Le : 20/12/2013 21:21

Vacances d’été à Bab el oued

Il faisait très chaud ce début d’été 1961. Je venais d’avoir 14 ans et terminais ma scolarité dans l’école primaire de la rue Larrey, école nommée « Céccaldi », située à l’autre bout de mon quartier, avec l’obtention de ce fameux certificat d’étude passé dans cette non moins fameuse école/collège de la place Lelièvre située à deux pas de chez nous devant l’église St Joseph, chere église St Joseph où presque tous les gamins du quartier se sont fait baptiser, dans notre très bouillant quartier de Bab el Oued. Ce certificat d’étude primaire nous permettait d’envisager l’avenir d’une façon plutôt sereine. Ma mère s’était chargée de mon futur professionnel en me trouvant un emploi comme coursier, employé de bureau dans la compagnie d’assurance « l’Urbaine » située dans le centre ville d’Alger, rue Michelet, pas très loin de son lieu de travail entre la faculé d’Alger et le parc de Galland. Je devais m’y rendre avec elle à la fin des vacances scolaires c'est-à-dire début octobre, pour un entretien avec le responsable de l’établissement - Fondé de pouvoir qu’on le nommé !- afin d’entériner le contrat d’embauche qui devait, peut-être, me mener aux métiers de l’assurance après quelques années de bons et loyaux services dans cette compagnie. Mon parcours professionnel devait être tout tracé. Mais en attendant ces débuts professionnels, je devais profiter de ces trois mois de vacances réglementaires. Début juin, premier mois de vacances scolaires, s’annonçait très beau.

Jacky, mon copain et voisin du 2eme étage de notre immeuble, était le dernier enfant de la famille Pastor. De par ce statut et malgré une mère veuve, son père parti malheureusement trop tôt, nous ne l’avons pas connu, il obtenait pratiquement tout ce qu’il voulait d’elle. Il était je crois le seul garçon du quartier à se promener avec des chaussures « italiennes » de chez le grand chausseur à la mode de l’avenue de la Bouzaréah, non pas de Monoprix mais en face. Sans parler du reste, attention! Enfin, malgré cette différence de paraître on était quand même copain.

Sa sœur, Danielle, une très belle fille, un peu plus âgée que Jacky, se faisait pas mal courtiser par les garçons du quartier, j’avoue qu’elle ne me laissait pas indifférent quand elle sortait avec sa petite robe à carreau et ses ballerines, remuant du popotin en cherchant à imiter Brigitte Bardot dans les films « la femme et le pantin » ou « la vérité ». Je me souviens également qu’elle avait une voix aigue mais déjà imposante, une future mama en quelque sorte. Même Yvon, le fils de la mercière Madame Gilabert, un grand sec qui exerçait le métier d’électricien, était toujours dans ses jupes et disait à qui voulait bien l’entendre qu’il voudrait bien se la marier ! A cette époque, les filles ne pouvaient pas faire ce qu’elles voulaient, elles étaient tellement tenues et surveillées par les parents, en particulier les mères mais quand il manquait le père ou la mère au foyer, c’était un peu quartier libre pour ces jeunes filles ou garçons d’ailleurs! Jacky mon copain avait obtenu au Noël dernier par sa mère un beau vélo avec le guidon de course, la sonnette et une sacoche sur le côté. Le grand luxe quoi ! Pas besoin de vous dire que je cherchais souvent à le lui emprunter sans trop de succès.

Ce début de vacances scolaires était propice aux sorties et aux jeux et, ne pouvant faire du vélo à deux, avec les copains du quartier, nous avions plusieurs possibilités : La plage dite des « Bains de chevaux » ou celle de l’Eden, la carrière Jaubert, le jardin de l’église St Louis ou simplement le terrain de jeux enclavé dans notre pâté d’immeubles entre la rue Léon Roches et l’avenue de la bouzaréah

La plage la plus proche - les bains de chevaux - n’était pas très saine, on disait que les égouts de Bab el oued se déversaient ici et de plus, la proximité du terrain d’atterrissage des hélicoptères et le balai bruyant et incessant de ceux-ci, ramenant les militaires, blessés des montagnes de l’Aurès ou de l’Ouarsenis, était très désagréable. Alors, avec Jacky et les autres copains, il ne nous restait plus que la plage de l’Eden située entre le stade Marcel Cerdan et celui de St Eugene. Elle était un peu plus éloignée de chez nous. On y accédait par des escaliers assez dangereux du haut du Bd Pitolet. Le sable gris et assez grossier nous convenait très bien, il ne nous restait pas trop collé aux pieds en repartant donc pas besoin de serviettes. De plus une petite source descendant de la colline de la Bouzaréah venait se jeter dans la mer ici-même. Je pense que c’est à cet endroit que tous les jeunes du quartier ont appris à nager en plongeant d’un rocher émergeant de cinquante centimètres de l’eau qui n’était pas très loin du rivage. Le seul inconvénient de cette plage, paradoxalement, est le manque de soleil pour la simple raison que cette plage est vraiment en contre bas du boulevard du littoral et que celui-ci fait de l’ombre sur cette plage mal orientée par rapport au soleil.

On montait également à la carrière Jaubert, un endroit magique pour nous les enfants. C’est de cette carrière qu’ont été extraites la plus grande partie des pierres qui ont servi à la construction de la ville d’Alger et du faubourg de Bab el oued entre autres. Elle se situe juste au dessus de chez nous, après la côte de la Basseta. Quand le gardien des lieux ne nous poursuivait pas pour nous chasser de cette carrière, avec Jacky, mon frère et toute la bande de Cagayous du quartier, nous allions chercher les roseaux qui nous servaient à faire des sarbacanes que nous appelions « Canouts » ou bien, en coupant ces roseaux dans le sens de la longueur pour en faire des armatures de cerfs volants. Je vous expliquerai la confection d’un cerf volant plus tard.

Sur ces terres propices à la culture des roseaux poussaient également des figues de barbarie, un fruit vert ovale rempli d’épines sur sa peau. Avec délicatesse, en évitant de se piquer, avec un couteau on ôtait sa peau épaisse en étêtant les deux extrémités puis, une incision dans la longueur pour en manger le cœur. Que du bonheur !

Cette carrière était également une terre vouée aux courses de moto cross. De grands champions s’y sont exhibés et même si nous n’avions pas le sou pour assister au spectacle, nous entendions les pétarades de ces motos jusque dans le quartier !

Quand il faisait trop chaud et que nos parents nous interdisaient la plage, avec les copains on se repliait sur le petit jardin derrière chez nous rue Léon Roches à l’ombre de l’église St Louis. Ce jardin nous servait de stade de foot. Par bonheur il était rectangulaire, il y avait une entrée par la rue Léon Roches et une autre à l’extrémité rue Duplex qui nous servaient toutes deux de but, pas besoin de vous dire qu’on en a passé du temps dans ce jardin. Comme la plupart de mes copains, nous n’avions pas le sou pour nous payer un ballon de foot. Faut dire que notre quartier n’était pas le plus huppé d’Alger, loin s’en faut ! La majorité de la population était de simples ouvriers sans prétention. De fait, quand nous avions besoin de ballon, nous le confectionnons en formant une boule avec du papier qu’on ligotait avec de la ficelle. Ça tenait le temps d’un match, sinon on recommençait une autre boule.

Le terrain de jeux le plus fréquenté par l’ensemble des gamins du quartier, les Mikaleff, les Yvora, etc. était sans conteste ce terrain vague enclavé entre l’avenue de la Bouzaréah et le début de la rue Leon Roches, juste derrière le bar « Le Barcelone ». On y accédait en descendant la petite rue Eiffel ou Raspail. Cet espace en terre battue devait abriter à l’origine une bâtisse car des fondations apparaissaient de place en place au ras de terre. Nos jeux préférés étaient les billes avec un jeu qu’on nommait « TUIS ». Ce jeu consistait à lancer dans un trou qui avait 10 cm de diamètre environ et distant de 2 ou 3 mètres de nos pieds, un nombre de billes misé à part égale entre les 2 joueurs. Si il y avait un nombre pair de billes qui tombaient dans le trou, le lanceur remportait l’ensemble des billes misées, si le nombre était impair, c’est l’adversaire qui remportait la mise. Nous jouions aussi avec les capsules métalliques de bouteilles de « Cruch, Spips, Pchitt, 33 export » et autres en les faisant avancer par pichenettes, on appelait ce jeu « tchiaps ». Comme c’était la période estivale il y avait abondance de fruits et en particulier les abricots. Nous récupérions par centaines les noyaux de ce fruit pour en faire un jeu qui consistait à démolir des petits tas de quatre noyaux – trois noyaux à la base et un dessus – avec d’autres noyaux. Le caouitos qui démolissait le dernier tas, remportait l’ensemble des noyaux du jeu. Passionnant, n’est-ce pas ? En tout cas ça nous convenait amplement, on y passait des heures et on n’en demandait pas plus !

Cette période estivale était propice aux sorties le dimanche au bord de l’eau sur ces grandes plages au sable fin ou en foret avec les parents et les amis surtout pour ceux qui avaient une voiture. On allait à Fort de l’eau, Baïnem ou bien Zéralda. Le matin de bonne heure on chargeait la voiture de provisions sans oublier les chaises et la table pliantes, le parasol. Les bouées chambres à air et les maillots de bain qui n’étaient autres que des slips coton, étaient en bonne place dans le coffre afin de pouvoir s’ébrouer dans l’eau allègrement. La mama et la ouella – la grand-mère - avaient déjà fait frire la veille les cocas à la frita et aux blettes, les petits pâtés à la soubressade, préparé la boutifara, la fougasse et les kémias. Les hommes avaient veillé à ce qu’elles n’oublient pas de mettre dans le panier l’anisette et les tramousses, la bouteille ou la bonbonne de vin que l’on enterrerait dans le sable mouillé sitôt arrivé sur la plage sinon on aurait frisé le scandale ! Ce jour-là, les enfants avaient exceptionnellement droit à un peu de vin allongé de limonade ou un verre de Sélécto avec leur repas. Tout était préparé minutieusement, je dirais aussi cérémonieusement tant ces instants de plaisir assez rares comptés dans la vie de nos concitoyens.

Après ces repas pantagruels, les mamas obligeaient les enfants - et tout le monde d’ailleurs - à une sieste digestive d’environ deux heures avec la casquette obligatoire vissée sur la tête avant de pouvoir retourner s’ébattre dans l’eau et attention à celui qui s’avisait à ne pas respecter les consignes maternelles.

Quand le soir arrivait, la journée dominicale se terminait et là c’était une autre paire de manches ! Après avoir dégonflé les bouées, plié les chaises et table, rangé tout le matériel dans la voiture, ainsi que la petite famille, on refaisait le chemin à l’envers, on rentrait sur Bab el oued. Pendant le trajet du retour les enfants dormaient sur la banquette arrière quand aux parents, eux, ils pensaient à leur prochaine sortie. C’était leur façon à eux de partir en vacances.

La période la plus délicieuse de ces mois d’été était pour mes frères, ma sœur et moi les 15 jours ou 3 semaines que nous passions avec notre mère dans ce magnifique village de vacances de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Il était géré par notre caisse d’allocation familiale. Au matin, un taxi nous prenait à l’entrée de notre immeuble de Bab el oued pour nous déposer devant le pavillon d’accueil de ce village après environ 30mn de voyage. Une fois les formalités administratives faites auprès de la personne qui nous recevait, un employé chargeait nos bagages sur une charrette et nous conduisait à la « villa » qui nous était attribuée pour la durée du séjour. Pour nous ce logement qui était équipé d’une chambre pour les parents, de 3 alcôves de 2 lits gigogne chacune et d’une salle de bain/cabinet de toilette, était un palais. Un petit palais mais un palais tout de même. Ces logements n’étaient pas équipés de cuisine et pour cause, nous prenions, tous les vacanciers ensemble, les trois repas journaliers au grand restaurant du village.

Les enfants étaient rassemblés par des moniteurs le matin et l’après midi pour des activités ludiques ou sportives, histoire de libérer les parents qui s’adonnaient au plaisir du jeu de boules, la lecture, le sport ou autres occupations. Nos vacances au village se terminaient par une formidable fête organisait par les moniteurs et nous même les enfants. Ça se passait au cinéma théâtre de plein air et chaque groupe avait un spectacle à faire. La fête se terminait en apothéose : tout le monde sur la scène, c’était magique !

Généralement, à la fin de ce séjour de rêve, le retour à la maison annonçait malheureusement les préparatifs pour la rentrée scolaire, mais je dois avouer que les 3 mois de vacances me paraissaient toujours un peu trop longs. Pour ma part, je ne devais plus penser à la reprise scolaire. Certificat de fin d’étude en poche, mon cursus scolaire étant terminé, je devais penser plutôt à mon futur emploi de coursier en assurance. Même si je l’avais oublié, ma mère était là pour me le rappeler. Au début du mois d’octobre, la main dans la main, nous avons pris le bus boulevard de Provence jusqu’à la rue Michelet pour rencontrer mon fameux « fondé de pouvoir » de la compagnie d’assurance l’ « Hurbaine et la Seine »

C’était mes dernières vacances, scolaires ou pas, à Alger pour 2 raisons : D’abord ma mère ne souhaitait pas me voir continuer mes études au collège Condorcet, ensuite j’ai quitté l’Algérie dramatiquement et précipitamment en juin de l’année suivante : 1962

J’ai écrit ce texte en pensant à toutes les personnes disparues depuis et en particulier à mon cher frère CHRISTIAN disparu récemment, qui ne voyait et ne pensait, de par son handicap mental, qu’à sa jeunesse perdue là-bas, chez lui de l’autre côté de la Méditerranée. Paix à son âme!