers éléments nécessaires à sa réalisation. Ensuite était désigné le pilote qui représenterait l’équipe pour participer à la course qui se déroulait dans la descente de la rue des Moulins. La compétition se passait l’après-midi après que les portefaix aient rangé les étals des marchands et que les éboueurs munis de lances à eau aient aspergé abondamment le pourtour du marché . Les carrioles s’élançaient dans un brouillard londonien où l’asphalte chauffé par le soleil de plomb de juillet, dégageait une fumée humide et blanchâtre. Les « Fangio » en herbe gagnés par la vitesse avaient du mal à maintenir leur trajectoire sur le sol glissant et la visibilité partiellement bouchée par l’écran de fumée. Alors ce qui devait arriver, arrivait : un choc violent contre le rebord du trottoir, l’amusement se muait en accident, des cris de peur couvraient la scène, la carriole bondissait sur le trottoir et pénétrait dans le Bar Costes à l’angle de la rue de Châteaudun, heurtant les consommateurs qui se rafraîchissait paisiblement au comptoir. L’ambiance chauffait quelques minutes, des larmes sur les joues rougies du téméraire attendrissaient les adultes qui expliquaient qu’à son âge ils en avaient fait autant, des excuses prononcées en essuyant d’un revers de main le nez renifleur ; il y avait toujours plus de peur que de mal. On promettait comme pour la fois précédente, de ne jamais plus recommencer. Pour divertir nos journées nous projetions une escapade en bande sur les hauteurs de Bab el Oued en direction des carrières Jaubert où la végétation desséchée affichait un jaune triste de pâleur et totalement délavé. Nous retrouvions les plaisirs de saison que notre imagination mettait à profit chaque année : cueillir de belles mûres rouges ou noires gorgées de sucre, remplir la musette de figues de barbarie en prenant soin d’éviter leurs piquants acérés, couper quelques plumets de roseaux au bord d’un ruisseau tari et parcouru de cailloux brûlants pour tailler la redoutable sarbacane: le « canoutte » ou « tire-boulette » qui servait à nos batailles rangées contre les bandes ennemies qui s’aventureraient à attaquer notre rue. S’ajoutait le lance-pierre qui servait aussi à chasser les moineaux : le « taouète » formé d’un rameau en forme d’Y sur lequel deux élastiques tendus reliés à un rectangle de cuir propulsaient violemment un petit caillou de forme ronde à la manière d’une fronde. Le « taouète » porté à la ceinture nous donnait le sentiment d’appartenir à une armée de Robin des Bois investie d’une mission au service des pauvres et des opprimés. Dans un vallon encore humide on grattait la terre pour extraire l'argile que l'on appelait : « terre en glaise » servant de pâte à modeler qui allait nous distraire lors des moments de canicule passés à l’ombre sur le sol frais de la cour de notre immeuble. On sculptait des figurines et le jeu de la « coca » fabriqué avec cet argile nous couvrait de salissures ; mais l’application et le soin que l’on y mettait faisaient dire aux adultes : « Ils se pourrissent comme des charbonniers, mais au moins on sait où ils sont...». A tour de rôle, les mamans obtenaient la terrasse de l’immeuble pour effectuer la grande lessive. C’était alors des moments d’amusement exceptionnels avec les baignades dans la buanderie où, à la fin de la journée, on rentrait épuisés des jeux et affrontements échangés dans les rires et la bonne humeur. Notre imagination réussissait à recréer une véritable tempête en haute mer avec l’eau des bassins de 60 cm²qui servaient de lavoir. La seule précaution à prendre consistait à éviter de s’aventurer pieds nus sur les carrelages rouges de la terrasse que le soleil impitoyable avait rendu en braises incandescentes. Les parties de foot se concevaient toujours comme une rencontre de coupe du monde dont les règles définies par les protagonistes concluaient d'un accord préalable : « C’est un match contrat ». Elles se déroulaient entre deux bouches d’égout disposées face-à-face au bord du trottoir dont on avait pris soin d’obstruer l’accès avec du papier afin que la balle faite de chiffon humide ou de papier journal compacté et ficelé ne puisse disparaître à jamais au premier but marqué. On s’appelait par les noms de nos idoles, on défendait bec et ongles la réputation de notre club de foot préféré, mais la partie allait rarement à son terme ; le cantonnier stoppait nos ardeurs en ouvrant la vanne d’eau pour inonder la rue à l’occasion de son nettoyage quotidien. Lorsque tôt le matin, Bab el oued se réveillait sans un souffle d’air et que les rayons du soleil s’accrochaient indiscrètement aux claires-voies des persiennes, une journée de canicule s’annonçait et la chaleur entamait sans pitié le siège des maisons encore endormies. Ce jour là, nous étions aspiré par le nord, là où se trouvait la mer. En tenue légère, et dans la même direction, des groupes formaient une longue procession vert un but commun : vivre en maillot de bain et se rafraîchir dans l’eau bleue que le ciel immaculé nous offrait. La marche en espadrilles jusqu’aux Deux Chameaux était moins pénible à l’aller qu’au retour, même si le poids de la pastèque constituait un lourd handicap à porter. A destination, une couverture tendue servait de parasol entre deux piquets et le mur qui soutenait le boulevard. Le ressac des vaguelettes nous tenait au frais les bouteilles de gazouz que l’on avait enterrées dans le sable. Les amusements jusqu'à épuisement sur la chambre à air, la corbeille d’oursins que l’on « faisait », les cris de joie des enfants sous le regard de leurs parents, heureux de revivre à leur tour les scènes familiales de leur propre enfance, les jeux de ballon où il fallait toujours gagner. Les plongeons en « pantcha » explosant le miroir d’eau d'une gerbe blanche tel un feu d'artifice, la chaleur collée à la peau et le coup de soleil « en traître » dans le dos, le calvaire du retour à la maison par Raïsville, l’Eden, le Petit Chapeau et le stade Marcel Cerdan s’adoucissait quelque peu avec l’admiration de la vue enchanteresse qui dominait notre « mare nostrum ». Partout, les cris et les éclats de rire continuaient de monter des criques pour nous rappeler que la liesse se poursuivait tard dans la soirée, jusqu’à ce que la nuit dépose un voile de fraîcheur ; enfin de fraicheur toute relative. Au retour à la maison, on croyait habiter dans le four d'un boulanger tellement il faisait chaud. La fatigue nous calmait des ardeurs habituelles, un bain dans la grande bassine et quelques casseroles d’eau diluaient le sel qui fardait notre corps : on s’endormait avec les bruits et les plaisirs que la mer nous avait une fois de plus accordés. Le soleil nous tiraillait la peau jusqu’au sommeil, alors les rêves avaient l’odeur de l’iode et contrairement à ceux qui se construisent habituellement dans l'invention, nos rêves étaient toujours puisés dans la réalité. La tirelire de la mémoire comptabilisait ces belles journées d’été et nous savions qu’il y en aurait d’autres à l’infini. A l’instar des villes du sud de la Méditerranée, les après-midi de fournaise nous cloîtraient dans les appartements avec persiennes fermées et portes ouvertes ; le calme d’un brin de sieste se prenait alors dans une sorte d’abandon langoureux sur le carrelage où s’entamait un joue à joue amoureux dans l'attente d’un courant d’air. Les cris des « yaouleds » ventant la une du journal « Dernière Heure » qui paraissait à partir de seize heures, sonnaient le rassemblement des troupes d’enfants qui se préparaient à vivre une nouvelle vie « en bas la rue ». Il ne fallait pas perdre de temps si l’on voulait jouir de la douche inespérée que l’arroseuse municipale nous gratifiait en remontant la rue des Moulins en direction du marché déserté. Elle aspergeait en pluie fine rues et trottoirs, et nous, fidèles opportunistes adeptes de la secte des plaisirs immodérés, on se précipitait derrière l’engin, manifestant bruyamment une joie indescriptible sous le jet chatouilleux et bienfaisant qui rafraîchissait nos pieds nus. Puis petit à petit le cirque de nos distractions traditionnelles installait son chapiteau dans la rue, la grande parade des numéros commençait : «à la une, à la deux, à la trois », ici les filles s’engageaient prestement pour le saut à la corde qui claquait comme un fouet sur les dalles du trottoir couvertes de gribouillis à la craie. Là, raisonnaient des questions ponctuées d’un claquement de main : « mère, que veux-tu ? », et la réponse intimait d’avancer sans être vu. Plus loin le ciel était le but qu’il fallait atteindre à cloche-pied lors d’une marelle effrénée. Les plus jeunes mettaient en scène sous les boîtes aux lettres de l’entrée de l’immeuble, la vie de leur maman avec poupées en chiffon, lit à bascule, dînette, vaisselle et ustensiles de cuisine en fer blanc. Il y avait même, en cas d’urgence, un volontaire qui remplissait la fonction de docteur. Les garçons eux, maintenaient leur singularité en se choisissant par catégorie d’âge et surtout par affinité. Adossait à un mur, le « coussin » dirigeait la manœuvre du sauteur qui prenait son élan pour atterrir sur le dos d’un groupe de cinq garçons arc-boutés comme dans une mêlée de rugby alignée en colonne, la tête contre son ventre. Le sauteur criait : « fanfan » et le « coussin » ainsi que les badauds qui suivaient intéressés la partie répondaient à l’unisson : « vinga ». L’équipe qui gagnait était celle qui était restée en équilibre sans tomber sur le groupe arc-bouté. Il s’en suivait des moments homériques avec des chutes extraordinaires lorsque les porteurs montaient une farce au sauteur parti promptement dans les airs, en s’écartant au dernier instant. Les rires collectifs et une pointe de honte apaisaient les douleurs. Juillet était propice au tour de France des déraillés : le parcours tortueux dessiné à la craie était minutieusement suivi sans sortir du chemin tracé, c’est à dire sans dérailler. L’objet de la compétition consistait à propulser des bouchons métalliques de bouteilles de soda lestés par pichenettes successives, afin de franchir l’arrivée le premier. Inutile de décrire les passions engendrées où chaque bouchon représentait des noms célèbres : Bobet, Robic, Coppi, Bahamontès sans oublier nos vedettes locales : Zaaf et Zélasco. A la maison l’imagination débordante des enfants se faisait sentir dans de nombreux domaines : plus une boîte d’allumettes en l’état, seulement une boîte de chaussures les contenant par poignées; la raison n’échappait à personne, la folie des « tchappes » était passée par là. Certains jeux se conditionnaient par sacs entiers que l’on gardait précieusement jusqu’à l’année d’après : le sac de billes ou le sac de noyaux était l’accessoire d’excellence au même titre que le cartable . Aussi, le fruit le plus apprécié à Bab el Oued, c’était l’abricot, non pour sa chair sucrée, mais pour la valeur inestimable de son noyau qui suivait une cotation fluctuante à la bourse des trocs du jeu des noyaux. Ces jeux avaient donné naissance à un langage spécifique que seuls les enfants de Bab el Oued en comprenaient le sens: la « tchappe » qui tombait à cheval contre le mur déclenchait un cri d’admiration : « cabaille », pour aguicher une partie de noyaux, l’annonce était scandée en chantant : « A qui tire le tas, il gagne le tas », aux billes, la mesure entre les extrémités du pouce et du majeur tendus à plat donnait le gain en déclarant :« bite et pam », réussir à lancer toutes les billes dans un même trou avait pour formule joyeuse : « tuisse-bacuisse, tu l’as dans la cuisse », jouer aux noyaux à « séven » avec une paire de « tic-tic » n’échappait pas à des mots ésotériques : le 7 gagnant c’était :« séven », le 2 ou 12 perdant : c’était : « claps », pour avoir le droit de recommencer son jeu, une affirmation bien pratique : « pas bonne échappe » , s’excuser pour avoir toucher 2 billes à la fois : « pas bon caran », et reconnaître la défaite :« j’ai fait tchouffa ! ». Lors du lancé des « tic-tic » on essayait d’affirmer une connaissance secrète afin d’inquiéter l’adversaire en soufflant un air magique sur le poing fermé et si le coup s’avérait par chance gagnant, il confirmait la prophétie et soulevait des rires de vantardise de son auteur en déclarant: « c’est la classe qui parle ». C'était ça le Bab el Oued de mon enfance. Un quartier destiné à divertir et à rendre joyeux les enfants que nous étions. Comme nos parents l'avaient vécu, à notre tour la continuité était assurée. L'histoire a privé nos enfants de naître dans ce merveilleux quartier et de connaître à leur tour cette vie fraternelle partagée entre toutes les communautés.

André TRIVES

Le : 08/07/2013 19:01

C'est 18 h, le coup de canon vient d'annoncer que le jeûne peut être rompu. Nous sommes au mois d'Aoùt 1950, j'ai 9 ans. Le Ramadan est installé pour un mois dans Bab el Oued. Le sirocco et la chaleur caniculaire de l'été accentue la difficulté à ne pas boire durant la journée. Dans la rue des Moulins on note une agitation particulière avec les clients qui se précipite dans le café maure de l'Etoile Blanche pour rompre le jeune en avalant une gazouz bien fraîche. Les marchands itinérants ont installé leur chariot à deux roues, maintenu en équilibre par une béquille. On fait la queue pour acheter des maïs grillés, des jujubes, des figues de barbarie. A gauche de l'entrée s'alignent sur des grandes plaques les pâtisseries orientales au miel et aux amandes dont je raffole. Pour certains, la partie de dominos les transporte dans un moment de plaisir partagé entre amis autour d'un thé à la menthe après une dure journée de carème. Leur joie s'exprime par le claquement du pion qu'il frappe sur le tapis. L'euphorie est générale. Qu'il fait bon vivre dans ce quartier populaire d'Alger où les traditions sont respectées par toutes les religions. A 21 h, après notre repas pris en famille, nous nous retrouverons assis sur le trottoir à profiter de cette belle fête qui occupe la rue et comme chaque soir, avec quelques pièces de monnaie j'irai acheter quelques zalabias dégustés en famille. Alors, je me lècherai les babines comme un chaton avec ce miel qui ne coagule jamais en été. Nous irons nous coucher avec les douze coups de l'horloge de l'école de la place Lelievre. Quel bonheur de savoir que tout recommencera le lendemain et ce, pendant un mois. C'est impossible à oublier ces moments d'enfance passés en compagnie de mes parents. Ce mois de Ramadan en été dans la rue des Moulins à Bab el Oued ne s'est jamais effacé de mes rêves...

André TRIVES

Le : 09/06/2013 10:48

Cher Mustapha, mon frère de Bab el Oued !

Il n'y a aucune différence entre ta nostalgie de l'époque et la mienne. Sauf que toi, tu retrouves au quotidien le changement délabré du décor de notre enfance resté figé à la même place. Je t'imagine sur ton balcon dominant Padovani où la vue sur l'horizon demeure magnifique. C'est probablement cet instant qui te réconcilie avec notre passé...Les levés et couchés de soleil sur la mer d'huile, les nuits traversées d'étoiles filantes, les bateaux au loin allant et venant sur le port d'Alger, les cris d'enfants sur la plage Matarès, les filles jouant à la marelle sur l'esplanade, les garçons en sueur courant à perdre haleine derrière un cerceau sur le square Guillemin ; est-ce hier ou aujourd'hui ? Le privilège de ton balcon : c'est de te donner un flash-back réel et de te restituer les scènes d'avant sans détour. Oui, mon frère, tous les deux nous avons cette nostalgie chevillée au corps ; ensemble, nos nuits sont désormais perturbées. L'histoire nous a séparé, mais nos cœurs sont proches à jamais. Comme j'aimerais passé un moment sur ton balcon à admirer l'horizon où la beauté demeure toujours indestructible. Bien fraternellement, ya khouya !

Mustapha OUALIKENE

Le : 08/06/2013 23:07

Il y a quelques jours lors d’une cérémonie familiale, moment que nous apprécions le plus pour discuter les larmes aux yeux et plein de tristesse de la mort lente de tous nos quartiers de Bab El Oued de notre avenue de la Bouzaréa lieu des belles boutiques et de toutes les rencontres et dragues je me rappel de mon ami Kader Nekrouf qui était du même quartier que moi il était le fils du propriétaire du bain maure entre le Triolet et le Scotto. Son père était très sévère et très strict sur les études de son fils et sur l’éducation en général de son bambin, avec mon ami Kader c’était le défi permanent pour notre tenue vestimentaire et nos notes à l’école plus tard moi j’ai fait le Lycée technique pour faire carrière dans un bureau d’étude en topographie lui à l’école des beaux arts pour être plus tard décorateur à la télévision nous avions un ami commun Clément qui habitait au Monplaisant de famille modeste son père était cordonnier notre ami Clément avait toujours aider son père dans le petit atelier familial, il était charger par son père de faire les petites courses ou le nettoyage de la petite échoppe en contre partie outre les nombreuses réprimandes de son père qui n’était pas facile il recevait tout les Samedi un sois disant salaire. Comme notre ami Clément avait un souci vestimentaire et de l’élégance dans nos traditionnelle sorties à l’Avenue de la Bouzaréa il économisa ce salaire semaine après semaine pour s’offrir un beau costard fait par le père de notre ami Edmond Molina de la rue Montaigne pas loin du bar les arènes et la librairie Palomba une fois le costume acquit il ne lui rester qu’une belle chemise et la cravate qui va avec, direction le grand magasin chez Jules Av. de la Bouzaréa, mais notre ami n’était toujours pas satisfait, il lui manquait toujours une belle paire de soulier pour cet accessoire toute la bande l’accompagna chez André une fois tous son attirail emballé et déposé chez lui, il est 16h pile avec tous les copains c’est séances de douche et passage oblige chez notre coiffeur au 04 rue Léon Roche une fois la coupe faite chacun de nous rejoignit son domicile pour se préparer et être sur son « trente un ». Dés que notre ami Clément nous rejoint au trois horloges il n’était plus le même Clément que nous connaissions, nous avions tous l’impression que nous étions en présence d’un acteur de cinéma, il était vraiment élégant notre ami. C’est de la que nous lui avions donner le pseudonyme « l’élégant » Le problème maintenant nous n’avions aucune chance avec lui car toutes les gonzesses que nous allions rencontrer ne verront que lui. A l’époque c’était un rituel de faire des allers-retours sur l’Av de la Bouzaréa. Une fois une dame d’une cinquantaine d’années accompagnée d’un jeune homme la vingtaine l’aborda toute rougissante à hauteur du monoprix pour lui dire « excusez moi monsieur mon fils veux s’avoir ou vous avez acheter votre costume il le trouve si beau et vous si élégant » Clément se sentant très fière explique à la dame que c’est un tailleur qui le lui à fait et explique à la dame ou se trouve le magasin de monsieur Molina qui d’ailleurs n’était qu’à une centaine de mètres. Toute au long de la soirée et de notre discutions chacun de nous avait sa petite histoire et son anecdote à nous relater comme par exemple tous ces bars qui ont baissé rideaux ou tous ces cinémas qui donnaient la joie à toute le monde. Même nos librairies qui à chaque rentrée scolaire étaient envahi par tous les mômes accompagnés parfois de leurs parents pour être les premiers servi . Ou est notre place de l’Alma avec ses arrêts de trams ou sont toutes les fleuristes et ne parlons pas de toutes les églises qui faisaient le charme de la rue Léon Roche, de la Place Leliève ou de l’Avenue Borély La Sapie. Ou sont toutes ces placettes qui nous servaient d’aires de jeux et tous ces boulodromes ou nous allions voir nos parents jouaient la pétanque. Même nos plages n’ont plus ce goût d'antan. Maintenant je comprend bien La tristesse de tous nos amis(es) qui ont fait le pèlerinage dans leurs quartiers d'enfance et qui ne comprennent pas pourquoi tous ce gâchis je comprend parfaitement tous ceux qui espérer revoir leurs maisons mais malheureusement ces dernières n'existent plus ou en état de délabrement avancé je comprend la tristesse de ces personnes qui la mort dans l’âme voient dans quel état se trouvent les cimetières ou sont enterrés leurs parents et amis(es) je comprend aussi tous ces jeunes qui veulent partir par tous les moyens et c’est pour ça que je dédie ce texte en hommage à tous nos anciens et en me posant avec angoisse la question fatidique combien de temps notre Bab El Oued va-t-il encore résister ?

André TRIVES

Le : 03/06/2013 18:31

Ah! quelle était belle cette journée d'hier à Rognes. Tout était parfait : un soleil d'été lumineux comme jamais. L'astre de lumière s'était probablement lever en se disant : " Aujourd'hui je passe un examen avec les enfants de Bab el Oued qui ne vont pas s'arrêter de parler du soleil flamboyant qu'ils avaient à Alger. Alors, pour éviter les polémiques, je vais leur en mettre plein les yeux en leur tapissant un ciel bleu azur de Provence sans nuage comme ils n'en n'ont jamais vu ici". Et c'est ce qu'il a fait... La nature nous a bien fait les choses, il restait à l'ABEO sous la houlette de son président René SANCHEZ d'honorer par leur savoir faire l'accueil des 2 à 3000 personnes venues de tous les coins de France (La puce venait du Pas de Calais), mais aussi Merzak du Danemark, Robert de Suède, Seror de Miami, Chantal du Portugal, M'Hamed de Londres et j'en oublie encore. Il me faut donc au passage saluer le savoir faire de tous les bénévoles de l'ABEO qui plusieurs jours durant ont travaillé d'arrache-pied pour transformer ce lieu de villégiature en un quartier de Bab el Oued. Tout d'abord était érigé au centre, noblesse oblige, les 3 horloges. A l'enseigne de Blanchette, quelques mamies vendaient de la soubressade, des pâtisseries orientales et les fameux beignets arabes. Un régal de saveurs qui de facto nous transportait au quartier voilà 51 ans mes amis! Sur les troncs d'arbre on retrouvait avec émotion les noms de nos rues disparues. Une attention très efficace, puisque certains manifestaient leur mécontentement de ne pas retrouver la rue où ils habitaient. Il aurait fallu tous les troncs d'arbres de la forêt amazonienne et 2 tonnes de clous pour satisfaire tout le monde. Musique et chants sous la direction de Franck et Dominique nous remémoraient les flonflons du Robinson et du Normandie à Sidi Ferruch un 15 aout, voilà bien plus de 55 ans en compagnie de nos parents. La buvette servait aux assoiffés le Cristal avec kémia et la fumée des merguez avait le don de tordre nos estomacs affamés. A disposition on trouvait plusieurs toilettes avec lavabo; il faut dire qu'à nos âges la convenance était efficace pour nos pauvres vessies. Enfin, un stand avec pompiers et médecin était présent au cas où, mais je vous rassure ils n'ont servi à rien. Alors bravo à tous ces gens qui se décarcassent chaque année pour faire en sorte que notre BEO soit toujours vivant en chair et en os et pas seulement dans nos cœurs. A tous mes frères et sœurs de BEO qui avaient partagé cette journée magnifique pleine d'émotion, j'ai une confidence à vous faire : tout comme moi vous voulez que ça revienne l'an prochain, alors, je vous le demande en frère, adhérer à l'ABEO, Cité des Rapatriés, 496 rue Paradis-13008. Marseille. C'est grâce aux 450 adhérents actuels et aux aides des bénévoles qui sont de leur poche que tous les matériels et services ont été payé hier. Rien n'était gratuit : le camion de location, le terrain de la Mairie, les pompiers, les toilettes, les tables, les chaises, les assurances obligatoires souscrites à l'occasion, le gardien qui veillait la nuit précédente. A défaut, juste un petit mot de félicitations de votre part aurait pour conséquence d'adoucir les courbatures des braves papis qui se sont mobilisés hier pour que la fête de Bab el Oued demeure belle et soit réitérée chaque année tant que la santé nous le permettra. Je vous embrasse fraternellement.

Richard GADEA

Le : 05/05/2013 22:15

bonsoir André, je tenais à te féliciter pour ce site, en le lisant j'ai eut l'impression de revenir plus de 60 ans , parcourant en long et en large B.E.O ou habitaient mes parents,( paternel, maternelle ) 31 rue de la carrière , ainsi que mes arrières grand-parents qui sont arrivaient de leurs villages POLOP de la Marina en Espagne vers 1880. tous cela je ne peut pas l'oublier. " Nul ne s'est jamais perdu dans le droit chemin " Goerthe. Mes sincères amitiés. richard " de Guyotville "

- page 6 de 39 -