Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Robert VOIRIN

UN DIMANCHE AU BOULEVARD BRU

Dans les méandres du long fleuve de la mémoire si fidèle

qu'elle nous permet de garder notre histoire immortelle,

nous aurons toujours quelque chose d'Alger

qui nous replonge dans nos joies passées.

Une fois de plus cela se passe lors d'un dimanche, peut être d'avril,

mon père nous emmène en auto de l'autre côté de la ville

pour passer une journée en famille.

Nous prenons de la hauteur par la rue Mizon et la rampe Valée,

passons la caserne d'Orléans, les Tagarins sont maintenant tout près,

on en contourne le stade, et sur le boulevard du Télémly nous roulons un bon moment.

Que la route est agréable quand nous montons vers le Parc de Galland

que je connais pour avoir dévaler ses escaliers qui descendent majestueusement

au milieu de plans d'eau recouverts de nénuphars aux tons éclatants.

Nous longeons alors le parc luxuriant du Palais d'Eté, et un peu plus loin

on aperçoit l'Hôtel St Georges et son charmant jardin,

après, au niveau de la Maison de la Radio nous sommes tout près

du boulevard Bru où mon oncle Vincent, boulanger

tient sa boutique sur cette longue et jolie voie étalée

sur le flanc de la colline en direction de la Redoute et du Clos Salembier.

L'après midi nous partons en promenade,

j'en profite pour m'éclipser et partir seul en ballade,

je continue sur le boulevard au hasard puis je m'asseois sur un parapet,

et là je découvre pour la première fois le spectacle fascinant d'Alger

s'étalant à perte de vue devant moi comme nulle part ailleurs

dans une parfaite harmonie de formes et de couleurs .

Mon âme de jeune garçon a du mal à absorber tant de beautés

et en voyant s'étaler devant moi tous ces quartiers

je me dis quelle chance j'ai de pouvoir ainsi les admirer.

Soudain une jolie nymphe venant de je ne sais où me rejoint,

elle commence par me décrire le panorama comme une habituée du coin,

depuis le Ravin de la Femme Sauvage, dont elle me raconte la légende oubliée

de cette mère qui, folle de désespoir de n'avoir pu retrouver ses enfants égarés

vécut seule dans les bois et disparut à jamais.

Après le Ruisseau, elle me montre un lieu de rêve et de calme, le Jardin d'Essai

aux allées ombragées bordées d'arbres exotiques aux verts les plus nuançés,

puis on continue vers Belcourt, et vers la route moutonnière qui longe le Hamma.

Je vois alors son regard planant au dessus du Champ de Manoeuvres et de Mustapha,

du square Laférière, et remontant vers le Fort l'Empereur et le haut de la Casbah

il plonge en direction de l'Amirauté, du phare, et de la jetée tout là bas.

Notre regard glisse alors vers l'immense port, jusqu'au bassin de l'Agha,

et au delà vers cette baie si belle qu'elle semble nous offrir une invitation

à la rejoindre dans la tièdeur de ses flots bleus pour y nager à l'unisson.

Limite superbe de la ville, c'est moi qui lui montre Notre Dame d'Afrique

bien minuscule dans le lointain, mais toujours aussi magnifique.

Longtemps elle va continuer à me parler de notre ville avec passion,

je continuer à regarder ce beau tableau tout en l'écoutant avec attention,

mais alors que je n'ai pas encore eu le temps de digérer

un tel spectacle, voilà que, sans crier gare, la belle disparaît

et me laisse seul, je la cherche alors longuement sans que je puisse la retrouver.

Je rejoints alors ma famille, et dans la 203 je suis encore amer

alors que nous rejoignons Bab El Oued, mon quartier, par le bord de mer.

En rentrant rue Réaumur j'ai l'esprit un peu chamboulé,

je me dis que je retournerai vite chez mon oncle pour revoir cet Alger de lumière,

et qu'à cette occasion je ferai tout pour retrouver mon petit guide éphémère

car depuis que je l'ai rencontrée elle reste pour moi tout un mystère.

Robert Voirin (Rue Réaumur)

Thomas GISBERT

Edgar Bentolila m'a proposé de mettre ce texte sur votre site. Pour tous ceux qui m'ont connu ,je vous souhaite une Bonne et heureuse année.

Ce matin comme tous les jours la pluie macache et le froid ouèlou. Je vais faire manca hora de l’école et fissa m’échapper avec mon vélo, Padovani la plage c’est pas loin, mais c’est plein de rochers aux deux moulins. Plonger c’est l’idéal pour les fartasses quand tu ne t’écrases pas la tronche sur la caillasse. Après quand tu rentres à la maison si tu n’es pas mort ta mère elle te tue avec une giffle dans la figure que le mur il t’en donne une autre. En plus dans les rochers, il y a les crabes, les araignées de mer les oursins , tu te baisses , tu ramasses. Quand tu plonges à 50 centimètres des maous de poulpes tu remontes. Bon c’est un peu fanfaron mais racarbi , je te le jure sur la tête de ma mère qu’elle meurt demain si je dis pas la vérité vraie. Regardes le gros molard que je fais par terre en enfer je vais si je mens.

Il est midi, il faut rentrer, à la rue Montaigne je passe au bar de chez Escobédo Devant le verre d’anisette et la kémia je retrouve toujours les même Kilos. Des olives , des limaçons des tramousses et des bliblis et moi avec mon verre de sélecto. Une boisson un repas complet le patron est sympa et je paie qu’un poco.

Cet après midi gros emploi du temps je vais au 34 de la rue Léon Roches et il ne faut rien oublier : La craie pour jouer à la marelle avec les filles. La toupie avec le clou gangui et sa gitane pour jouer à casse toupie. Des sous pour acheter 2 boites d’allumettes en bois pour faire des tchapes. Les noyaux et les tics tics pour jouer à seven. Des sous pour acheter chez l’arabe d’en haut la côte un canout. Les billes pour jouer au trou prisonnier. Les déraillés pour jouer au circuit automobile. A encore des sous pour acheter des globos et faire des bulles énormes que t’éclates sur la figure du copain. Le con de sa mère , il rentre plus rien dans mon cartable.

Ne pas oublier à 5 heures la calentita chaude et les roliettes à la boulangerie espagnole .

Après le soir, tu fais l’avenue de la Bouzarèah , tu vas et tu viens 10 fois , rien que tu ramènes ton copain chez lui et après qu’il te ramène chez toi. Finalement tu dors chez lui !!!. Avec la barouffa tu mires une fille que si tu fais bien le mariol elle te sourit. Tu peux lui payer un zallabia ou un moukroun chez Blanchette mais c’est tout. Comme tu es connu par toutes les familles du quartier tu peux rien faire que le lendemain ta mère elle le sait avant toi. Tu te prends une calbote à te niquer la tête . Le pois chiche dans ton crane il joue au flipper et si tu bouges c’est game over.

Aujourd’hui nous sommes tous plus ou moins sguiches et laouères mais quel bonheur de penser à notre jeunesse passée. Je vous souhaite une bonne année et une bonne santé.

T. Gisbert 18, rue Livingstone ALGER

André TRIVES

NOEL A ALGER

Ecrire ces mots "noël à Alger", quoi de plus banal me direz-vous? Seulement voilà "noël" et "Alger" sont des mots magiques dans la mémoire collective des gens de là-bas. Ils évoquent des souvenirs d'enfance impérissables qui vous donnent des salves de frissons et secouent la tirelire des souvenirs avec une telle précision, une telle vérité que l'on peut se demander:" ai-je bien vécu cette réalité ou l'ai-je totalement inventée ?".

Hier, 25 décembre 2008, soixante sixième noël de mon existence, je ne peux m'empêcher de revivre ces moments d'époque révolue, pleins d'amour et d'amitié sous le regard pétillant de vie de nos parents, de nos amis et de nos voisins. Est-il opportun de revoir le film de son enfance et livrer aux quatre vents des souvenirs intimes, au risque de se faire traiter de passéiste radoteur ? Je ne me pose même pas la question. J'ai tout simplement envie de dire une vérité intangible qui appartenait à tout le petit peuple de Bab el Oued, et pas seulement à moi; la remettre au présent pour quelques instants, comme avant. Percevoir une fois encore la voix et les éclats de rire de ceux qui nous ont donné la vie et appris les principes et les valeurs qui font notre fierté aujourd'hui. Retrouver l'ambiance et la mentalité qui berçaient notre quotidien dont la finalité était de protéger et de conduire à un avenir meilleur la petite famille qu'ils avaient créée. Au rayon des choses importantes à retenir dans une vie, il y a celle qui consiste à ne jamais oublier d'où l'on vient. Rendre hommage à ces anciens du quartier qui nous ont entourés d'affection et de compréhension dans ces années de prime enfance, c'est redonner du sens à sa vie.

Souvenons-nous...¨La bûche dans la cheminée, les souliers au pied du sapin décoré, des paquets cadeaux de toutes les couleurs, des jouets de rêve inaccéssible, la neige couvrant de son manteau blanc les arbres endormis; c'était ce que l'on découvrait avec éblouissement chaque année à Bab el Oued lorsque notre institutrice du cours préparatoire, Madame Winckler, affichait au tableau noir pour la leçon de vocabulaire la gravure d'école de décembre. Chez nous, Noël se passait au balcon mêm si une fois tous le trois ou quatre ans une averse de grêle blanchissait le quartier pour quelques heures et nous faisait découvrir dans la cour de l'école ces maudites engelures; mais comme à l'accoutumée, l'hiver demeurait le cancre de la classe des saisons. C'est dans le ciel constellé d'étoiles scintillantes que l'on imaginait la plus belle des crèches bibliques. Des contreforts de la Bouzaréa à la colline de Notre Dame d'Afrique en longeant la côte de Sidi Benour, la voûte étoilée brillait de mille feux et la chariot de la Grande Ourse chargé de mystères nous donnait l'impression qu'il nous était destiné.

La hotte du père Noël n'était pas en surcharge dans cette nuit algéroise comme en été, où, avant de se coucher, les petits alignaient avec soins leurs"tianglès" au pied du lit en sachant qu'il n'y aurait pas de jalousie entre frères et soeurs dont la règle prévoyait un seul jouet par enfant mais toujours accompagné d'une tonne d'amour. Les enfants de Bab el Oued savaient jouer sans jouet, ils étaient experts en ficelle, papier et bout de bois pour s'évader dans un monde merveilleux. N'allez pas imaginer pour autant que notre enfance était malheureuse, loin s'en faut; elle n'était que la traduction d'une époque où chaque sou gagné était la contrepartie de litres de sueur. Alors une trottinette ou un tricycle ou un mécano voir une poupée en chiffon ou une dînette en fer blanc constituait le rêve devenu réalité.

Pour libérer la maison (l'appartement exigu) et laisser les mères et les grands mères en toute quiétude devant les fourneaux afin de préparer le repas traditionnel qui réunissait à midi toute la smala familiale, les enfants descendaient dans la rue pour montrer avec fierté le jouet au copain. Le compresseur à air du garage du coin servait à gonfler le ballon de cuir neuf à lacet et le match de foot le plus "dramatique" de l'année se déroulait au "champ" (emplacement actuel du centre Villeneuve) car, si en quittant la maison dans la tenue du dimanche on était beau comme un astre éclatant de lumière, au retour on donnait l'impression d'avoir joué dans une fosse à purin; d'ailleurs les mamans levant les bras au ciel, vociféraient les paroles de circonstance:" mon fils, mais d'où tu viens? on dirait Slimane le charbonnier". Et le tarif c'était deux calbotes et trois botchas avant d'être frotté énergiquement dans la bassine pour pouvoir se présenter à table où la paix de Noël était retrouvée.

Le repas durait jusqu'à la nuit et nos regards se figeaient en permanence sur le grand buffet où s'étalaient comme une provocation des assiettes débordantes de patisseries maison et de confiseries de chez Angelo: royettes, endjenettes, makrods, oreillettes, mantécaos, pères Noël en chocolat, pralines, fondants au sucre et "caca de cheval"; nous avions hâte de les déguster.

Les grands se racontaient des histoires de leur vie et des histoires pour rire. Souvent on était prié de quitter les lieux pour celles réservées aux adultes:"Les enfants allez voir dans la chambre si j'y suis". Et tous, frères et soeurs, cousins et cousines, on s'entassait à même le carrelage de la chambre pour retrouver avec ferveur notre univers où les rires et les cris n'enviaient pas ceux de nos aînés. Un silence religieux pour un court instant nous faisait écouter le 78 tours de Tino Rossi tournoyant sur le pick up "La voix de son maître" et, à l'unisson nous reprenions"il est né le divine enfant" et "Petit papa Noël". C'était de l'insouciance à l'état pur, c'était fort, c'était merveilleux le Noël à Alger où chaque année nous pensions que ces moments étaient éternels. On se séparait avec pour seul espoir que le Noël suivant soit vite de retour.

A tous les enfants de Bab el Oued d'hier et d'aujourd'hui.

André TRIVES

Robert VOIRIN

BONNE ANNEE 2008

A vous bande de calamars boiteux,

qu'est ce que je dirai pas pour vous rendre heureux,

sinon vous donner une calbote amicale,

que ça va surement pas vous faire mal,

à vous tous les fartasses, les guitches et les laouères,

ceux qui allaient se taper le bain en bas la mer,

à tous les bouffeurs de cocas, mantecaos, zlabias,

bliblis, roliettes, mounas, mouqrouts et calentitas,

à ceux qui dégustaient les brochettes à Fort de l'Eau,

à ceux qui tapaient cinq, à tous les falsos,

aux buveurs d'anisette avec kémias,

à ceux qui faisaient sans arrêt l'avenue de la Bouzaréah,

à tous les falempos qui mentaient comme des voleurs,

à tous ceux qui ont fait le bras d'honneur,

et ceux qui trichaient aux tics tics,

ceux qui faisaient la chaîne au Majestic,

ceux qui tiraient le fer au cassour, à tous les kilos,

à ceux qui, comme moi, tapaient cao,

ou soit disant maqua hora,

ceux qui jouaient aux tchalefs ou au tas,

ceux qui ont fait, les pôvres, figa ou tchoufa,

à ceux, que quand ils partaient on aurait dit qu'ils revenaient,

aux anciens de Bab El Oued, mon quartier,

à mes voisins de la rue Réaumur et de la Cité Picardie

à tous ceux de notre ancien " paradis "

à tous ceux là,

en pensant à ceux que j'aimerai qu'ils soient toujours là,

je souhaite que cette nouvelle année vous apporte le bonheur,

et surtout que cette purée de santé, elle vous laisse pas tomber.

Robert Voirin, du 5 Rue Réaumur.

Pierre-Emile BISBAL

Le cerceau

A Bab-El-Oued, le jeu du cerceau ne se calque pas sur les images d’Epinal qui le représente comme une sage activité, pratiquée par des enfants modèles, vêtus comme des mannequins, dans des jardins publiques et des squares tirés au cordeau sous la vigilance d’une bonne d’enfant. Pour nous, enfants de ce quartier, c’est un amusement de la rue. Il consiste, à diriger un cerceau l’aide d’une fine tige de fer dont l’une des extrémités est tordue à angle droit. Voilà un plaisir totalement gratuit car, nos bolides sont, généralement, de vieilles jantes de vélo auxquelles nous supprimons les rayons afin de ne conserver que le cercle d’acier. A l’aide d’un caillou ou d’un marteau emprunté dans quelque caisse à outils familiale nous redressons l’épave tant bien que mal. Nous connaissons et apprécions l’inestimable plaisir de concevoir nos jouets. De générations en générations la technique se transmet, la pratique se perpétue, les règles évoluent et l’activité prend, peu à peu, le profil d’une tradition.

Notre divertissement a plusieurs variantes, mais principalement nous nous livrons à une course poursuite. L’un de nous prend la tête du groupe et le défi consiste à le suivre en passant exactement là ou il est passé. Si le cerceau perd son équilibre ou si l’obstacle n’est pas vaincu, il faut se placer à la fin de la file. La compétition peut se concevoir avec ou sans dépassement des autres concurrents. Il faut simplement que ce point de règlement soit précisé au départ. Les voies en pente qui filent vers la mer offrent des circuits de course particulièrement adaptés.

Par groupe de quatre ou cinq nous nous affrontons dans des parcours que nous décorons d’effets particulièrement sonores. Au bruit de ferraille aigrelette de nos roues nous ajoutons nos propres bruitages qui plantent le décor où notre imagination évolue. A pleins poumons nous sommes, suivant notre envie, une voiture de course ou bien « une moto de police » avec toute la gamme des accélérations et des freins. S’ajoutent à cette pluie de décibels les chamailleries, les explications et les réclamations dues aux chutes du cerceau ou à la place à intégrer dans la file. Nous essuyons souvent les remontrances des adultes qui s’exaspèrent de nos fréquents passages sous leurs fenêtres ou leurs balcons. Les terrasses des cafés où nos anciens savourent leurs parties de cartes, demeurent les étapes les plus délicates à franchir. Là, notre vacarme perturbe le calme indispensable à la concentration des joueurs et nous récoltons quelques noms d’oiseaux couplés à des menaces de châtiments soulignés par des simulacres de gifles, des moulinets de bras et des agitations de cannes. C’est par pure bravade mais sans méchanceté aucune que nous traversons ces « zones dangereuses ». Nous sommes mus par l’éternel besoin qu’ont tous les enfants de ressentir le voluptueux frisson du risque.

Aujourd’hui, comme à notre habitude, nous sommes dispersés sur les marches de la placette Lelièvre qui font face à la rue de Chateaudun. Un de nous arrive avec une « roue » particulière. Elle diffère considérablement de nos pauvres et ridicules débris de bicyclette. C’est un cercle d’acier bien plus grand, plus large, plus lourd et rigoureusement plus plat que les nôtres. Il possède une stabilité sans comparaison avec nos jantes plus ou moins voilées. D’après notre copain, c’est un cercle récupéré sur le couvercle d’une barrique. Cercle de barrique ou non, nous observons avec un mélange d’admiration et d’envie cette bête de compétition. L’heureux possesseur de ce trésor souhaite nous prouver la puissance de son bolide. Il se propose de partir en bas des marches, de remonter la rue Jean-Jaurès jusqu'à l’angle en face de chez Coco et Riri, de tourner sur la droite, de suivre le trottoir pour rejoindre l’ouverture donnant sur la placette, de traverser cette dernière et de finir son circuit en dévalant les escaliers afin de rallier son point de départ. La dernière portion de course est particulièrement délicate. Descendre des marches exige une rare maîtrise de l’art du cerceau. Voilà notre champion parti. Il remonte la rue à bonne allure, poussant sa roue devant lui. La négociation du virage à droite est parfaitement maîtrisée. L’entrée sur la placette est royale et la traversée de l’esplanade de jeu un sans faute. Nous sommes tous debout et en retrait afin de ne pas gêner le compétiteur qui arrive et se prépare à dévaler les marches. Il se décale un peu sur la droite de son appareil pour mieux contrôler la descente. Le cercle de barrique mord sur la première marche. Parfaitement domestiqué par son conducteur il ignore les difficultés causées par le franchissement des angles successifs. Après une dizaine de rebonds c’est de nouveau le trottoir. Le circuit est achevé. L’heureux propriétaire de ce cerceau de luxe stoppe sa course et se retourne vers nous. Sa démonstration concluante l’autorise à un regard triomphant. Demain, tout le monde se consacrera à la chasse au cercle de barrique pour lutter à armes égales avec lui …

Lucienne BEURRIER

Momo ton dernier mail date du 29/11 dans lequel tu me souhaitais Mazal Tov pour la Bar Mitsvah de mon petit fils en Israël.

Je rentre ce matin et je voulais reprendre le cours normal de mes occupations. Un coup de fil va changer ce déroulement. J'apprends la disparition brutale d'un Ami. Cet Ami c'était l'Ami de Tous, qui ne peut se prévaloir d'avoir un jour ou l'autre sur notre site, ne pas avoir eu un contact direct ou indirect avec Monsieur Mohamed Nemmas, notre MOMO, comme nous l'appelions familièrement. Cet être souriant, avec un petit mot gentil à chaque fois, très attaché à ses amis d'enfance, cet homme toujours prêt à rendre service sans demander rien en retour, que pour le simple plaisir de se rendre utile

J'ai fait ta connaissance sur notre site, et j'ai eu beaucoup de plaisir à parcourir tous tes écrits qui traduisaient si bien toute ta bonne volonté et tous tes efforts pour un rapprochement de tous les enfants de Bab El Oued.

Quel bel accueil tu nous a réservé lors de notre voyage en mai 2006 en Algérie. Ce fût une semaine merveilleuse avec Zakia, Didinne, Racim, Moktar, etc.... que du bonheur ! Combien vous nous avez serré dans vos bras, on était tous très heureux de nous retrouver et ce ne fut que des larmes de bonheur. Vous nous avez escorté au cimetière, dans notre quartier, dans nos maisons, dans nos écoles, nous faisant redécouvrir toutes ses senteurs oubliées mais combien chères dans nos coeurs.

Depuis on correspondait, on se téléphonait régulièrement, on s'est revu à deux reprises en France, je lisais avec toujours autant de plaisir et de fierté tous tes écrits sur notre site.

A plusieurs reprises je t'ai dit ''sème tes graines, avec des hommes comme toi, l'avenir ne me fait pas peur, les peuples en guerre vont poser les armes, pour une planète apaisée et plus fraternelle.

Je te disais également ''ménage ton coeur, arrête de courir dans tous les sens, fais attention à ta santé, on a besoin de toi''

Le livre que tu m'as offert et dédicacé je vais le garder précieusement.

Je ferme les yeux et je revois ton sourire éclatant, je ne peux pas croire que je ne te reverrai plus, aurais-je le courage et l'envie de retourner au Pays si tu n'es pas là pour m'accueillir ?

Momo je n'aurai jamais cru que tu auras pû me faire verser des larmes amères.

Momo tu vas nous manquer, tu es et tu seras toujours une personne unique.

M'Nera, Dalila, Soraya et Amine nous partageons votre douleur.

Au revoir Momo, repose en paix et veille de la Haut sur ta petite famille, surveille aussi que notre site continue son travail de soudure et de fraternité entre tous les enfants de Bab El Oued.

En terminant,j'ai envie de vous partager un texte que j'ai trouvé mais que Momo aurait pû lui même écrire. C'est comme un testament qu'il nous laisse aujourd'hui :

'' Je désirerais - et cela très ardemment - que mon départ ne soit pas pour ceux que j'aime une souffrance Je voudrais qu'il ne fût pas pour eux une cause de regrets, de lamentations, de larmes J'aimerais que ma femme, mes enfants, mes amis, pensent à moi comme à quelqu'un qui les a beaucoup, tendrement aimés, et qui les aime encore, et est simplement parti un peu avant eux pour le pays de vie, de lumière, de paix et d'amour où il les attend. Que leur vie terrestre continue tranquillement, paisiblement, jusqu'au jour où pour eux aussi, la porte s'ouvrira''

IN CHALLAH

* Etoile

Sur le Quai de la Vie, tout au bout de l'année, le TVG du temps ... de plus en plus vite passe. Emportant avec lui de toutes nos journées , nos peines et nos joies, souvenirs qu'on ressasse ... Il traverse mon Pays au bord de la rupture; Je voudrais lui donner en gage d'amitiée, mes désirs profonds ... et ... conjuguer au futur, et ce pour très longtemps le joli verbe "AIMER" Le dernier grain de sable tombé du sablier ravive mes pensées ... au soir de cette Année ... Et vous présenter comme une ritournelle tous mes meilleurs souhaits pour cette Année nouvelle ! Que la joie, le bonheur ... et bien sûr la santé fleurissent en 2008 toute votre maisonnée ...! Le temps passe vraiment trop vite à cette horloge de la Vie, pas le temps de se retourner que voilà déjà la fin de l'année. C'est pourquoi mes plus gros bisous sont joints à tous, Joyeuses Fête * etoile

Pierre-Emile BISBAL

La Loubia

Mes parents sont partis à une répétition de la chorale Jean-Claude. Ce soir je mange seul avec ma grand-mère Ascencion. Depuis le début de l’après-midi elle s’affaire dans sa cuisine, mais j’ai déjà deviné ce que nous allons manger car, hier je l’ai vu mettre les gros haricots blancs à tremper. En plus, tout à l’heure, j’ai entendu le bruit du pilon dans le mortier de bois pour écraser l’ail, le kemoun, le poivre rouge et le clou de girofle. Les odeurs de cuisson qui filtrent sous la porte fermée du royaume de ma grand-mère confirment mon pronostic. Elle fait de la Loubia. Je me régale par avance et, pour oublier le temps, je me plonge dans les aventures dessinées de Miki le Ranger du Texas.

-« C’est prêt, mets la table ! » a dit mémé à travers la porte. J’ai lâchement abandonné Miki et j’ai mis le couvert. Hypocritement, j’ai demandé : « qu’est-ce qu’il y à manger ? » Elle allait me répondre quand on a sonné à la porte. C’est mon oncle, son fils, le frère de ma mère. Au dessus de tous ces titres c’est surtout mon complice. Il me ballade sur sa vespa, il m’emmène pécher au port, sur les blocs, il me traîne chez Quesada le garagiste et parfois on va voir ses copines, mais ça je ne dois pas en parler. Avec lui je n’ai pas neuf ans : je suis un grand. Il travaille de nuit à l’Echo d’Alger, à l’imprimerie de journal. Il est linotypiste

-« Maman, ça sent bon ! Tu as fait de la loubia ? Je m’invite ! » Il passe ses bras autour des épaules de ma grand-mère et l’embrasse doucement. Bien sûr qu’il peut s’inviter, mémé cuisine toujours pour cinquante. Alors que j’allais prendre une troisième assiette, mon oncle m’a stoppé. –«Pierre-Emile, Mets des bols ! la loubia ça ce mange dans des bols, comme chez Maklouf. » C’est mon oncle tout craché il met de la fantaisie partout. Le faitout fumant est posé sur grosse assiette renversée qui sert de dessous de plat. Ma grand-mère nous sert pendant que mon oncle m’explique que Maklouf c’est un restaurant ou plutôt une gargote, ou l’on sert la meilleure loubia d’Alger. Il promet de m’y emmener un jour. Je ne comprends pas très bien ce qu’est une gargote, mais je lâche un « oui » enthousiaste. Je déguste ma loubia dans mon bol. C’est vrai que c’est meilleur, différent et plus pratique. La couleur est plus rouge. On peut bien caler les gros haricots contre la paroi du bol et les faire basculer dans la cuillère. Je trouve que le fumet du plat est plus concentré. La bonne odeur du kemoun monte comme d’une cheminée. En douce, quand ma grand-mère part dans la cuisine, mon oncle parsème ma ration de quelques gouttes d’huile « felfel ». C’est un délice supplémentaire de sentir sur ma langue et contre le palais les attaques rugueuses du piment. Je m’étouffe un peu, mon oncle rit et me fait un « tape cinq ». Je suis heureux devant mon bol, avec mes yeux qui pleurent, la bouche en feu et ce fou rire qui nous secoue. Mémé revient et devine ce qui se passe. « Qui c’est le plus petit des deux ? » demande-t-elle à mon oncle en essayant de faire celle qui est en colère. On rit tous les trois.

Le repas fini, mon oncle s’est levé, ma grand-mère l’a imité. – « elle était "taïba" ta loubia » a-t-il dit à mémé. Elle a un peu baissé la tête, elle a fait sa modeste, mais moi je sais qu’elle adore qu’on la complimente sur sa cuisine. Mon oncle nous a dit au revoir et s’est engouffré dans l’escalier. Je suis vite allé au balcon de la salle de séjour qui donne sur l’avenue de la Bouzaréah. Je crie « Tonton ! » et j’agite le bras. Il monte sur son scooter. Il me rend mon salut et part à son travail.

Je ne suis jamais allé manger la loubia chez Maklouf, la vie (et ce que les hommes en font) en a décidé autrement. Cinquante ans après, quand je repense à cette soirée, je me dis que c’est tous ces instants de bonheur simple qui m’ont construit. J’en suis redevable à tous ceux qui les ont mis en œuvre. Leur souvenir est tatoué dans mon cœur et dans mon âme.

André TRIVES

LES PARDALES DE LA CANTERA

Il y a des mots de notre langage disparus à jamais; ils demeurent enfouis dans une mémoire endormie. Mais il suffit d'un bruit et d'une écoute sentimentale pour qu'ils ressurgissent immédiatement et vous restituent des moments de vie passée intacts de vérité.

Je longeais le port de ma ville d'exil, le vent d'ouest claquait les haubans des bateaux amarrés le long du quai; comme à l'accoutumée je m'apprêtais à vivre des instants de sérénité à respirer le parfum iodé de la mer. Soudain passant à proximité d'une place arborée, j'ai perçu le chant d'un oiseau qui se distinguait du brouhaha de la rue. Mon attention fut complètement extirpée du présent, je n'étais plus dans mes baskets, je n'étais plus ici, j'étais à nouveau de là-bas, j'étais transporté à Bab el Oued dans une époque d'insouciance et d'exaltation comme seuls les enfants savent cultiver.

Un mot a jailli en moi pour désigner l'auteur de cette mélodie saccadée, ce n'était pas le mot "oiseau", mais "pardale", le signifiant en Valencien, la langue de mes grands parents originaires de la province de Valence en Espagne et venus s'installer dans le quartier vers 1910. Le travail était commencé, les douleurs se faisaient de plus en plus pressantes, l'accouchement de ma mémoire se déroulait bien malgré moi entre la beauté de la mer et les bruits métalliques de la ville. Et les mots qui racontent, décrivent ou transmettent l'histoire d'une vie étaient là comme avant: "pardalettes"(petis oiseaux), "probrette" (le pauvre), "tiquette" (petit), "qué vols ? " (que veux-tu ?), "bona nit" (bonne nuit), "la lumia sa paga" ( la lumière est éteinte), "no ténies de conichimint" (tu n'a pas d'intelligence), "esta gitate"(il est couché), "gordo" (gros), "salute y força en el canoute" (salut et force dans le ...), etc... etc...

Ces ibériques apportèrent à notre quartier une coutume méditerranéenne agréable et sympathique qui traduisait une grande sensiblité et une forme de générosité qui ravissaient tout le monde: qui ne possédait pas à sa fenêtre ou à son balcon une cage avec des oiseaux que l'on entretenait amoureusement ? C'était une manière de créer de la gaîté et du plaisir autour de soi, de les partager avec ses voisins; et tous en avaient bien besoin.

A la fin d'une journée harassante à exercer les métiers du batiment, à extraire des blocs de chaux aux carrières Jaubert ou à genoux dans les champs ou sur les routes avec un mouchoir à quatre noeuds sur la tête, les mains souvent meurtries, le regard brisé de fatigue sur un visage noirci par un soleil impitoyable, ils retrouvaient au retour le soir dans leur appartement exigus un peu d'humanité en s'occupant des soins quotidiens qu'ils accordaient aux couples de canaris, de serins ou de chardonnerets.

Nettoyer la sole de zinc couverte des fientes, changer l'eau de l'abreuvoir, fixer aux barreaux un os de sépia pour faciliter l'affûtage du bec, préparer le nid pour les prochaines naissances, compléter la mangeoire de millet acheté chez Salord rue de l'Alma, proche du débit de tabac de notre ami Momo, passer énergiquement un clou rouillé et humide sous le cou de l'animal pour soigner un goitre, organiser les accouplements en cherchant dans le voisinage une femelle reconnue pour ses qualités de chant. Oui, c'était un beau moment d'humanité qui s'échangeait entre l'homme en liberté dans une vie totalement confisquée par les contraintes, et l'oiseau privé de liberté sifflotant chaque jour sa joie de vivre.

Pour tous ces ornithologues d'occasion mais passionnés, c'était une façon de mettre la campagne à sa fenêtre afin de profiter et de faire profiter du chant d'allégresse de nos pardalettes. Elle venait compléter le phonographe à manivelle qui dispensait aux travers des fenêtres et des portes toujours ouvertes, les airs de Carmen, de la Belle de Cadix ou les chants du ténor Caruso. Ainsi la cantéra résonnait de ces petits bonheurs qui se partagaient entre tous. En 1954, vers 6h du matin tout Bab el Oued fut réveillé en sursaut par le tintamarre des pardales pris de panique dans leur cage. Personne ne comprenait la raison de cette frayeur qui s'était emparée subitement de nos petits volatiles. Quelques minutes plus tard, je dis bien quelques minutes plus tard, nos maison dansaient comme des quilles: nous vivions en direct le tremblement de terre d'Orléansville.

Aujourd'hui, plus de cage à nos fenêtres, plus d'oiseaux à nos balcons pour colporter de maison en maison la joie et la gaîté qui se font si rare dans nos coeurs. Il me revient une ritournelle que nos aïeux entonnaient à la fin des repas:"

"La ouela fa roz sin séba, el ouelo dit que no vol, la ouela salsa li péga, el ouelo li tranca le pérol".

Les pardales de la cantéra se sont tus avec le vent qui s'énervait sur la rade, le clapotis des vagues sur la coque des bateaux me rappelait que le temps passe inexorablement, ma mémoire endormie s'est figée de nouveau.

JE DEDIE CE MOMENT DE VIE A MOHAMED NEMMAS DIT MOMO, CET AMI, CE FRERE ALGERIEN DEVENU UNE ETOILE QUI BRILLE A JAMAIS DANS LE CIEL DE BAB EL OUED.

BLOT Rachel Josette

Il était une fois un enfant de Bab El Oued . Il naît en 1946 dans cette cité bercée par les flots d'un bleu d'une rare pureté . Il y avait le stade Marcel Cerdan, la plage Padovani et tant d'autres endroits magiques . Comment se nommait cet enfant ? Mohamed Nemmas, dit Momo ! Un jour, il s'aperçoit que certains de ses voisins tant aimés ne sont plus là . Il comprend que ce qui vient de se passer n'est pas du tout en rapport avec ses sentiments à lui sur la personne humaine, sur le voisinage, sur la camaraderie . Et cet enfant va, pendant de longues années vivre sa vie, en Algérie mais en gardant au fond du coeur, le souvenir de sa cité d'Antan . Alors quand en ouvrant son ordinateur il clique sur un site Pied Noir, géré par Christian Timoner, il pleure, il pleure un bon moment . Etait-ce possible . Il pourra à nouveau dialoguer avec les amis d'enfance ?

ça, c'est le début de l'histoire de Momo parce que nous saurons ensuite à quel point nous faisions partie de sa vie, les bons les coléreux les méchants, les gentils les naïfs, quelle importantce . Tu es de Bab El Oued ? Alors tu es de chez moi, pensait-il en lisant certains messages du site .

Salut l'artiste ! Salut l'ami ! salut notre frère . et à bientôt quelques part dans l'univers

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