Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

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Jean-Jean MORENO

Le : 03/03/2014 09:05

Bonjour à vous tous, concitoyens et anciens du plus beau quartier du monde, celui de notre enfance. Il me prend de temps en temps un brin de nostalgie qui m'oblige à écrire sans prétention aucune des mots venant du cœur au sujet de notre Bab el Oued. En voici un

Les bancs du square Guillemin

À l’occasion des deux pèlerinages ou retour à la terre natale que j’ai effectué chez nous à Bab el oued en 2007 et 2009, j’ai pu me rendre compte que l’état général des anciennes bâtisses du quartier, comme des infrastructures en général. Elles étaient plutôt défaillantes. Un manque d’entretien évident me fait penser que ces constructions ne tiendront pas encore des décennies au vu de certaines façades d’immeubles délabrées comme également leurs entrées donnant accès aux cages d’escaliers. Malgré tout il en reste un certain cachet.

Ces constructions avaient été faites avec amour par des ouvriers émigrés d’Espagne, d’Italie ou de l’ile de Malte et avec le concours des indigènes, qui allaient occuper ces logements par la suite puisque ce quartier était habité en majorité par des ouvriers. Ces premières constructions, dont une partie a été engouffrée par la coulée de boue descendant de la colline de Bouzaréah en 2001 et une autre, en prévision de démolition, ont dû débuter vers la fin du XIXème. C’est notre quartier, celui de la Cantéra c’est à dire ces immeubles non loin de la fameuse carrière Jaubert, celle qui a fourni l’ensemble des pierres destinées à l’érection d’une grande partie des bâtisses de la ville d’Alger.

Au début du XXème siècle, ces bâtisseurs ont surtout œuvré aux constructions allant de la place du lycée Bugeaud vers les Trois Horloges. Il me semble que cette partie du quartier de Bab el oued est relativement plus récente, ces constructions ont moins souffert du temps qui passe et du manque flagrant d’entretien. Au centre de ce secteur a été érigé en son temps, sur le souhait de l’épouse de Napoléon III, je crois, un grand jardin implanté au cœur d’un boulevard partant de la plage de Padovani et, s’étalant en montant jusqu’au tournant de la rampe Vallée.

À notre époque on le nommait « square Guillemin », mais à sa construction il devait être nommait boulevard général Farre. À l’intérieur de ce jardin, le long des allées serpentant en montant de la rue Montaigne vers la cité des Eucalyptus, avaient été implantés des bancs de pierre et de béton. Ils ont une particularité : leur assise est recouverte d’une belle mosaïque représentant les initiales de la ville d’Alger, en l’occurrence : V.A. de couleur bleue sur fond marron. Dès l’entrée de ce jardin, m’est venu de suite à l’esprit la photo où j’avais été pris l’été 1961 assis sur un de ces bancs dans la partie montante du jardin. J’avais encore en tête cette photo noir et blanc quand je me suis présenté devant un de ces bancs et je me revoyais là, assis avec mon pantalon blanc et ma chemise de même couleur, manches retroussées et col bien ouvert, à la zazou quoi ! Et les petits mocassins de forme italienne également blancs très à la mode en ce temps-là.

La végétation alentour avec ses cactus, ses plantes aromatiques ou grasses, ses arbustes de la région méditerranéenne, ne trahissait pas du tout la situation géographique de ce quartier. Nous sommes bien en Afrique du nord, face à la Méditerranée !

Il est vrai qu’après 45 ans d’absence, loin de ce quartier, les souvenirs des endroits que l’on fréquentait souvent à cette époque se déforment. Avec le temps on a tendance à imaginer ces endroits beaucoup plus grands, beaucoup plus large qu’en réalité. J’en ai eu la preuve en arpentant cette allée conçue en lacet pour atteindre le haut de ce jardin. Comme je le dis, je m’imaginais cette allée beaucoup plus large et mieux entretenue mais là, pour ce qui est de l’entretien, ce n’est pas de l’ordre de l’imaginaire mais bien de la réalité malheureusement. Peu ou pas d’entretien de voirie en général et encore moins au niveau de la propreté. Je ne m’attarderai pas sur le sujet. On peut également accéder au haut de ce jardin par deux grands escaliers situés de chaque côté de ce jardin montant mais, bien évidemment, il est plus agréable d’emprunter l’intérieur du jardin pour le plaisir des yeux, d’une part le cheminement est plus intéressant et d’autre part il nous permet d’avoir une vue sur Padovani et la mer. Un panorama qui vous marque à jamais! Inoubliable, quoi !

De cet endroit on peut apercevoir la partie basse de ce jardin, celle qui est comprise entre l’avenue de la Bouzaréah et l’avenue Malakoff. D’autres bancs y sont implantés dans cette partie basse mais ils n’ont pas la même élégance que ceux du haut. Certes ils sont tout aussi confortables mais ils ne sont pas agrémentés de mosaïques sur le dessus. Avant 1962, cette partie du jardin était divisée en deux parties, je crois, sur deux niveaux puisque nous sommes toujours sur une dénivellation. Ces deux parties étaient accessibles l’une à l’autre par une volée d’escaliers. Chacune de ces deux parties étaient cernées d’un petit muret surmonté d’une assise qui servait de banc et permettait aux mamans, tout en étant bien installées pour papoter entre elles, de surveiller leur progéniture qui se défoulait entre eux ou bien tournait sur le manège installé ici à longueur d’année, ce qui faisait la joie non pas des parents mais des tout petits.

En été ou quand il n’y avait pas d’école, dans les années 50, avec ma mère mais plus souvent avec ma tante qui était femme au foyer et mes deux cousins : José et Pierre-Jean nous passions des après midi à nous chamailler dans cette partie basse du jardin. C’était un endroit très fréquenté par les enfants des beaux immeubles environnant, on s’en faisait des copains d’un jour.

À l’heure du gouter, on avait le droit à une pièce de 100 sous pour s’acheter, au marchand ambulant, une part de calentita, sorte de tarte salée à la farine de pois chiche que l’on nomme dans le sud de la France de la « socca ou cade ». Après être passé chez le boulanger, récuper sa plaque de calentita cuite, ce marchand l’installait sur des tréteaux dans le jardin et pour attirer le chaland, il cognait son couteau sur le bord de la plaque par petits coups successifs en criant : « calentita,calentita ! ». On lui remettait la pièce de 100 sous et lui nous tendait le morceau de calentita enveloppé dans du papier journal, eh oui, c’était notre façon à nous de recycler ce papier entre autres façons puisqu’on l’utilisait également aux toilettes et on n’en est pas mort!

En 2009, quand je suis retourné pour la dernière fois, une grande partie des infrastructures de ce jardin existait encore mais la négligence des pouvoirs publics…. Enfin ! J’espère y retourner encore une fois (avec mon fils cette fois-ci) afin de remarcher sur les pas que j’ai pu faire dans ma jeunesse et me redire : c’est là que je suis né, c’est là que j’ai passé les meilleurs moments de ma jeunesse!

Stéphane ROUX

Le : 20/01/2014 09:45

Je suis né à Alger en 60 et parti en 62, je n'ai hélas aucun souvenir de cette période. Mais étant enfant, combien de fois avons nous entendu, mes cousines et moi, nous les gosses, parler nos parents et grands-parents, d'Alger, combien de fois entendu des noms, des surnoms (spécialité il faut croire des pieds-noirs), des rues, des commerces, de tout un tas d'anecdotes sur cette période... Combien de fois cela nous a saoulé d'entendre répéter les mêmes histoires, sur une vie que nous n'avons pratiquement pas connue, aucun souvenir pour aider, bref du bla-bla d'adultes. Mais voilà, les grands-parents ont disparu, certains parents aussi, ou alors bien vieux maintenant,on a beau dire ou beau faire nos racines ont trempé dans la terre d'Alger, alors ces bla-bla, nous manquent, une part de nous s'efface, beaucoup de nostalgie demeure. Alors quand par hasard, on découvre que des personnes ont connu les nôtres, qu'ils se rappellent de ces histoires, on a un peu l'impression de retrouver une branche de la famille, qui nous remémore nos propres souvenirs... J'ai vécu à Marseille, mais je ne suis pas de Marseille, j'ai vécu ensuite dans le Gard, mais je n'y ai pas mes racines, je vis depuis 1973 en région Toulousaine, mais je ne serai jamais un vrai toulousain... Ma terre natale est par delà la mer, une terre que je ne connais pas et que probablement je ne connaitrai jamais... Alors voilà, un grand merci à ceux qui se sont manifestés, qui m'ont écris, merci à tous ceux qui faites vivre la mémoire de nos anciens, notre mémoire, ma mère de 84 ans n'en revient encore pas, et cela lui a fait un plaisir incroyable. Si partout où j'ai vécu, j'ai entendu des mots de patois local, à la maison, c'est toujours des mots pieds-noirs que l'on a conservé et quand je dis à ma compagne qui est toulousaine : "Pour aller à la plage, je mets une cuissette, j'emporte le cabassette pour midi et la fouta pour s'essuyer" et si certains sont un peu "tchoutche ou beauveau", elle m'a regardé avec des yeux ronds au départ, mais elle commence à s'y faire... Allez, je termine mon roman, il faut que je me remette au travail bessif.. Bien amicalement à vous toutes et tous.

André TRIVES

Le : 17/01/2014 09:52

Mon cher Merzak,

Ton magnifique poème décrit la peine ressentie entre toi et Alger. Ta nostalgie, c'est la mienne. Ta douleur est équivalente à la mienne. Tes regrets sur notre Alger de l'époque sont les miens. Nous souffrons ensemble depuis 1962 et certainement nous garderons cette déchirure jusqu'à notre dernier souffle. Pour toutes ces raisons, j'affirme que toi et moi faisons partie d'une seule et même famille. Toi le musulman et moi le chrétien nous sommes Frères à jamais...Ensemble, avec nos Frères juifs, nous formions dans notre Bab el Oued d'alors, un peuple fraternel unique. La guerre, salope de guerre, est venue tout détruire...

Merzak OUABEDE

Le : 16/01/2014 14:13

QUI DE NOUS DEUX A PU CHANGER

Qui de nous deux a pu changer

N’est plus le même, n’est plus constant

Est-ce bien moi ou toi Alger

Toi que j’adore, et qu’j’aime tant

Je n’ai que toi, et ton soleil

Qui me réchauffe, sans me brûler

Et qui m’invite dès ton éveil

D’aller vers toi, déambuler

Je n’ai que toi, et ta mer bleue

Que je contemple sans me lasser

Même si dehors, il vente ou pleut

Je plonge au loin, dans ton passé

Dans tes boulevards et avenues

Tes belles terrasses, ont disparues

Que je me sens, un inconnu

Un débarqué et un intrus

Ni novelty, ni coq hardi

Ni le névé, ni d’autres encore

Ni les coquettes, ou les dandys

Qui s’pavanaient, dans ton décor

Où sont les modes vestimentaires

Qu’aux lendemains on adoptées

Qu’elles viennent de France ou d’Angleterre

Les algérois, vite les portaient

Mini, maxi, et le poncho

Taille basse, taille haute, patte d’éléphant

Deux pièces en plage, dès qu’il fait chaud

Et le jacquard pour les enfants

Où est la belle et la souriante

Que j’ai connue dans ma jeunesse

La chaleureuse et l’accueillante

Qui envoûtait jusqu’à l’ivresse

Où est l’ambiance des nuits d’été

Que tu offrais à tout moment

Comme ces galas de variétés

Dont on était, jadis gourmands

Pourquoi tes rues sont désertées

Juste à l’orée du crépuscule

Pourquoi l’on brime les libertés

Au lieu d ‘avancer, l’on recule

Qui rase tes murs, en étranger

Mais doit tenir, faut pas qu’il flanche

Qui se sent seul, et en danger

C’est moi ou toi, Alger la blanche

Qui te contraint et qui t’accule

A tout fermer, rideaux et portes

Plus rien ne bouge, rien ne circule

Devenant ainsi, une ville morte

Dis-moi pourquoi les étrangers

Ont tous quitté le territoire

Pourquoi, la peur et le danger

Pourquoi le deuil, pourquoi le noir

Ne pouvant pas t’abandonner

Je suis resté à tes côtés

Car je ne peux me pardonner

De te voir seule grelotter

Tu sais très bien ma belle cité

Que J’t’aime trop pour changer d’air

Mais j’aime autant la liberté

Et surtout celles auxquelles j’adhère

Tu es morose, n’est plus la même

Et tes enfants veulent te quitter

Mais malgré tout, tu sais qu’ils t’aiment

Tu es la leur et leur fierté

Je sais que tu as tant résisté

Comme toujours, et en tout temps

Je sais aussi qu’en vérité

S’en va l’hiver, vient le printemps

Alors dis moi qui a changé

N’est plus le même, n’est plus constant

Est-ce bien moi ou toi Alger

Toi que j’adore, et qu’j’aime tant

Merzak OUABED Alger, le 20 février 1998

Ce poème est dédié à vous et à votre site et à tous ceux qui sont nés à Alger, qu'ils ont quitté involontairement, et qu'ils continuent à aimer malgré tout.

Robert VOIRIN

Le : 01/01/2014 11:44

BONNE ANNEE 2014

Aïe Aïe Aïe voilà qu'elle est arrivée fissa cette nouvelle année,

j'en profite pour tirer mon capéo aux ouellos de mon quartier,

je sais qu'ils gardent dans un coin de leur cabote des images

que quand ils étaient des moutchatchous pas très sages

dans les rues de Bab El Oued ils arrêtaient pas de courir,

et maintenant les michquines ils arrêtent pas de s'en souvenir.

A eux et à tous , et je vais tacher moyen d'oublier personne,

bessif que le Bon Dieu à de vrai une botcha il me donne,

que jamais d'la vie ma parole d'honneur je raconte des tchalefs

surtout qu'à vous les amis je veux pas vous faire des zouzguefs.

Vous souhaiter ce qu'y a de mieux j'vous jure j'en ai la gobia,

alors purée de nous que la santé elle vous fasse pas tchoufa,

entention que schkoumoune et mauvais sang ils vous oublient,

akarbi c'est pas les bloffes d'un falso tout ça que j'vous dis.

Robert Voirin

Jean-Jierre RODRIGUEZ

Le : 31/12/2013 16:59

B O N N E A N N E E 2 0 1 4

A vous bande de calamars boiteux,

Qu'est ce que je dirais pas pour vous rendre heureux,

Sinon vous donner une calbote amicale,

Que ça va surement pas vous faire mal,

A vous tous les fartasses,les guitches et les laouères,

Ceux qui allaient se taper le bain en bas à la mer,

A tous les bouffeurs de cocas,mantécaos,zlabias,

Bliblis,roliettes,mounas makrouds et calentitas,

A ceux qui dégustaient les brochettes à Fort-de-l'Eau,

A ceux qui tapaient cinq,à tous les falsos,

Aux buveurs d'anisette avec kémias,

A ceux qui faisaient sans arrêt

La rue de Lyon,le jardin d'Essai,l'avenue de la Bouzaréah,

A tous les falampos qui mentaient comme des voleurs,

A tout ceux qui ont fait le bras d'honneur,trichaient aux tchics tchics

Ceux qui faisaient la chaine au Stella,qui tiraient le fer,

A tous les kilos,qui comme moi tapaient cao,soi disant manqua hora,

Allez,à tous ceux de notre ancien paradis,à tous ceux là

Je souhaite que cette nouvelle année,elle vous apporte le bonheur,et surtout que cette purée de santé,elle nous laisse pas tomber.

Jean-Jean MORENO

Le : 20/12/2013 21:21

Vacances d’été à Bab el oued

Il faisait très chaud ce début d’été 1961. Je venais d’avoir 14 ans et terminais ma scolarité dans l’école primaire de la rue Larrey, école nommée « Céccaldi », située à l’autre bout de mon quartier, avec l’obtention de ce fameux certificat d’étude passé dans cette non moins fameuse école/collège de la place Lelièvre située à deux pas de chez nous devant l’église St Joseph, chere église St Joseph où presque tous les gamins du quartier se sont fait baptiser, dans notre très bouillant quartier de Bab el Oued. Ce certificat d’étude primaire nous permettait d’envisager l’avenir d’une façon plutôt sereine. Ma mère s’était chargée de mon futur professionnel en me trouvant un emploi comme coursier, employé de bureau dans la compagnie d’assurance « l’Urbaine » située dans le centre ville d’Alger, rue Michelet, pas très loin de son lieu de travail entre la faculé d’Alger et le parc de Galland. Je devais m’y rendre avec elle à la fin des vacances scolaires c'est-à-dire début octobre, pour un entretien avec le responsable de l’établissement - Fondé de pouvoir qu’on le nommé !- afin d’entériner le contrat d’embauche qui devait, peut-être, me mener aux métiers de l’assurance après quelques années de bons et loyaux services dans cette compagnie. Mon parcours professionnel devait être tout tracé. Mais en attendant ces débuts professionnels, je devais profiter de ces trois mois de vacances réglementaires. Début juin, premier mois de vacances scolaires, s’annonçait très beau.

Jacky, mon copain et voisin du 2eme étage de notre immeuble, était le dernier enfant de la famille Pastor. De par ce statut et malgré une mère veuve, son père parti malheureusement trop tôt, nous ne l’avons pas connu, il obtenait pratiquement tout ce qu’il voulait d’elle. Il était je crois le seul garçon du quartier à se promener avec des chaussures « italiennes » de chez le grand chausseur à la mode de l’avenue de la Bouzaréah, non pas de Monoprix mais en face. Sans parler du reste, attention! Enfin, malgré cette différence de paraître on était quand même copain.

Sa sœur, Danielle, une très belle fille, un peu plus âgée que Jacky, se faisait pas mal courtiser par les garçons du quartier, j’avoue qu’elle ne me laissait pas indifférent quand elle sortait avec sa petite robe à carreau et ses ballerines, remuant du popotin en cherchant à imiter Brigitte Bardot dans les films « la femme et le pantin » ou « la vérité ». Je me souviens également qu’elle avait une voix aigue mais déjà imposante, une future mama en quelque sorte. Même Yvon, le fils de la mercière Madame Gilabert, un grand sec qui exerçait le métier d’électricien, était toujours dans ses jupes et disait à qui voulait bien l’entendre qu’il voudrait bien se la marier ! A cette époque, les filles ne pouvaient pas faire ce qu’elles voulaient, elles étaient tellement tenues et surveillées par les parents, en particulier les mères mais quand il manquait le père ou la mère au foyer, c’était un peu quartier libre pour ces jeunes filles ou garçons d’ailleurs! Jacky mon copain avait obtenu au Noël dernier par sa mère un beau vélo avec le guidon de course, la sonnette et une sacoche sur le côté. Le grand luxe quoi ! Pas besoin de vous dire que je cherchais souvent à le lui emprunter sans trop de succès.

Ce début de vacances scolaires était propice aux sorties et aux jeux et, ne pouvant faire du vélo à deux, avec les copains du quartier, nous avions plusieurs possibilités : La plage dite des « Bains de chevaux » ou celle de l’Eden, la carrière Jaubert, le jardin de l’église St Louis ou simplement le terrain de jeux enclavé dans notre pâté d’immeubles entre la rue Léon Roches et l’avenue de la bouzaréah

La plage la plus proche - les bains de chevaux - n’était pas très saine, on disait que les égouts de Bab el oued se déversaient ici et de plus, la proximité du terrain d’atterrissage des hélicoptères et le balai bruyant et incessant de ceux-ci, ramenant les militaires, blessés des montagnes de l’Aurès ou de l’Ouarsenis, était très désagréable. Alors, avec Jacky et les autres copains, il ne nous restait plus que la plage de l’Eden située entre le stade Marcel Cerdan et celui de St Eugene. Elle était un peu plus éloignée de chez nous. On y accédait par des escaliers assez dangereux du haut du Bd Pitolet. Le sable gris et assez grossier nous convenait très bien, il ne nous restait pas trop collé aux pieds en repartant donc pas besoin de serviettes. De plus une petite source descendant de la colline de la Bouzaréah venait se jeter dans la mer ici-même. Je pense que c’est à cet endroit que tous les jeunes du quartier ont appris à nager en plongeant d’un rocher émergeant de cinquante centimètres de l’eau qui n’était pas très loin du rivage. Le seul inconvénient de cette plage, paradoxalement, est le manque de soleil pour la simple raison que cette plage est vraiment en contre bas du boulevard du littoral et que celui-ci fait de l’ombre sur cette plage mal orientée par rapport au soleil.

On montait également à la carrière Jaubert, un endroit magique pour nous les enfants. C’est de cette carrière qu’ont été extraites la plus grande partie des pierres qui ont servi à la construction de la ville d’Alger et du faubourg de Bab el oued entre autres. Elle se situe juste au dessus de chez nous, après la côte de la Basseta. Quand le gardien des lieux ne nous poursuivait pas pour nous chasser de cette carrière, avec Jacky, mon frère et toute la bande de Cagayous du quartier, nous allions chercher les roseaux qui nous servaient à faire des sarbacanes que nous appelions « Canouts » ou bien, en coupant ces roseaux dans le sens de la longueur pour en faire des armatures de cerfs volants. Je vous expliquerai la confection d’un cerf volant plus tard.

Sur ces terres propices à la culture des roseaux poussaient également des figues de barbarie, un fruit vert ovale rempli d’épines sur sa peau. Avec délicatesse, en évitant de se piquer, avec un couteau on ôtait sa peau épaisse en étêtant les deux extrémités puis, une incision dans la longueur pour en manger le cœur. Que du bonheur !

Cette carrière était également une terre vouée aux courses de moto cross. De grands champions s’y sont exhibés et même si nous n’avions pas le sou pour assister au spectacle, nous entendions les pétarades de ces motos jusque dans le quartier !

Quand il faisait trop chaud et que nos parents nous interdisaient la plage, avec les copains on se repliait sur le petit jardin derrière chez nous rue Léon Roches à l’ombre de l’église St Louis. Ce jardin nous servait de stade de foot. Par bonheur il était rectangulaire, il y avait une entrée par la rue Léon Roches et une autre à l’extrémité rue Duplex qui nous servaient toutes deux de but, pas besoin de vous dire qu’on en a passé du temps dans ce jardin. Comme la plupart de mes copains, nous n’avions pas le sou pour nous payer un ballon de foot. Faut dire que notre quartier n’était pas le plus huppé d’Alger, loin s’en faut ! La majorité de la population était de simples ouvriers sans prétention. De fait, quand nous avions besoin de ballon, nous le confectionnons en formant une boule avec du papier qu’on ligotait avec de la ficelle. Ça tenait le temps d’un match, sinon on recommençait une autre boule.

Le terrain de jeux le plus fréquenté par l’ensemble des gamins du quartier, les Mikaleff, les Yvora, etc. était sans conteste ce terrain vague enclavé entre l’avenue de la Bouzaréah et le début de la rue Leon Roches, juste derrière le bar « Le Barcelone ». On y accédait en descendant la petite rue Eiffel ou Raspail. Cet espace en terre battue devait abriter à l’origine une bâtisse car des fondations apparaissaient de place en place au ras de terre. Nos jeux préférés étaient les billes avec un jeu qu’on nommait « TUIS ». Ce jeu consistait à lancer dans un trou qui avait 10 cm de diamètre environ et distant de 2 ou 3 mètres de nos pieds, un nombre de billes misé à part égale entre les 2 joueurs. Si il y avait un nombre pair de billes qui tombaient dans le trou, le lanceur remportait l’ensemble des billes misées, si le nombre était impair, c’est l’adversaire qui remportait la mise. Nous jouions aussi avec les capsules métalliques de bouteilles de « Cruch, Spips, Pchitt, 33 export » et autres en les faisant avancer par pichenettes, on appelait ce jeu « tchiaps ». Comme c’était la période estivale il y avait abondance de fruits et en particulier les abricots. Nous récupérions par centaines les noyaux de ce fruit pour en faire un jeu qui consistait à démolir des petits tas de quatre noyaux – trois noyaux à la base et un dessus – avec d’autres noyaux. Le caouitos qui démolissait le dernier tas, remportait l’ensemble des noyaux du jeu. Passionnant, n’est-ce pas ? En tout cas ça nous convenait amplement, on y passait des heures et on n’en demandait pas plus !

Cette période estivale était propice aux sorties le dimanche au bord de l’eau sur ces grandes plages au sable fin ou en foret avec les parents et les amis surtout pour ceux qui avaient une voiture. On allait à Fort de l’eau, Baïnem ou bien Zéralda. Le matin de bonne heure on chargeait la voiture de provisions sans oublier les chaises et la table pliantes, le parasol. Les bouées chambres à air et les maillots de bain qui n’étaient autres que des slips coton, étaient en bonne place dans le coffre afin de pouvoir s’ébrouer dans l’eau allègrement. La mama et la ouella – la grand-mère - avaient déjà fait frire la veille les cocas à la frita et aux blettes, les petits pâtés à la soubressade, préparé la boutifara, la fougasse et les kémias. Les hommes avaient veillé à ce qu’elles n’oublient pas de mettre dans le panier l’anisette et les tramousses, la bouteille ou la bonbonne de vin que l’on enterrerait dans le sable mouillé sitôt arrivé sur la plage sinon on aurait frisé le scandale ! Ce jour-là, les enfants avaient exceptionnellement droit à un peu de vin allongé de limonade ou un verre de Sélécto avec leur repas. Tout était préparé minutieusement, je dirais aussi cérémonieusement tant ces instants de plaisir assez rares comptés dans la vie de nos concitoyens.

Après ces repas pantagruels, les mamas obligeaient les enfants - et tout le monde d’ailleurs - à une sieste digestive d’environ deux heures avec la casquette obligatoire vissée sur la tête avant de pouvoir retourner s’ébattre dans l’eau et attention à celui qui s’avisait à ne pas respecter les consignes maternelles.

Quand le soir arrivait, la journée dominicale se terminait et là c’était une autre paire de manches ! Après avoir dégonflé les bouées, plié les chaises et table, rangé tout le matériel dans la voiture, ainsi que la petite famille, on refaisait le chemin à l’envers, on rentrait sur Bab el oued. Pendant le trajet du retour les enfants dormaient sur la banquette arrière quand aux parents, eux, ils pensaient à leur prochaine sortie. C’était leur façon à eux de partir en vacances.

La période la plus délicieuse de ces mois d’été était pour mes frères, ma sœur et moi les 15 jours ou 3 semaines que nous passions avec notre mère dans ce magnifique village de vacances de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Il était géré par notre caisse d’allocation familiale. Au matin, un taxi nous prenait à l’entrée de notre immeuble de Bab el oued pour nous déposer devant le pavillon d’accueil de ce village après environ 30mn de voyage. Une fois les formalités administratives faites auprès de la personne qui nous recevait, un employé chargeait nos bagages sur une charrette et nous conduisait à la « villa » qui nous était attribuée pour la durée du séjour. Pour nous ce logement qui était équipé d’une chambre pour les parents, de 3 alcôves de 2 lits gigogne chacune et d’une salle de bain/cabinet de toilette, était un palais. Un petit palais mais un palais tout de même. Ces logements n’étaient pas équipés de cuisine et pour cause, nous prenions, tous les vacanciers ensemble, les trois repas journaliers au grand restaurant du village.

Les enfants étaient rassemblés par des moniteurs le matin et l’après midi pour des activités ludiques ou sportives, histoire de libérer les parents qui s’adonnaient au plaisir du jeu de boules, la lecture, le sport ou autres occupations. Nos vacances au village se terminaient par une formidable fête organisait par les moniteurs et nous même les enfants. Ça se passait au cinéma théâtre de plein air et chaque groupe avait un spectacle à faire. La fête se terminait en apothéose : tout le monde sur la scène, c’était magique !

Généralement, à la fin de ce séjour de rêve, le retour à la maison annonçait malheureusement les préparatifs pour la rentrée scolaire, mais je dois avouer que les 3 mois de vacances me paraissaient toujours un peu trop longs. Pour ma part, je ne devais plus penser à la reprise scolaire. Certificat de fin d’étude en poche, mon cursus scolaire étant terminé, je devais penser plutôt à mon futur emploi de coursier en assurance. Même si je l’avais oublié, ma mère était là pour me le rappeler. Au début du mois d’octobre, la main dans la main, nous avons pris le bus boulevard de Provence jusqu’à la rue Michelet pour rencontrer mon fameux « fondé de pouvoir » de la compagnie d’assurance l’ « Hurbaine et la Seine »

C’était mes dernières vacances, scolaires ou pas, à Alger pour 2 raisons : D’abord ma mère ne souhaitait pas me voir continuer mes études au collège Condorcet, ensuite j’ai quitté l’Algérie dramatiquement et précipitamment en juin de l’année suivante : 1962

J’ai écrit ce texte en pensant à toutes les personnes disparues depuis et en particulier à mon cher frère CHRISTIAN disparu récemment, qui ne voyait et ne pensait, de par son handicap mental, qu’à sa jeunesse perdue là-bas, chez lui de l’autre côté de la Méditerranée. Paix à son âme!

André TRIVES

Le : 23/11/2013 08:50

Un souvenir d'enfance déjà publié afin de répondre à la demande de Mustapha et en faire profiter ceux qui l'auraient zappé...Ce texte figurera dans mon prochain livre qui s'appellera :

BAB EL OUED FOR EVER.

NOCES DE BAB EL OUED A TIPASA.

J’ai toujours ce besoin incontrôlable de trifouiller dans l’enregistrement de ma mémoire ancienne où sont rangés les bons et les mauvais souvenirs de ma jeunesse vécue en Algérie. Je pousse la porte de la salle des archives ; les grincements me rappellent qu'il y a bien longtemps que je n’y suis venu. Dans la pénombre, sans hésitation, je me dirige vers le rayonnage blanchi d’une épaisse poussière. Sur l’étagère branlante, je saisis la bobine où figurent les images en noir et blanc d’une inoubliable sortie éducative à la découverte des ruines romaines de Tipasa organisée par notre instituteur de l’école de la Place Lelièvre : Monsieur BENHAÏM. C’était il y a bien longtemps, 60 ans je crois, et dans mon esprit l'événement date d'hier. Ce jour là avec l’ensemble des camarades, nous étions transportés de joie à l’idée d’aller découvrir ce site historique, et aussi par le fait de ne pas avoir classe ce jour là. Il faut dire que pour la majorité d’entre nous âgée d'une dizaine d'années, partir en véhicule automobile loin du quartier représentait un baptême et une aventure. Dès sept heures, on prit place dans l’autocar garé devant l'école, et Monsieur BENHAÏM, tel un épicier vérifiant son stock de marchandises, pointa et repointa les présents pour n’oublier personne. Un cri collectif de libération salua le départ et nous regagnâmes le littoral en chantant comme un seul homme toutes les rimes en « A » de notre « pataouète » ( Langue colorée d'espagnol, d'italien, d'arabe et de français révélée en 1896 par l'écrivain Auguste Robinet dans ses publications sur « Les amours de Cagayous » ) : « Faire un tour en pastéra » lança pour débuter Ferrer; et tout le car reprit en cœur : « C’est tata, c’est l’algérois ». « Manger d'la calentita » cria-t-il à nouveau, amenant à l’unisson le refrain : « C’est tata, c’est l’algérois ». « Monter la côte de la Bassetta », « La figa de ta ouella », et toujours le même cœur avec les veines du cou prêtes à éclater : « C’est tata c’est l’algérois.» L’énergie débordante et les cris d’exaltation se calmèrent subitement ; à hauteur du stade Marcel Cerdan, nous fûmes pour un court instant muet d’admiration : le boulevard et la mer, côte à côte dans un joue-à-joue sinueux, déroulaient en perspective des cartes postales marines. Seuls les bavards commentèrent les scènes le nez collé à la vitre. « Oh ! L'Eden... l'Eden ! Là-bas sur l'eau la pastéra, regardez la pastéra ! » En contrebas de la route, un pêcheur souquait ferme pour rejoindre son palangre posé à quelques encablures de la plage déserte. Le voyage allait être long. Pour beaucoup plongés dans la fascination, les yeux écarquillés par tant de tableaux animés, ils découvraient pour la première fois d’un piédestal mobile la beauté insoupçonnée de leur pays. L’émerveillement était à son paroxysme. Feuilleter l'album de clichés tout en couleur sur l’écran transparent qui avançait constituait une belle surprise. Notre mémoire de citadins n'imaginait pas enregistrer pour toujours le charme de ce coin d’Algérie où la route ne pouvait échapper à l’omniprésence de la mer. On venait de quitter Bab el Oued et la ville, et déjà, Saint-Eugène posé comme un balcon sur le large nous en mettait plein les yeux. Nos deux quartiers limitrophes avaient en commun la protection divine de Notre Dame d’Afrique érigée en vigie au sommet de la colline. Entre Raïsville et le Parc-aux-huîtres, le blanc des façades alignées comme un rang d'amandiers en fleurs, reflétait fièrement la lumière aveuglante du soleil levant. La corniche accordait une vue plongeante d'exception sur les plages et les calanques. Les constructions anciennes et modestes se dressaient avec pudeur à l'arrière des jardins arborés de figuiers et de néfliers. Les fenêtres fixées sur l’horizon cueillaient une vue imprenable ; elles semblaient se faire la courte échelle pour ne pas manquer une seconde de l’impacte des saisons. Dans ces nids de verdures perchés comme des cages d'oiseaux et embaumés de jasmin on ne pouvait rater les teintes étalées au cours de la journée par la mer : le bleu nacré succédait au bleu gris du matin avant de laisser sa place au bleu turquoise de midi. L'après-midi le bleu lumineux paradait un long moment avant de se transformer en bleu d’encre pour la nuit. La permanence des contrastes ne pouvait laisser indifférent. Les amoureux de cette nature éclatante de lumière auraient pu raconter Saint-Eugène à la manière d’un conte de fées bien réel. L'histoire aurait pu commencer ainsi : « Il était une fois un village bâti sur un promontoire dominant la mer où le parfum des fleurs exhalait le sel et l'iode. Les cascades de lilas suspendues aux balcons et les vérandas drapées de gerbes de bougainvilliers rouges-violacés décoraient le hameau en île paradisiaque. Sur les terrasses écrasées de soleil, le linge des lessives battu par la brise du large donnait l’impression de saluer en permanence les passagers des paquebots en partance pour la France. Ici, le bonheur se trouvait au rendez-vous chaque matin, il suffisait d'ouvrir les fenêtres donnant sur la mer pour respirer l'odeur iodée des embruns et entendre les cornes de brume des bateaux qui passaient.» Les criques, les rivages de sable blond et les îlots escarpés s'enfilaient comme des perles sur tout le littoral. La beauté n’était pas radine, et à midi plein elle scintillait de mille éclats. En quelques virages, on était bien loin des agitations de notre faubourg, du brouhaha incessant du marché, du tintamarre grinçant des tramways et du vacarme lancinant des moteurs et des klaxons qui envahissaient de plus en plus nos rues. La liesse enfantine perdurait dans le car ; elle ne cessait de commenter à haute voix le déroulement du trajet : Sebaoun s’écria : « Raïsville, et un cornet de frites, chaud bien chaud ! », Ben Malek enchaîna « Le stade dimanche quand Hamoutene il a marqué, on a crié « iiiiilllll’yyyyyééééé », les morts au cimetière ils ont bougé.», Ayache reprit : « La salle des fêtes de Saint Eugène ! Pour le mariage de ma sœur, on a fait la bombe à tout casser.» Quittard lança : « Le Petit Bassin, ici purée, on fait des oursins maousse comme des assiettes », Solivérès renchéri : « Les Deux Chameaux ! J’ai un copain qui nage la tête sous l’eau sans respirer du Fauteuil au Charlemagne, d’un seul coup. » Lozano s’enthousiasma: « Le Parc aux Huitres ! Mon père ici, il a attrapé un poisson gros comme une baleine.» Labianca interrogea: « Ma parole, comment ta mère elle a fait pour le mettre dans le four ? » Amara expliqua : « Lavigerie ! le frère de mon copain, il a fait une pantcha du plongeoir de la corniche. Il est resté mort dans l’eau un quart d’heure. » Dans l’excitation des découvertes qui se poursuivaient, le groupe restait intarissable et chacun voulait exprimer une part de son vécu ; comme tous les enfants, nous avions le sentiment d’être le nombril du monde.L’euphorie se partageait de part et d’autre de la chaussée qui serpentait avec le rivage. Sur la droite, la brume matinale de l’été roulait des fumées opaques jusqu’aux limites de l’horizon. Comme un rituel, le soleil embrasait le large pour commencer la journée. La mer habillée dans sa tunique bleue clapotait inlassablement contre les rochers la douce mélodie des vagues entre l’Eden et les Bains Romains. De partout, des cabanons sobres et modestes, vaporisés d'embruns et agglutinés en grappe sur des éperons, semblaient se mirer dans les eaux dansantes comme par coquetterie. Si ces lieux n’étaient pas le paradis, ils lui ressemblaient beaucoup. Les îlots de Baïnem-Falaise, dressés en remparts sur les eaux argentées, affrontaient en toute quiétude l’écume de colère des tempêtes hivernales. La côte dans sa totalité s’ouvrait en toute innocence aux assauts de la haute mer. Dans le lointain du phare de Cap Caxine, des guirlandes de fumées noires suspendues dans le sillage d’un paquebot à destination de terres inconnues maculaient le ciel de rêves incertains. En traversant Guyotville, Jeandet, garçon malingre et rieur, déclara: « En août, La Madrague est envahie de Peaux Rouges qui s’tapent la gazouze les pieds dans l’eau et la tête coincée dans les baleines du parasol ». Les plus loquaces avaient confisqué la parole et seuls les rois de la tchatche s’en donnaient à cœur joie pour exprimer le trop plein d'énergie qui bouillait en eux. Le seul lieu connu de tous fut Sidi Ferruch, endroit mythique de villégiature fréquenté par les familles de Bab el Oued lors d’excursions traditionnellement organisées pour Pâques, Pentecôte ou le 15 août. Le souvenir historique du débarquement de 1830 était loin de nos pensées, seule la forêt des plaisirs partagés en famille et entre amis depuis des générations avait un sens. Le Robinson, le Normandie, la plage Moretti, le vivier, tous ces noms rappelaient de beaux moments d'amitié. Toutes les bourgades traversées affichaient avec fierté leur union à la mer : Daouda-Marine, Fouka-Marine, Castiglione et son célèbre aquarium. Chiffalo, village de pêcheurs, nous gratifiait d'un rituel quotidien : un lamparo de retour de pêche franchissait la passe du port, suivi par les cris d’une nuée de mouettes rieuses affamées. Le spectacle maritime sur notre droite ne nous faisait pas perdre une miette de la vie rurale qui défilait de l’autre côté de la route. La plaine côtière alignait des damiers de terre cultivés de légumes et d’agrumes et protégés du vent par des claies de roseaux. Parfois un espace caillouteux tapissé de buissons épineux, d’acacias sauvages et de végétation jaunie par la sécheresse habillait tristement le paysage. Quel contraste avec les jardins d’hibiscus rouges et d’iris bleus au centre des bourgs où la profusion de roses accrochées aux façades donnait aux maisons l'allure de chars décorés pour disputer un corso fleuri. La seule ombre au tableau de ce florilège d’images de vacances, provenait de l’usine des ciments Lafarge. Juste dans la descente après le Casino de la Corniche, ses longues cheminées crachaient en continu des fumées noires dans le ciel azur et créaient une tâche sombre sur le petit joyau qui avait pour nom : La Pointe Pescade. . Comme dans les films en noir et blanc de l'époque, la bobine déroulait des scènes et des images magnifiques avec en prime les couleurs de la réalité. A Zéralda, près des Sables d’Or, à l'ombre d'un caroubier, des travailleurs en pause s'échangeaient des rires complices en se désaltérant sous le jet d’une gargoulette. Un peu plus loin, à la sortie de Tefeschoun, un char à banc transportait des ouvriers agricoles enturbannés dans les champs. A l'orée de Bouharoun, réputé pour ses sources d'eau minérale, une moissonneuse-batteuse enveloppée dans un nuage de poussière, crachait en saccade des fumées pétaradantes et déposait sur le côté une botte de paille et un sac de grains. Un peu plus loin dans les rangs de vigne alignés sur la pente d’un coteau, un chasseur, le fusil en bandoulière, avançait dans le pas de ses chiens heureux de folâtrer dans la rosée du matin. Sur la ligne d'horizon, des collines boisées de chêne-liège et de pins maritimes jouaient à saute-mouton de loin en loin dans la découpe du ciel immaculé. Un peu d’ombre dans la fournaise traversée par la stridence des cigales ne pouvait que faire du bien à la faune animalière de ces territoires désertiques. Transcendés par tant de découvertes, nous assistions de notre car à rien de plus qu’à un moment de vie banale de notre Algérie dans laquelle on était si bien. . Dès le printemps, l'Algérie se pomponnait des couleurs de l’arc-en-ciel : les amandiers en fleurs ouvraient le bal des émotions avec leur parure de crème fouettée répandue dans les campagnes. La réplique rouge-sang des coquelicots ne se faisait pas attendre. Sous l’impulsion de la brise, ils dansaient dans les champs au rythme d’une marche espagnole. Le ballet des coloris se poursuivait avec le jaune cérémonie des boutons d’or scintillant sous les rayons de midi et virevoltant comme des lucioles dans la nuit. En début d'après-midi, un souffle d’air ardent ondulait les tapis fleuris disséminés sur la nappe blonde des blés. Le mouvement perpétuel de va et vient rappelait le flux et le reflux des vagues le long de la grève. Le vent vorace inspirait à pleins poumons l’envol des pollens pour restituer avec générosité le parfum des fleurs où le jasmin s’imposait comme une marque de fabrique. Les coins enchanteurs de cette côte littorale appelée « Côte Turquoise » se succédaient comme un opéra en plusieurs tableaux où les spectateurs subjugués appréhendaient la fin pour ne pas détruire le rêve éveillé qui les régalait. Le retour chaque année de cette beauté lumineuse n'était-ce pas l’œuvre de Dieu ? Ce Grand Architecte de l'Univers, artiste-peintre à ses heures perdues devait sûrement gambader avec son chevalet sur la terre de chez nous. Entêté à sublimer et à faire partager ses émotions, lui aussi devait être amoureux de ce pays. De criques tourmentées d’à-pics aux plages de sable fin, de vignes aux raisins gorgés de sucre aux champs rayés de sillons à perte de vue, nous fûmes brusquement saisis dans le lointain entre Marengo et El Affroun par des alignements d’orangers, de clémentiniers et d’oliviers, soulevant dans l’autocar de l’admiration. « C'est immense ! Cela nous change du champ de tomates d'Ali et de la campagne du Beau Fraisier ». Enfin, Tipasa nous apparu dans un havre de splendeur prodigieux bordé par le bleu nacré de la mer. Sur la gauche, le massif du Chenoua dressé en bouclier préservait le port des caprices du vent. Au large, il soufflait et moutonnait la crête des vagues d’un diadème de première communiante. Nous étions émerveillés comme devant un cadeau de Noël. Nous nous apprêtions à visiter un patrimoine de ruines et de monuments anciens figé dans un écrin de verdure que les « colonialistes Romains » (citation que les Berbères chrétiens et juifs ont dû employer à l’époque) laissèrent à la postérité dans notre pays. L’excursion se fit au pas de course sous le chant stridulant des cigales tandis que le vent blanchissait d’écume les caps de Sainte Salsa et du Forum. Les oiseaux en concert répliquaient leur partition à la cime des arbres, créant une ambiance de gaieté et de joie. Dans ce site majestueux embaumé des parfums d’armoise et de lentisque, les dieux Romains avaient probablement été, eux aussi, éblouis et fascinés par tant d'attrait. N’étaient-ce pas des noces qui se célébraient sous nos yeux entre l’innocence des enfants et le charme de cette nature éternelle ? Quelques années auparavant un jeune écrivain, promis à un brillant avenir, Albert Camus, avait écrit: « Noces à Tipasa » comme un cri d’amour à toutes ces merveilles qui nous entouraient. Nous suivions Monsieur BENHAIM s’efforçant de nous intéresser à l’histoire de la Catacombe des Evêques, du Mausolée Circulaire, de la Grande Basilique Chrétienne, des Grands Termes et de l’Amphithéâtre. Notre imagination sans borne nous faisait entendre les eaux en cascade de la fontaine de Nymphée et les cris de la foule enthousiaste dans le Petit Théâtre où le premier spectateur était la mer. Nous avions l’impression que le Cardo avec ses alignements de colonnes plongeait dans notre Mare Nostrum. Nous apprîmes en franchissant les portes des remparts protégeant la ville qu’à cette époque, Alger s’appelait Icosium et Cherchell : Césarée. La pause pique-nique se fit sur un quai du port où nous partageâmes « omblettes de pon de terre », « cocas à la frita », « casse-croûte à l’huile frotté d’ail », le tout arrosé au « sélecto Hamoud Boualem » et à la limonade « Dédé ». Et l’incroyable c’était que le banc de pierres sur lequel on déjeunait avait mille huit cents ans ! Nous formions un cercle attentif autour de notre maître d’école qui mêlait le geste à la parole pour mieux expliquer les événements historiques de la période romaine. Cela n’empêchait pas les rangs arrières de se distraire, le nez levé au ciel pour suivre un vol noir d’étourneaux qui passait, ou cueillir à la hâte une poignée d’arbouses sucrées dans les genêts et les jujubiers sauvages qui jalonnaient le parcours. Monsieur Benhaïm, nous expliqua que notre pays avait subit depuis ses origines un mélange extraordinaire : « Mes enfants, nous dit-il, ce sont les Berbères les véritables ancêtres de l’Algérie ; ensuite se succédèrent des colonialistes venus de tout le bassin méditerranéen : Phéniciens, Numides, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes, Espagnols, Turcs et enfin nous autres les Français.» Mon copain Ahmed Djilalli provoqua des rires en interrogeant : « Qui prendra le tour suivant ? » La journée à Tipasa s’acheva par un détour à travers des champs plantés d’amandiers. Au sommet d’une butte nous découvrîmes un monument circulaire impressionnant dominant la plaine : le tombeau de la Chrétienne. Une construction de l’époque barbare témoignant des hautes valeurs du peuple Berbère. Le retour fut tout autre. La chorale impromptue entendue dans le car ce matin avec des « plus vite chauffeur ! plus vite chauffeur ! plus vite ! » s'était tue. La fatigue était passée par là. Désormais, le ronronnement du moteur berça la somnolence générale qui s’était emparée du groupe avant Bérard. Chacun dans son coin revisitait dans ses pensées la page d’histoire écrite par les Romains dans les pins et les tamaris aux troncs couchés par le vent marin.Le bleu de la mer et l'ocre des monuments formaient d’incroyables tableaux suspendus aux cimaises de la ligne d'horizon pour l’éternité. A l’arrivée devant « Chez Coco et Riri », Pappalardo lança : « Icosium, Icosium dernier arrêt, tout le monde descend », et les éclats de rires rappelèrent à nouveau la joie de vivre qui nous collait à la peau. Après tant années, surtout les jours gris battus par la pluie, je repense souvent dans le détail à cette admirable balade avec les camarades du CM² sur la côte Turquoise. La fresque d'images imprimée à jamais dans ma mémoire resurgit lors les nuits agitées par ma « nostalgérie ». Je ne peux oublier le calme et le silence de Tipasa traversé par le chant des oiseaux, la crête des vagues blanchies par le vent du large et l’odeur du jasmin et de l’armoise. Je ne peux oublier également les rires, les accents et les amitiés partagés au cours de cette journée. Je garde aussi en mémoire la bravoure et l’humanité de Monsieur Benhaïm qui ce jour là délaissa son habille guindé d’instituteur pour devenir le père et l’ami de tous ses élèves. Quelle émotion lorsque six ans plus tard, ayant intégré l’Éducation Nationale, je reçu ma nomination d’enseignant pour l'école de la rue Léon Roches dans le quartier qui m’avait vu naître. Je frappais à la porte du bureau du directeur pour me présenter. La porte s'ouvrit et je me retrouvais nez à nez avec Monsieur BENHAÏM, l'instituteur du CM². L’émotion fut à la hauteur de l’estime et de la reconnaissance que je lui devais.

Mustapha OUALIKENE

Le : 21/11/2013 21:25

C’est le récit de mon séjour à Yakouren Grande Kabylie à l’occasion de la célébration de l’achoura La célébration de l’Achoura à Sidi El Abad se fait toujours selon les coutumes ancestrales. Lors des asensi ou zerda organisées au mausolée de Sidi El Abad un pic cumulant à 1014m d’altitude lieu vénéré et qui attire à l’occasion de nombreux visiteurs et pèlerins . Ces derniers viennent en famille de toute la Kabylie pour effectuer une Ziara (pèlerinage) surtout le jeudi, mais aussi pour une simple promenade ou randonnée. Tous ces gens contemplent le panorama avec un ciel si proche et l’immensité de la mer de chênes liège zen qui s’étend à perte de vue avec au Sud une vue imprenable sur le majestueux mont du Djurdjura et au Nord une vue sur la grande Bleu. A sidi El Abad à l’occasion de l’Achoura (fête religieuse) une fois part an est organisée, lawzighââ ou Tiwizert pour certains qui est le sacrifice que les villageois font chaque année à la petite fête. Cette coutume qui permet de récolter de grosses sommes d’argent pour le sacrifice des bêtes et de distribuer équitablement la viande d’abord aux plus démunis mais aussi aux nantis. Les villageois cotisent en fonction de leurs moyens pour l’achat de veaux et moutons. La veille toutes les femmes et les jeunes filles du village vont puiser l’eau, ensuite les femmes roulent le couscous toute la nuit. Le jour « J » de l’Achoura tôt le matin des files de voiturent affluent déjà sur la montagne ou un immense parking leurs est aménagé dans la forêt. Dés l’aube après la prière du matin toutes les femmes sont devant leurs fourneaux et marmites pour préparer le repas pour tous les villageois et leurs invités. Quand aux hommes c’est à eux que revient la tache qui consiste à immolé les bêtes et à partager la viande équitablement même les invités ne sont pas oublier. Pendant ce temps les plus jeunes dressent les tables sous les arbres. Après avoir déguster un couscous royal en plein aire toute ses famille récupèrent leurs part de viande. A l’occasion de cette fête Sidi El Abad aura vécu l’espace d’une journée pas comme les autres des moments inoubliables où cette journée de kermesse a fait revivre le bon vieux temps aux villageois. C’est le comité de village composé de jeunes dynamiques qui a pris le pari de réussir un tel rendez vous fait de solennité et de convivialité. Autour d’une foule bigarrée les bénévoles s’occupent à la répartition des chapelets de viande découpées soigneusement après le sacrifice des beaux taurillons et à régler les menus détails devant les yeux pétillants de fierté, de sagesse et de nostalgie des vieux du village. Cela fait du bien de voir tous ces jeunes perpétuer une telle tradition et de reprendre le relais des personnes âgés qui eux l’ont aussi hériter de leurs anciens me dira mon oncle Arezki. Son fils mon cousin Ali me dira à son tour »à chaque fois que nous organisons cette fête nous sommes fières d’avoir renoué avec l’histoire que nous ont légué nos parents et grands parents certes ce n’est pas facile de gérer tous ce monde et de réaliser une telle tache mais avec beaucoup de volonté et de sacrifices nous arrivons à satisfaire tout le monde et il ajoute regarde toute cette foule qui s’embrasse et qui se souhaite mutuellement une bonne fête tout en dégustant un bon thé à la menthe ou un bon café chaud en attendant de rentrer à la maison avec un beau chapelet de viande pour de bonnes grillades comme le faisaient jadis nos ancêtres . Avec le sentiment du devoir accompli mon cousin Ali regarde toute cette marais humaine qui commence à quitter les lieux il me fait promettre de revenir l’année prochaine, promesse que j’ai fait avec fièrté. Comme à Sidi El Abad partout en Kabylie les coutumes ont gardé toute leurs saveurs et leurs nostalgies, il existe encore des hommes qui restent follement amoureux de leur bled et profondément attachés à leurs racines.

André TRIVES

Le : 11/11/2013 09:40

Dans ce site mis à notre disposition généreusement par notre ami Christian, il existe un trésor culturel exceptionnel dans la page " LA BIBLIOTHEQUE DES TROIS HORLOGES ". Elle rassemble LA MEMOIRE DE NOTRE BAB EL OUED D'AVANT 1962. On y trouve pêle-mêle, sans fioritures, les témoignages d'enfants du quartier avec pour singularité de ranimer l'histoire écrite par nos parents afin qu'ils ne meurent pas une seconde fois dans l'oubli. Je vous invite à divulguer autant qu'il est possible ces textes narrant la vérité, notre vérité, dont l'histoire s'applique sans vergogne à déformer. Le mensonge et la calomnie n'ont jamais donné une vérité pour l'éternité, à condition de rappeler inlassablement, sans faiblir devant l'arrogance et l'adversité de nos détracteurs bornés et incultes : qui nous étions ? et comment on vivait? Le confort de notre vie d'aujourd'hui ne doit pas nous conduire à baisser les bras...Ce sont nos petits enfants qui nous rendront grâce un jour d'avoir défendu leur dignité d'être descendants de Pieds-noirs.

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