Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

André TRIVES

Momo, mon ami, mon frère,

Est-ce que tu te rends compte du nombre de messages qui défilent sur le site pour expliquer la stupeur et le désarroi que tu viens de provoquer avec ce zouzguef que tu nous a planté dans le coeur? Tu nous quittes alors que tu avais tant de choses à nous apporter; tu nous laisses seuls face à la bétise et à l'intolérance que tu combattais. C'était un immense plaisir de lire tes pensées profondément humaines et tes poèmes plein d'espérance qui soulignaient l'amour que tu portais à tes semblables et à ton pays.

Et si ton caractère était toujours passionné c'était uniquement pour affirmer que notre vie en commun d'avant était partagée de respect et d'affection entre tous; que Bab el Oued était un creuset d'amitiés sincères.

Ah mon frère! que de regrets de ne t'avoir connu si peu, sauf que ce "si peu" était une leçon de fraternité. Ta dernière intervention sur le site le 29 novembre à 18 h 07 m'avait profondément touché.

Madre mia, comme tu disait... ne t'inquiètes pas nous poursuivrons la voie que tu avais tracé.

Avec Lyas, vous serez désormais deux pour préparer notre arrivée parmi vous.

Salut l'ami ! Salut le berger de l'Amour.

Zakia CHENENNOU

MOMO le malheur de t'avoir perdu nous fera jamais oublier le bonheur de t'avoir connu

Il n'y a pas de mots pour exprimer à quel point nous sommes affligés par cette dure perte

Nous venons de revenir de chez la famille de MOMO ,sa femme et tous les siens vous remercient de vos messages de soutien en ces moments de grande peine

MOMO aimait ses amis_es ,un homme juste ,toujours pret à rendre service ,il aimait la vie ,mais tel que vous connaissez MOMO ,il vous dira :

Je suis passé seulement dans la piece à coté

je suis toujours moi ,vous étes toujours vous

ce que j'étais pour vous ,je le suis toujours

donnez moi le nom que vous m'avez toujours donné

parlez moi comme vous l'avez toujours fait

n'employez pas un ton différent

ne prenez pas un air solennel ou triste

continuez à rire ,de ce qui nous faisai rire ensemble

Priez ,souriez ,pensez à moi ,priez pour moi

Que mon nom soit prononcé comme il a toujours été

Sans emphase d'aucune sorte sans une trace d'ombre

La vie signifie ce q'elle a toujours été

Le fil n'est pas coupé ,pourquoi serais_ je hors de vos pensées ?

Simplement parceque je suis hors de vue

Je ne suis pas loin ,juste de l'autre coté du chemin

Je suis simplement passé dans la chambre

MOMO REPOSES EN PAIX ,TU NOUS MANQUERAS

A DIEU NOUS APPARTENONS A LUI NOUS RETOURNONS

Pierre-Emile BISBAL

Un départ

Mohamed Nemmas est parti. Dans cette singulière fraternité, construite sur l’amour du pays de notre naissance, il avait choisi de se placer dans le rang de ceux qui rassemblent. Avec une lumineuse obstination il désignait systématiquement les chemins ou les bonnes volontés peuvent se rencontrer. Il avait certainement compris qu’enlever le ressentiment du fardeau que l’on porte nous allège d’un poids qui nous empêche de nous tenir droit. Etre droit, ce n’est pas oublier, ce n’est pas se corrompre, ce n’est pas une désertion, ce n’est pas une trahison, ce n’est pas faire allégeance, ce n’est pas renoncer aux mémoires de nos père, ce n’est pas effacer nos chagrins. Non c’est simplement la posture adéquate pour envisager l’avenir.

Il m’avait adressé le 11 novembre 2007 un texte qui se terminait ainsi

« Si la vie nous abandonne

Il restera l’aube

Pour la génération des jeunes »

Mohamed je suis certain que tu seras toujours présent dans la lumière de l’Aube.

J’adresse mes plus sincères condoléances à toute la famille de Mohamed.

Ajout de photos

- 2 photos dans les Sportifs de Bab El Oued de Pierre MATAS

André TRIVES

LES ODEURS ET LES SAVEURS DE MON ENFANCE

S'il est bien une mémoire qui demeure intacte et vous revient tout le temps comme un soleil qui vous caresse de plaisir chaque printemps, c'est celle qui se constitue des odeurs et saveurs de son enfance. Et être un enfant de Bab el Oued, le quartier qui a inventé le mot "simplicité", c'était être curieux de tout, écouter l'expérience des anciens, étreindre à bras le corps l'amitié des copains, sentir jusqu'à l'enivrement, goûter aux plaisirs sans modération; en un mot mettre à profit nos cinq sens pour découvrir, apprendre et comprendre la vie.

Chaque jour, dès le matin avec le marché qui installait ses étals et les commerces qui levaient leur rideau de fer, une atmosphère olfactive puissante se répandait dans les rues: c'était l'odeur du pain chaud et des plaques de calentita et de pizza au sortir des fournils, des mounas brûlantes recouvertes d'un linge que nos mamans ramenaient de la boulangerie, du vin en tonneau que l'on tirait au détail, des épices alignées en tas multicolores et des barils de salaison du"moutchou", des effluves irritantes de la naphtaline, des cristaux de soude et de l'alcool à brûler vendus en vrac et à l'air libre, du camphre et de l'alcool à 90° embaumant la pharmacie de monsieur Marcel, du " ça sent bon"(eau de cologne) vaporisée copieusement dans les salons de coiffure, des parfums et eaux de toilette de la fabrique Zaoui endimanchant les rues Normandie et Cardinal Verdier, des amandes s'habillant de sucre blanc dans les marmites rotatives de la fabrique de dragées rue Rochambeau, des émanations fortes d'alcool et d'anisette imprégnant les alentours des distilleries Gras et Phoenix, du tabac à fumer, à priser ou à chiquer des manufactures Bastos ou Mélia, des teintures acres des cordonniers, des fleurs qui décoraient les étals de la place de l'Alma, des plumes virevoltantes des volailles criant leur agonie dans les mains expertes de Kader, de la motte de "smen" et du petit lait de Nia dessinant une moustache blanche à ses clients assoiffés, sans oublier Blanchette avec sa toque de chef maniant une longue tige de fer pour cuire ses beignets tournoyants dans l'huile frissonante.

Ainsi, je pouvais retrouver mon chemin les yeux fermés.

Mais c'était en soirée que des senteurs alléchantes envahissaient la rue; elles provenaient des bars qui se lançaient un véritable concours de KEMIA pour attirer une clientèle devenue exigeante. Elle était servie dans des assiettées bien remplies que l'on appelait "à la tonne" et on y dégustait: des fritures de sardines, petits rougets, merlans, mange-tout, calamars nature ou en beignets, sépia au noir, coquillages crus ou cuits, fêves au coumoune, tramous, bliblis, cacahuètes, salades de tomates, de pommes de terre, de concombres, de pois chiches, olives cassées, poivrons et variantes au vinaigre. La tradition de la kémia était un fait de société unique au monde et l'on venait de très loin pour boire un coup à Bab el Oued où boire plusieurs coups se disait" tomber dans une embuscade". Enfin la particularité à remarquer c'est que toutes ces victuailles étaient gracieusement offertes, et nous les jeunes avec un crush ou une gazouz grenadine et une ventrée de kémia on allait voir en soirée un western au Marignan ou au Plazza le ventre apaisé.

Les rues sentaient la fête avec des odeurs appétissantes qui gagnaient les trottoirs des avenues des Consulats, de la Bouzaréa ou de la Bassetta: c'étaient les brochettes de ris et de coeur du réputé Guedj qui titillaient nos narines avec ses fumées qui faisaient saliver à cent mètres à la ronde, le hasban et la rate farcie de Pépète de la Grande Brasserie dont la cuisine était celle des mamans juives, la vanille et le citron du fameux créponé qui attiraient une foule de gourmands chez les fabricants de crèmes glacées tels Grosoli, Di Miglio, Roma-glace ou La Princesse, les kiosques à frites ou à beignets italiens étaient encerclés par une horde d'affamés, les gateaux au miel et aux amandes pilées nous faisaient vérifier le sens de l'expression"avoir l'eau à la bouche", le thé à la menthe servi dans la tradition au café de l'Etoile Blanche, sans oublier le vendeur à la sauvette de jasmin proposant des colliers de fleurs ou des petits bouquets que l'on plaçait derrière l'oreille.

Suivant les saisons, des carrioles à bras parcouraient les rues et nous gratifiaient de petits plaisirs comme seuls les gens simples en sont capables; alors la rue s'animait d'odeurs et de couleurs: les épis de maïs grillé sur un kanoun, les figues de barbarie que la marchand débarrassait habilement de la peau et des piquants et que l'on dégustait sur place, les jujubes vendus dans un cornet en papier, le vendeur de cacahuètes salées toutes chaudes dans son petit panier en raphia et chantant" cacahuètes, guermech..", sans oublier Tonette et sa corbeille d'oursins parfumée d'iode qu'il avait fait au Petit Bassin le matin même ( Chez nous on ne pêche pas les oursins; on les fait).

La joie était dans la rue. Comment oublier ces modestes marchands ambulants qui offraient ce spectacle des saveurs et aussi une façon de nous rendre la vie moins difficile: il y avait le vendeur de "kikilomètre" et son caramel enrubanné autour d'une canne en roseau, rameutant le quartier avec une trompette au son nasillard, faisant le délice des enfants. Le marchand d'oublis ajoutant une chance de gagner des oublis supplémentaires en nous faisant tourner une roue de loterie numérotée placée sur le couvercle du container en métal. L'été, c'était le glacier itinérant qui vendait une crème glacée qu'il formait en parallélépipède rectangle maintenu par deux gauffrettes. Il était la bête noire de notre directeur de l'école de la Place Lelièvre, Mr Nadal, qui lui reprochait l'hygiène de son procédé. Mais pour nous les enfants, c'était sucré donc délicieux; alors on criait à nos mères restées en étage:" Maannmaann ! lances-moi une pièce de vingt sous", et la réponse était fulgurante:" Mon fiiilllsss, la banque elle est fermée"

A la réflexion, ce ne sont pas les odeurs et les saveurs en tant que telles qui restent en moi, mais plutôt l'expression d'un mode de vie particulier adopté par tous depuis des générations. Un peuple nouveau était né, plein d'imagination et de débrouillardises; il se construisait goutte à goutte comme une puissante stalactite décorant le plafond d'une grotte souterraine, mais tout aussi fragile que le calcaire qui la compose. Ce petit peuple de gens simples et modestes croyait dans la pièce de la vie méditerranéenne qu'il jouait au quotidien dans le grand théatre de la rue à Bab el Oued; son enthousiasme le rendait-il aveugle? peut-être...mais une chose est sûre, il était l'addition des différences et s'enrichissait justement de la valeur de ces différences.

Henri CAZARO

J'ai trouvé ce témoignage troublant, une pensée pour nos disparus qui y ont cru jusqu'au bout...........

Mur des Disparus : recueillement à Perpignan

Le coeur serré par l'émotion, les plus proches parents de ceux dont le nom a été gravé dans le marbre du Mur des disparus ont laissé libre cours à leur détresse. Après 45 ans de silence, entre pudeur et cri du coeur, ils ont laissé leurs larmes dire ce que les mots sont impuissants à exprimer.

Cher papa. Je me souviendrai toujours de cette journée du 20 juin 1962. J'avais dix ans, tu en avais quarante..."

Cher papa : deux mots simples brisent le silence. Restent suspendus dans l'air, malgré les efforts d'une tramontane prête à les emporter au loin. Ébranlent ces corps jusque-là drapés dans une dignité douloureuse. Et finissent par distordre ces visages, qui s'étaient pourtant promis de rester forts.

L'histoire de ce petit garçon, écrivant à cette ombre qui a pour nom papa, c'est la leur. Celle de leur propre père, de leur mère. De leur grand-père ou de leur femme. De leur oncle, cousine, ami, fiancé. L'histoire de ce bout de leur vie dont ils se sentent amputés... "Nous ne saurons jamais si tu es mort, où, et comment, et si tu as souffert !" La voix se brise derrière le micro. Les larmes débordent des lunettes noires. Et même sous les couvertures de survie, seules taches d'or dans un océan de grisaille, on distingue clairement les reliefs que forment ces mains qui se serrent.

"Je m'étais promis de ne pas pleurer"

"Juin 1962... novembre 1956... avril 1962... printemps 1957... juillet 1962..." La litanie semble ne pas avoir de fin. Noms. Lieux. Dates. Âges. Pris au hasard d'une liste tissée de drames. Évocation de fantômes qui font tressaillir ceux qui n'ont cessé de penser à eux depuis quarante-cinq ans.

Il est temps, semblent dire les sanglots silencieux. Il est temps de pouvoir dire au revoir à autre chose qu'à un souvenir.

Sur son fauteuil, poussé doucement par sa femme, Boris répète, inlassablement. "Pour rien au monde... Pour rien au monde...". Pour rien au monde, il n'aurait manqué ce rendez-vous. Depuis que la maladie lui a fait élire ce fauteuil pour assise permanente, c'est son premier voyage. Un voyage de Lyon à Perpignan, dit-il. Ce qu'il ne dit pas, c'est que son voyage, il le poursuit jusqu'en Algérie, sur la route du souvenir. À l'époque où Boris courait sur d'autres rivages. "Aujourd'hui, j'aurais voulu être sur mes deux jambes. J'aurais dû être sur mes deux jambes", assène-t-il, comme pour dire qu'il s'est passé trop de temps. Josette a passé son doigt sur ce nom. Martinez. Comme pour le graver dans sa chair. Et son doigt s'est mis à trembler. Le tremblement a gagné tout son corps. "Je m'étais promis de ne pas pleurer", articule sa bouche derrière un rideau de larmes. Son père avait l'intention de rester. On lui avait dit qu'il pouvait rester. "Mais ils n'ont pas voulu de lui..." "Aujourd'hui, j'enterre mon père..."

Viviane est pétrifiée. Viviane n'est que larmes. Elle avait 17 ans, le jour où elle a vu son père pour la dernière fois. "Aujourd'hui, j'assiste enfin à son enterrement". Elle voudrait dire autre chose, Viviane la Marseillaise. Elle voudrait dire l'indicible. Et c'est dans un seul souffle qu'elle finit par dire comment sa quête de quarante-deux années a brutalement pris fin : "Le quai d'Orsay a fini par m'envoyer le rapport de la Croix-Rouge, sans un mot d'explication, sans précautions. Froidement. Disant que mon père a été égorgé et jeté dans le four d'un hammam..." Viviane s'écroule dans les bras d'Élise. Des larmes plein les yeux, Elise n'est pas seulement venue soutenir une amie. Élise est venue, comme elle dit, reprendre son identité. "J'avais quatre ans. Avec mon père, c'est mon enfance qu'on a volée. C'est mon identité qu'on a enterrée, pendant quarante-cinq ans ". Élise, elle aussi, a reçu le rapport de la Croix-Rouge. Son père aurait été vu vivant, un mois après sa disparition. "Et qu'est-ce qu'elle a fait pour lui, l'armée ? Hein, qu'est-ce qu'elle a fait ?" Dans ce petit bout de Perpignan, les yeux rougis par trop de larmes le disputent aux colonnes vertébrales raides de trop de pudeur.

Une pudeur que partagent Mohamed et Kader, venus simplement dire merci au nom de tous les harkis sans nom et sans sépulture. "Il ne faut pas oublier qu'on a été oubliés, disent-ils. Les harkis qui ont été honteusement abandonnés, c'étaient nos frères et nos soeurs".

Leurs frères et leurs soeurs. Les pères de Josette, de Viviane, d'Élise. L'oncle de Christiane, qui a disparu en revenant de l'enterrement de sa propre soeur. Les enfants sans parents, et les parents sans passé.

Hier, à Perpignan, les chemins de la douleur ont fini par croiser la longue route du souvenir.

Barbara Gorrand

Ajout de photos

- 8 photos dans les rues de Bab El Oued de Mustapha OUALIKENE

- 6 photos dans Ecole Rampe Valée de Sid-Ali BENHADDAD

- 4 photos dans Collège Rampe Valée de Sid-Ali BENHADDAD

Pierre-Emile BISBAL

Dernier jour

C’est la fin de l’année scolaire. Le dernier jour de classe à l’école Lelièvre. Hier, en fin d’après-midi, la maîtresse a choisi un livre dans sa petite bibliothèque à gauche de son bureau, entre l’estrade et le mur. Elle a lu deux histoires qui parlaient du moyen-âge. Ca sent les vacances. Demain, les bons élèves grimperont sur l’estrade pour la cérémonie de la remise des prix.

Ce matin, en arrivant en classe, l’institutrice n’a pas inscrit la traditionnelle phrase de morale au tableau. Nous nous sommes assis et elle nous a dit de sortir tous nos livres de nos casiers et de les poser devant nous. Nous devons enlever les couvertures salies et aller à son bureau à l’appel de notre nom. Elle examine chaque volume un par un et coche sur sa liste. Quand des pages sont griffonnées il faut retourner à sa place et bien tout gommer ! Quand elle constate que le livre est propre on le pose bien correctement sur l’estrade. Un tas pour la lecture, un tas le calcul… etc. Nous avons consacré toute la matinée et le début de l’après-midi à ce travail. Avant de sortir en récréation la maîtresse a dit : « Pour ceux qui ont perdu ou abîmé un ouvrage il y aura une lettre aux parents afin qu’ils remboursent » Elle énonce la sentence tout en désignant une petite pile de livres martyrisés qui ont rendu l’âme et gisent à l’écart des autres.

Après une récréation d’après-midi plus longue qu’à l’habitude, elle nous fait mettre en rang et, comme à chaque fois, tout en ouvrant la salle de classe, elle dit, « A vos places et sans bruit ! ». Malgré l’ordre de garder le silence, les premiers entrants poussent un cri de surprise. Derrière, dans les rangs, ça bouscule un peu pour savoir ce qui ce passe. Sur certains bureaux est posé un objet. Ce sont des affaires confisquées tout au long de l’année scolaire. Giner retrouve son petit couteau pliant rouge. Ce fut la première prise de l’année. Le jour de la rentrée, Giner avait sa belle trousse à trois volets ouverte devant lui. L'enseignante passait dans les rangs et elle a repéré le couteau bien rangé dans son passant à coté des crayons de couleurs. Elle l’a pris, l’a montré en le tenant en l’air et a déclaré. « Aujourd’hui, je confisque, mais sans punition. Demain, si dans une trousse je vois ce genre d’outil, une lame de rasoir ou une lame de taille-crayon dévissée de son support c’est cinquante lignes à signer par les parents ». Nous avons tenu compte de son avertissement. Farid récupère son superbe lance-pierre avec une fourche en bois bien régulière, de l’élastique carré et un solide morceau de cuir pour tenir les projectiles. Sur la poignée, l’écorce est intacte pour assurer une meilleure prise. Farid le portait autour du cou, caché sous sa chemise mais l’institutrice s’en était quand même aperçue. Cette restitution inattendue rappelle à Farid que son grand frère, à qui appartenait l’engin, lui a fichu une sacrée tannée quand il a su que son magnifique « taouette » était perdu corps et bien. Farid affiche sa joie et sa reconnaissance par un « Merci Mademoiselle, ça c’est bien ! » qui lui jaillit du cœur. La maîtresse fait celle qui n’a pas entendu cette manière peu orthodoxe de l’interpeller. De table en table nous exhibons nos trophées. Pour ma part je retrouve un petit pistolet noir en tôle emboutie qui éclate des amorces rondes au moyen d’une gâchette argentée. Certains, encouragés par l’ambiance générale, commentent l’événement. Pour calmer le brouhaha naissant l’institutrice frappe trois petits coups secs sur son bureau avec le plat de sa règle. « Vous attendrez d’être dehors pour bavarder. Rangez-moi tout ça dans vos cartables ou je confisque à nouveau ! ». Le calme revient. Nous faisons tout disparaître dans nos sacoches. Ce serait trop bête de tout perdre maintenant. La maîtresse ouvre un nouveau livre de contes et légendes. Cette fois elle nous lit des textes sur l’Auvergne. Il est question de pont, de chien et de diable. L’après-midi s’achève.. Sur nos pupitres vides nous avons posés nos cartables, avec, dedans, comme des petits cadeaux, les restitutions de Mademoiselle Martin. Dans quelques instants la sonnerie va retentir et nous quitterons notre classe pour la dernière fois. Les grandes vacances sont à la porte de l’école. La placette nous appelle. Nos jeux nous attendent. Nous patientons. Pendant ces ultimes secondes, règne un silence que nous savourons tous. Nous vivons dans le calme les derniers instants de cette année scolaire. A la rentrée prochaine, au cours élémentaire deuxième année, tout sera différent.

André TRIVES

Une famille à mettre dans le guiness-book:

100.000, 200.000, 300.000, c'est le nombre de frères et soeurs composant aujourd'hui la famille de Bab el Oued. On se reconnait avec un même coeur, un même sang, une même origine. On est juif, musulman, catholique ou athée, algérien, français,italien, espagnol, maltais ou citoyen du monde; on est tout ça à la fois.

Et lorsque l'un d'entre nous est dans la peine, on enregistre immédiatement, grâce au "téléphone arabe", venant de l'Europe à l'Afrique du Nord, des condoléances attristées, des témoignages de sympathie pour apaiser la douleur de quelqu'un que l'on considère appartenant à sa propre famille.

Battons-nous pour garder à jamais ce ciment exceptionnel et magnifique qui relie les hommes au delà de leur différence et qui leur donne la plus belle des parures: LA FRATERNITE.

Je suis fier que cette idée de fraternité mise en chantier depuis quelques mois perdure et prend de l'empleur sur le site de Mr TIMONER où les enfants de Bab el Oued nés avant 1962 retrouvent la vérité.

Pierre-Emile BISBAL

Le beau couffin.

Pourquoi certains objets marquent notre mémoire ? On n’en sait trop rien. Ils se contentent de partager notre quotidien et y laissent leur empreinte. Au détour d’une évocation on les retrouve. Ainsi, en ce qui me concerne, j’ai souvenir d’un couffin qu’enfant j’ai l’impression d’avoir toujours connu. Je vous parle de l’objet en vannerie servant à transporter les provisions et commun à tous les peuples du bassin méditerranéen et non pas du berceau pour l’enfant. Ce couffin, se distingue des deux ou trois autres que nous possédons car il est coloré, plus grand et plus beau. Ses anses en cuir sont solidement cousues aux épaisses bandes de paille tressée de ses flancs. Ses bords sont décorés de liens en raphia entrelacés rouge et bleu. Ce grand sac possède un traitement spécial. On lui tapisse le fond avec un morceau de toile cirée découpé à sa mesure et les bords avec du papier journal pour éviter de le salir. Les autres paniers étant du tout-venant, on droit à moins de précautions. Lui c’est le jeune premier des cabas.

Ce couffin, je m’y accroche quand j’accompagne ma grand-mère au marché de Bab-El-Oued. C’est celui dans lequel on dépose les fruits et les légumes un peu fragiles. Suivant les saisons, je le vois engloutir les poivrons à la peau tendue et vernie, les abricots dont les noyaux valent de l’or à mes yeux, les amandes avec parfois un peu de sève collante sur leur enveloppe verte et craquante, les savoureuses fèves fraîches dans leur cosse humide et duveteuse, les petites pêches de vigne au goût puissant, le succulent raisin muscat dont je dérobe systématiquement quelques grains, les clémentines odorantes et les oranges maltaises, au jus sanguin et doux. Il accueille le gigot du dimanche, les œufs frais de chez Kader et la charcuterie. Dans les autres on met les patates et les bouteilles.

Ce couffin participe à toutes les grandes expéditions familiales. Il nous suit à la plage ou nous accompagne en foret de Bahinem. Pour Pâques c’est lui qui transporte la « Mouna » cette brioche odorante avec son œuf dur au sommet. Quand il sort avec nous il est recouvert d’un beau torchon blanc pour protéger le pique-nique que nous lui confions. En général quand il est dans le couloir les réjouissances ne sont pas loin.

Sauf aujourd’hui! Le couffin se tient à son poste, près de la porte d’entrée, plein jusqu'à la gueule de bonnes choses toutes plus odorantes les unes que les autres. Mais il ne flotte pas une ambiance de fête dans la maison. Ce soir, c’est papa qui l’emmène. Il n’est pas habillé comme d’habitude. Il s’est mis en soldat avec de gros pataugas aux pieds. Faut qu’il aille faire « la territoriale ». Il achève ses derniers préparatifs. Un ami doit venir le chercher. En attendant, j’ai mis son calot sur ma tête et, à l’épaule, je porte mon fusil à flèche, celui de mon tir aux pigeons. C’est juste pour me déguiser un petit peu, je ne joue pas vraiment. J’observe ce qui se passe assis à la table de la salle à manger. Je sens bien que tout le monde est un peu triste et que maman est toute tourneboulée. Une fois encore, fébrilement, elle vérifie tout ce que papa emporte. On frappe à la porte. C’est le monsieur qui vient chercher papa. Lui aussi est habillé en militaire. J’ai rendu son calot à mon père. Il m’a soulevé pour m’embrasser en me disant d’être bien sage avec maman et mémé quant il n’était pas là. Il prend notre couffin et se charge de sa grande musette. Maman s’accroche à son bras. Elle descend avec lui pour ne pas perdre quelques minutes de sa présence.

Pendant ces quelques jours où mon père sera absent maman sera anxieuse. Matin et soir, l’écoute du bulletin d’information sur Radio-Alger se fera dans le plus grand silence. Notre poste radio est posé sur le bureau de mon père. Elle s’accoudera à un des cotés du grand plateau de bois, le plus près possible du haut parleur du poste. Les doigts de ses mains nerveusement entrelacés un peu comme quand on fait une prière. Attentive à chaque mot, elle ne se redressera qu’une fois le bulletin terminé, rassurée pour un court laps de temps. Puis, la sordide inquiétude la gagnera de nouveaux

Enfin, papa rentrera, maman sourira de nouveau. Cette fois-ci, je prendrai le calot militaire et je pourrai m’amuser. Tout rentrera dans l’ordre et le couffin rejoindra sa place au fond du placard de la cuisine.

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