Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Michel SUCH

Pour José Pace.

Je sais que passer par le site pour des messages persos c'est pas poli... Mais bon, j'ai peut-être retrouvé un petit-petit cousin. Alors... Ma grand-mère aussi était maltaise... Celle de la rue en impasse, près du garage Galéa et de la ferme des Muscat. Celle là même qui guérit de l'infite et des coups de soleil. Elle aussi est née à Alger en 1895. C'est une fille Borg et sa mère était une Pace. Ses frères gardaient des chèvres au-dessus du fanal de la Bassétta. Je dis gardaient parce que les chèvres ne leur appartenaient pas... Ne crois pas que les Maltais ne sont pas représentés sur le site. Ils s'y expriment librement. Y'a qu'à lire. Il n'y a pas de minorité. Les malta tchoucha y ont leur place. Les PN sont une grande communauté. Le métissage fait notre richesse. Ma grand-mère Borg-Pace devenue Tomani-Azzopardi, tu le devineras par mon grand-père, qui lui est né à La Valette, a eu quatre filles. Deux ont épousé des espagnols, une un italien et la dernière un arrière-arrière petit fils de déporté de la Commune? Alors tu vois, nous sommes tous un peu cousin? Un peu cousin de la cuisse gauche? Quand on demande à ma mère Maltaise qui a épousé un Espagnol « Tu es quoi toi ? » Elle répond toujours : « Je suis Algéroise de la Basséta » et elle rajoute après un temps :« Mais, mes parents étaient maltais ».

Salut COUSIN. Michel

Margot

Ma grand mère m'avait demandé d'écrire cela hier . Je le fais aujourd'hui à son grand Dam !!(c'est pas grave) .............................................................

Bab El Oued ! si tu savais combien j'aime ce coin d'Alger ... Ah, cettte cité de rêve ! un geste ... Un mot ... Une odeur ... en quelques fractions de seconde, le retour au passé dans ce coin de ville bercé par les flots bleus, entre Padovani et Raisville .. La Consolation, qui pourrait raconter les plus belles histoires d'amour ou d'amitié .. Tu comprends n'est-ce pas, que l'on ne peut oublier le fil de savie ? Couper ses racines, son vécu, c'est vouloir annihiler l'essence même de son existence qui a engendré l'aujourd'hui et grâce à quoi demain sera !

Les gens de Bab el oued ne se prennent pas pour les plus beaux et les plus forts. D'origine modeste, voire pauvre, ils ont appris à ne pas douter des véritables capacités de l'homme devant les difficultés de la vie . Mais non, ils ne sont ni colons, ni profiteurs, ni racistes, parce qu'ils ont reçu en héritage le poids des peuples opprimés et la force de faire face aux sarcasmes de ceux qui se disent au dessus des lois et des gens. Comme dit si bien Rose, à Bab el Oued, vit "le MOnde entier ". et bien oui, comment nommer autrement ces populations arrivées de tous les coins de la Méditerranée ? un peu Berbères, un peu Mozabyte, un peu Trurcs, une communauté juive peut être d'origine berbère vivant depuis des millénaires, un "chouya" de Francais fraîchement débarqués, d'Italiens, d'Espagnols, sans oublier les Alsaciens et les Libanais . J'ai bien dit, le Monde entier ! Mais ??? Tu me diras : Où sont donc les colonisateurs ? La réponse n'est pas semple parce que l'histoire même de l'Algérie ne l'est pas . Je vais metttre de côté, avec ta permission, les profiteurs de drame, les banquiers qui n'ont pas de nom, pour ne parler que de l'authenticité de l'Algérie de Bab el Oued, à savoir, le Peuple, le Petit Peuple . Leur façon de vivre ? Un tourbillon, une Explosion ! A chaque instant, une histoire se passe et la situation la plus banale prend allure de comédie ou tragédie, avec toute l'exagération ou le défoulement qu'on veut ou peut y mettre . Sous cette apparence se trouve un immense besoin d'amour, une sensibilité touchante, et le véritable respect d'autrui. Ils se moquent des autres comme ils savent se caricaturer pour ne pas rester en dehors des Algérois . Un flot de gestes et de paroles, des colères monstres ou énormes éclats de rire, ils vivent heureux et pleinement sans se soucier des regars sévères des habitants des rues Michelet et d'Isly qui demandent un peur plus de discrétion ..... etc ... etc .... ( on me dit que c'était déjà écrit mais je n'efface pas, tant pis ! Margot .

Pierre-Emile BISBAL

Le dernier.

Quand le dernier d’entre-nous partira, les mémoires partisanes se souviendront uniquement de ce qu’elles jugeront nécessaire aux thèses qu’elles soutiennent, aux arguments qu’elles défendent, aux sentiments qu’elles affichent. Nous serons utilisés comme des ombres indispensables au trompe-l’œil des décors dans lesquels nos vies passées, nos espoirs, nos réussites et nos erreurs seront mis en scène. On nous attribuera un rôle sympathique ou détestable suivant le personnage qu’on voudra bien nous faire jouer.

Quand le dernier d’entre-nous partira, plus aucune voix ne portera notre sentiment de vérité sur notre vie en ce bout de terre d’Afrique où la volonté du destin conduisit nos aïeux. Le chemin sera fait. Notre malheur engendré par de fracassantes et hypocrites déclarations se figera à jamais dans notre silence.

Quand le dernier d’entre nous partira, ceux auprès de qui nous avons trouvé écoute, aide et compassion et qui allèrent jusqu’au sacrifice suprême, verront aussi pâlir puis disparaître le souvenir de leur fraternel et extrême engagement. Ce sera pour eux une injuste seconde mort.

Quand le dernier d’entre nous partira, ceux pour qui nous incarnions le malheur qui les frappe seront surpris de constater que celui-ci ne disparaît pas avec nous. Si leur courage les autorise à regarder le malheur en face, ils constateront que son visage n’offre pas la moindre ressemblance avec les nôtres.

Quand le dernier d’entre-nous partira, le soleil marquera le zénith comme à son habitude. Les vagues n’arrêteront pas un seul instant de caresser le sable de la plage. Le Siroco s’obstinera à porter la chaude haleine du sud. Cela n’empêchera même pas la chute d’une aiguille de pin dans notre forêt méditerranéenne. Nous ne nous en offusquerons pas. Nous n’avons pas l’outrecuidance de penser que nous intéressons les Dieux.

Quand le dernier d’entre nous rejoindra que ce soit dans la glaciale obscurité du néant ou dans l’éblouissante et chaude clarté d’un paradis, nous lui ménagerons une place dans notre grand cercle afin qu’en rassemblant tous nos souvenirs, nous puissions continuer encore et encore à vivre et à faire vivre notre Algérie.

Alfred LANGLOIS (Freddy)

A tous les amateurs ou anciens joueurs de toupie :

Deux choses trés importantes après tout achat de toupie, et, avant de s'en servir IL FALLAIT IMPERATIVEMENT - premierement : couper la tete de l'engin et deuxiemement , enlever le guangui d'origine et le remplacer par un clou assez costaud (attention à la manoeuvre pour ne pas casser la toupie.)

La première opération était très importante car si en jouant avec une toupie qui avait "sa tete", vous touchiez un autre joueur, celui-ci avait le droit : soit de garder le jouet, soit de le fracasser avec un gros caillou (c'était en tout cas une régle dans notre quartier de la rue Léon Roches).

Le remplacement de gangui par un clou permettait d'avoir une toupie plus performante dans sa rotation et facilitait la pose de la guitane. Toujours pour question de facilité, nous mettions à l'extrémité de la guitane que nous tenions en main "un sou troué" arreté par un gros noeud.

Souvenirs, souvenirs.

Amitiès à tous. Freddy.

Pierre-Emile BISBAL

Une leçon.

C’est encore raté ! Le corps de bois heurte le sol en premier. Ma toupie, achetée ce matin, tournoie pitoyablement sur son ventre. Elle affiche les stigmates de ma maladresse et de mon inexpérience. Encore neuve, elle est déjà grêlée de chocs. Le trait de peinture rouge qui décore sa partie la plus renflée s’efface à plusieurs endroits. Avec persévérance, j’enroule la cordelette autour du corps de la toupie pour tenter un nouvel essai quand une voix me retient : -« Non, pas comme ça ! C’est pas bon !»

Devant l’entrée du kiosque, un vieux monsieur m’interpelle. C’est Vicente. C’est comme ça que j’ai entendu mon grand-père l’appeler au boulodrome. Depuis un moment, sous sa large casquette, il m’observe tout en surveillant son petit-fils qui fait du tricycle sur la place Lelièvre. Il vient vers moi et grimpe les marches du kiosque. Déjà deux ou trois autres enfants ont stoppé leurs jeux pour regarder ce qui ce passe.

- « Fais voir ta toupie. ».

Il tend sa main, la paume vers le haut et me fait signe de lui donner mon jouet en agitant ses doigts. Je m’exécute et je le préviens.

- « Elle marche pas bien.» Il examine la toupie et hausse les épaules.

- « Ahoua ! Tu racontes des « tchalefs », elle est bien cette toupie. C’est toi qui ne sais pas t’en servir !».

Doucement, il chausse des grosses lunettes marron qu’il tire d’un étui placé dans la poche de poitrine de sa veste. Précautionneusement, il enroule la cordelette autour de la toupie. Il a un petit sourire en coin en exécutant ce travail précis. Il tremble un peu . Je regrette de lui avoir confié mon jouet. Il va me l’abîmer c’est sur. Mon inquiétude grandit. Fataliste je me console en me disant que, de toute façon, cette toupie ne fonctionne pas. Elle doit être mal équilibrée ou alors le clou sur lequel elle est sensée tournoyer n’est pas bien affûté. A moins que ce soit la ficelle, trop courte ou trop longue. S’il la casse ce n’est pas bien grave.

C’est drôle une personne âgée avec une toupie dans la main. Un vieux bonhomme ça joue aux boules, au jacquet ou aux cartes espagnoles au café, mais pas à la toupie. Je suis persuadé qu’il va la jeter trop fort et qu’elle se fracassera sur le ciment du kiosque. Il a relevé un peu la manche de sa veste. En préparant son geste, il me prédit:

- « Tu vas voir comme elle marche bien ! ».

Il lance ma toupie si vite et si fermement que je n’ai même pas eu le temps d’être surpris. Elle atterrit sur sa pointe. Un instant, elle semble immobile, mais elle tourbillonne à toute vitesse. Son museau d’acier frotte sur le ciment, elle ronronne. Elle se déplace au grès des aspérités de la dalle. Le moindre obstacle la fait dévier de sa route. Elle demeure en équilibre pendant un long moment, puis, elle perd de la vitesse, fait quelques embardées comme si la tête lui tournait, deux petits rebonds et se couche sur le coté. Vicente ramasse la toupie et me la rend.

- « Tu vois, qu’elle tourne ta toupie. Mais tu n’enroules pas ta « guitane » comme il faut (Il n’a pas dit pas la ficelle il dit la « guitane ») et ton geste pour la lancer n’est pas bon ».

Il m’a montré comment bien mettre la « guitane ». Il faut que ce soit serré régulièrement autour du corps de la toupie. Pour le geste il m’explique que l’on fait comme si on voulait lancer un caillou pour un ricochet et vite ramener la main en arrière à toute vitesse pour dérouler la cordelette. A une des extrémités de la ficelle il fait une petite boucle qu’il me passe au majeur de la main droite.

- « Tu enlèveras la boucle quand tu sauras bien jeter ta toupie, sinon tes copains diront que tu envoies ta toupie « à la fille » ».

J’ai dit oui. Devant lui je fais un, puis deux, puis trois essais un peu lamentables mais je perçois que les choses vont mieux. A la quatrième tentative, la toupie tombe sur son axe. Elle tournicote maladroitement mais c’est un progrès qui me gonfle de fierté. Pour moi, l’espoir renaît. Je tourne mon regard vers mon mentor. Il a son pouce droit levé et il cligne de l’œil pour dire que c’est bien. Il appelle le gamin qui fait du vélo. Ils partent. Je vois s’éloigner mon professeur de toupie.

Toute la fin de l’après-midi je m’exerce consciencieusement en respectant les commandements de Monsieur Vicente : « Guitane » bien serrée régulièrement, geste sec. Maintenant je réussis à presque tous les coups et ma toupie ondule et virevolte comme il se doit. Alors, j’enlève la boucle autour du doigt et ça marche toujours. La prochaine étape c’est de pouvoir glisser mes doigts écartés sous la toupie quand elle tourbillonne et la récupérer sur la paume de ma main. Mais ça, c’est une autre histoire !

Annie SALORT

Mes Amis, mes frères et soeurs de Bab el Oued,

Née en 1948, j'avais 14 ans en 62 quand :

J'ai quitté MON PAYS, j'ai quitté MA MAISON - leurs souvenirs se réveillent bien après mon adieu ! (avec 2 valises comme la majorité d'entre nous)

Une chaîne dans l'eau a claqué comme un fouet !

Ce coup de fouet fait mal, trés mal encore aujourd'hui !

Mais le besoin d'y retourner était viscéral, alors après moultes réflexions

On l'a fait avec les 7 copains, baptisés les 7 nains, parce que nous étions redevenus tout petits 45 ans après.

Celà a été merveilleux dans les rires et les larmes, les émotions trop fortes, c'est beau un homme qui pleure devant sa rue, sa maison, son école, la tombe de ces ancètres.

C'est vrai que nous sommes accueillis de façon étonnante, entourés, surprotégés,

accompagnés, sécurisés . Des Bienvenues CHEZ VOUS à chaque pas, à tous les coins de rues. Mais voilà nous sommes repartis en notre Terre d'accueil, les laissant chez nous !!!

Alors, il faut admettre que certains ne veulent pas y retourner, il n'y a pas de haine à celà, surtout ceux qui ont perdu un être cher à cause de cette putain de guerre !

Il y a même des pieds noirs qui ne veulent, même plus entendre parler de retrouvailles et de rassemblement fraternel ! Il y en a qui ont déchiré la page sur l'Algérie.

Monsieur d'Alesio, vous n'avez pas besoin de faire de pub pour l'Algérie, on sait ce que l'on a perdu. Laissez à chacun le relent de leur émotion, de leur sentiment.

Merci Momo, Didine, Zakia pour votre merveilleux accueil, mais vous ne saurez jamais la douleur que nous éprouvons depuis 45 ans, d'avoir subit cet exil, ce déracinement, douleur et regrets qui ne s'éffaceront jamais, malgré

notre réussite en France et ailleurs

où nous sommes tous éparpillés. (La France ne nous ayant pas fait de cadeau)

Merci à Christian, par ce site, d'avoir le bonheur de se retrouver, d'évoquer nos souvenirs d'anecdotes, de rituels, de parfums, que l'ont aurait pu poursuivre et vivre tous ensemble dans NOTRE BELLE ALGERIE, NOTRE PAYS !

Toute ma tendresse à vous tous.

Annie

André TRIVES

Le marché de mon enfance:

J'habitais au n°4 de la rue des Moulins qui débouchait sur le grand marché couvert où chaque matin, sept jours sur sept, les ménagères du quartier venaient faire leurs emplettes pour préparer le repas du jour. Les menus étaient inpirés selon les approvisionnements découverts chaque matin et si la sardine était belle et à bas prix, on mangeait de la sardine frite, en escabètche ou en beignet. Le frigo n'existait pas encore et la glacière ne faisait pas de miracle, donc les produits frais s'achetaient en quantité suffisante pour le jour même, ce qui permettait aussi d'éviter les gaspillages.

Notre marché de Bab el oued avait une grande renommée; avec ses quatres portes orientées aux quatre points cardinaux, il voyait une foule compacte serpenter péniblement sur le périmètre où sous la chaleur étouffante de l'été, elle ressemblait à une cohorte de pénitents abjurant leurs péchés.

A l'intérieur d'un côté, se dressaient les étals de fruits et légumes, de l'autre les dalles de pierre recouvertes de poissons entourés de monticules de glace pilée; le tout parcouru d'allées perpendiculaires où il était difficile de se frayer un passage. Tout autour se situaient des magasins d'alimentation diverse: boucherie, charcuterie, triperie, fleuriste, volailler, marchand de salaisons, etc...

A l'extérieur, occupant toutes les rues adjacentes, des marchands côte à côte sur des étalages en bois, protégés d'un parasol de fortune, vantaient à haute voix la qualité de leurs produits: pastèques, melons, oranges, tomates, citrons, dont les couleurs en faisaient une palette éclatante sous le soleil d'été. Ah mes amis, quel marché ! On se serait cru dans un jardin enchanté où il était aussi intéressant de faire des bonnes affaires que de rencontrer des visages connus. Nos mères prenaient un infini plaisir à faire leur marché chaque matin, car il n'était pas rare qu'elles saluent presque toute la famille, la plupart des amis, et se trouvaient ainsi au courant avec des "tchatches" à ne plus en finir, des nouvelles heureuses ou malheureuses de la vie de tout le monde. La télévision n'existant pas, nos séries "téléruelles" se vivaient en direct sur notre scène méditerranéenne: la rue, en étant acteur et spectateur.

A l'aide d'un couffin dont la contenance était aussi utile que pesante, elles parcouraient les étals des marchand tenus pour la plupart par des Arabes de père en fils avec qui elles avaient des rapports depuis de nombreuses années car elles étaient clientes de mère en fille et savaient la confiance réciproque qui existait. Pour une pièce de vingt centimes, des enfants pas plus hauts que trois pommes: les "yaouleds" proposaient leurs services de ramener le lourd couffin jusqu'à la maison. Sans oublier, les petits cireurs, malins comme pas deux, qui place de l'Alma, s'agenouillaient pour reluire le cuire des chaussures et qui pour aider le polissage du cirage, ajouter discrètement un crachat de professionnel. Toutes ces scènes pittoresques animaient le marché et lui donnaient un caractère unique d'humanité où tout le monde avait sa place et duquel il se dégageait un sentiment fort, très fort: la simplicité.

A suivre... PROCHAINEMENT

André TRIVES

LE MARCHE DE MON ENFANCE (suite)

Il y avait la cohue dans les boulangeries des alentours où la tradition nous faisait savourer pour casse-croùte une calentita chaude et coulante dans un pain à 10 ( centimes bien sùr).

Le spectacle était dans la rue avec l'arrivée des charettes chargées de casiers de poissons frais en provenance de la pêcherie. Les vociférations du cocher et les sabots du cheval martelant le pavé attiraient le regard des passants qui admiraient cette scène poignante où l'homme et la bête reluisants de transpiration unissaient leurs efforts. Lorsque la pêche était abondante, les prix étaient bradés pour le plus grand bonheur des consommateurs.

Ceux qui ont fréquenté ce paradis de la cuisinière, ceux qui habitaient à deux pas de ce garde-manger inépuisable, pour ne pas avoir retrouvé son équivalent ailleurs, aujourd'hui encore, en expriment des regrets plein d'émotion. A 13 h le marché se vidait, laissant les portefaix ranger les étalages tandis que les boueux nettoyaient à la lance à eau et chargeaient les camions-poubelle à la pelle. A partir de ce moment le quartier était tranformé, les commerces fermaient jusqu'à 16 h et le calme d'une sieste permettait de réparer les fatigues du matin. Alors, intervenait l'arroseuse municipale qui inondait rues et trottoirs, poursuivie par des dizaines d'enfants se rafraîchissant leurs pieds nus dans la fumée de vapeur s'élevant de l'asphalte brûlant.

A 16 h30, la sortie des écoles répandait une joie communicative qui s'installait sur les placettes et devant les porches des maisons. Bab el Oued revendiquait cette exubérance qui se tranmettait de génération en génération où la rencontre des enfants dans la rue préfigurait les centres de culture en milieux ouverts. Evidemment la clé de cette vie au grand air, c'était le climat...

A partir de 18 h, Bab el Oued ne ressemblait en rien au Bab el Oued du matin, si le matin avec le marché grouillant d'activités et le départ des travailleurs prenant le bus Bd de Provence pour se rendre au boulot, il ressemblait à une ruche d'abeilles au travail, le soir, avec toute cette jeunesse qui rentrait des ateliers et des usines pour "faire l'avenue de la Bouzarea", il prenait l'aspect d'une grande fête de famille.

Les jeunes gens et jeunes filles qui faisait" andar et venir" jusqu'à la nuit tombée en dégustant un beignet italien de chez Pascal ou un créponné de chez Di Miglio, finissaient par échanger des regards complices et les premiers sourires laissaient place à des sentiments plus profonds. Combien de mariages ont dû avoir pour origine les rencontres du soir sur les trottoirs de l'avenue.

Pierre-Emile BISBAL

Je m'associe à André Trives quand il parle de notre marché. Voici un petit texte qui peut cheminer avec le sien.

La voix

De loin ce qu’on perçoit en premier c’est un bourdonnement. Puis, au fur à mesure que l’on s’infiltre entre les étals, on s’enveloppe dans les entrelacs d'une clameur particulière. A l’arrêt, les sons vous parviennent clairs et identifiables un à un. Si l’on progresse, les cris, les appels, les exclamations, les protestations, les altercations, les vociférations, les braillements se chevauchent, se mélangent, se heurtent, s’emmêlent, se brouillent et produisent un bruissement constant. Les chocs de plateaux sur les balances, des poids sur les plateaux cadencent l’ensemble. La fusion de toutes ces sonorités enfante la voix du marché. Cette voix qui mettra tous vos autres sens en éveil. Elle insistera sur les couleurs.

« Bien rouges les tomates, bien rouges. Les tomates pour la sauce. Pour la macaronnade »

Elle désignera les poids et les formes.

« C’est de la bonne orange à confiture, de la grosse peau, bien lourde, bien ronde »

Elle soulignera les odeurs.

« Respire ce persil arabe ! Respire comme il sent bon !»

Elle incitera à comparer les saveurs.

« Tenez, goûtez les olives cassées, j’ai ouvert la jarre ce matin ! »

« Fais manger une amande au petit ! »

Tout au long de votre déambulation au milieu des étals elle cheminera à vos cotés. Pour ne pas vous lasser elle aura recours à un artifice singulier. Elle vous fera croire qu’elle est multiple alors qu’elle est unique. Elle mélangera l’espagnol, l’italien l’arabe et le français dans un sabir dont elle seul possède la clé.

« Ahmed, kédech les artichauts ? »

« Les gros raviolis come mamma il fatto, come alla casa »

« Espere un poco ! j’peux pas servir dix personnes à la fois »

« Caliente calentita ! Caliente »

Glorifiera la viande ou les volailles

« Mon steak il est tendre comme du beurre. Tu rentres chez toi, tu peux jeter tes couteaux ! » Exaltera le poisson.

« SI vous voulez du poisson plus frais faut aller le manger dans la mer ! »

Elle usera des images les plus improbables pour vanter les qualités de ses produits

« Mes figues tellement elles sont bonnes c’est les mêmes qu’on mange au paradis ! »

Elle vous rappellera les règles qui régissent le marché.

« Voilà bon poids pour les bonnes clientes ! »

« Madame, t’es la pour tripoter tous les fruits ou pour les acheter »

Cette voix nous ne pouvons plus l’entendre. Nous sommes trop loin d’elle. Nous percevons, d’autres voix sur d’autres marchés. Elles nous disent les mêmes choses mais avec d’autres termes, d’autres accents, d’autres intonations. Ce n’est pas dérisoire d’être nostalgique d’une voix car ce n’est pas n’importe quelle voix. C’est celle de notre marché de Bab-El-Oued .

Pierre-Emile BISBAL

Les rameaux

Nous sommes le dimanche des Rameaux.

C’est une cérémonie importante et particulière. Importante car elle marque une date dans la liturgie catholique. Ce dernier dimanche de Carême rappelle l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem et débute la Semaine Sainte. Dimanche prochain, ce sera Paques. Particulière car, ici, en Algérie, les enfants n’agitent pas forcément des branchettes d’olivier, de buis ou de palmier. Ils viennent à l’office avec un singulier rameau artificiel, en fait un support à confiseries. Il faut imaginer une tige d’environ soixante centimètres de hauteur servant d’axe à des branches partant perpendiculairement et supportant des friandises accrochées à leur extrémité. Poule, lapin, œuf en chocolat, fruits confits, pâte de fruits, bonbons et surtout le fameux paquet de fausse cigarettes elles aussi en chocolat. L’armature reçoit un habillage et des garnitures en papier coloré ou argenté. Cette décoration ajoute au coté festif de l’ensemble. Avec cette curieuse pratique, certains peuvent percevoir une sorte d’intrusion païenne dans le rite catholique, mais n’est-ce pas simplement un prétexte supplémentaire pour faire plaisir aux enfants. Ils rejoignent l’église en portant précautionneusement leurs rameaux. Pour les plus jeunes un adulte se charge de l’objet. Les gamins, affichent une volonté de fer pour résister au plaisir d’une dégustation prématurée. Tous n’ont pas la même détermination et, parfois, des grignotages hâtifs ruinent la belle harmonie de cette cérémonie

Je vous livre l’histoire qui suit telle qu’on me l’a rapportée. Elle se passe en 1957 ou 1958 devant l’église Saint Louis. Depuis un bon quart d’heure, toutes les rues menant vers l’église canalisent un flot de familles que l’édifice arrête comme un barrage naturel. Tout le monde est sur son trente et un. Chaque famille couve sa descendance d’un regard satisfait, fière et protecteur. Sur le parvis de l’église on immortalise cette journée par la photo traditionnelle. Le pivot de cette affaire se nomme Henry. Il a neuf ou dix ans. Sa mère, son père et sa jeune sœur de six ans complètent le tableau. Voilà donc nos quatre protagonistes au seuil d’un incident qui laissera trace dans la mémoire familiale. La maman reste attentive à la jeune sœur d’Henri. Six ans c’est encore jeune pour trimbaler ce fichu rameau. Et puis, la fillette a besoin qu’on rectifie un peu sa tenue. A proximité, le papa converse avec un groupe d’amis. Henry est donc livré à lui-même malgré que ses parents soient à deux pas de lui. Il a pris ses précautions le petit Henry, mais une sournoise envie de faire pipi l’envahit. Il perçoit bien qu’il ne pourra pas maîtriser la chose jusqu'à la fin de l’office.

Maman est la, occupée avec sa jeune sœur et papa discute encore. Il n’hésite pas un instant. Il cale son rameau contre le mur de l’église. Prend un départ foudroyant. Trouve un recoin discret. Fait son pipi et revient à son point de départ. La mère n’a pas bougé, toujours occupée avec sa fille. Henry va reprendre son rameau. Malheur de Malheur. Pratiquement toutes les branches sont dépouillées de leurs garnitures. Plus de poules, plus de mandarine et d’orange confites, plus d’œufs à la liqueur, plus de paquet de fausse cigarettes, plus de bonbons fondants. Seules deux branches du bas portent encore à leurs extrémités un minuscule lapin et un paquet de boules à la crème. Elles sont lamentables ces ramures délestées de leurs gourmandises. La consternation envahit Henry. Avant même que sa surprise se transforme en accablement, sa mère se retourne et découvre les dommages. « Henry ! » Hurle-t-elle. « Mais il a le diable au corps cet enfant ! ». Pour elle, il n’y a aucun doute. Henry s’est goinfré de friandises avant l’heure. Elle cède la pauvre mère. L’énervement matinal consécutif a la préparation de la famille s’ajoute à la soudaine contrariété suscitée par le constat de cet acte de voracité quasi-blasphématoire. Elle arme son bras droit en portant sa main loin derrière elle. La claque part. Henry tétanisé par la situation ne tente même pas un geste pour esquiver le coup. Il reçoit la plus remarquable gifle de ce dimanche des rameaux. La bouche ouverte, dans une plainte muette, il pleure. Sa joue gauche se colore en vermillon. De belles larmes larges comme le pouce dégoulinent sur son visage. Il manque d’air.

Quand il retrouve son souffle, entre deux sanglots, il explique la situation à sa mère. Et oui, il est innocent le petit. Il est victime d’un larcin. Sa mère l’admet. Pas une seule trace de chocolat ni autour de la bouche, ni sur les mains. Aucun emballage à proximité et, dans le laps de temps pendant lequel sa mère l’a quitté des yeux, aucun enfant n’aurait pu ingurgiter une telle quantité de friandise. La maman sert son Henry dans ces bras. Il sanglote sur l’épaule de sa mère qui elle-même pleure un peu. Mais Henry n’éprouve aucun ressentiment. Peut-on avoir de la rancune quand on perçoit que maman souffre encore plus que vous. Les larmes se tarissent de part et d’autre. Sa mère promet « Dés la fin de la messe, on ira vite t’en acheter une autre » Elle continue « Tant pis ! Il ne sera pas béni ». Que son rameau soit consacré ou pas, Henry s’en moque un peu. Qu’il soit complet, est, pour lui, la seule chose qui compte ! Henry fait oui de la tête. Il perçoit rapidement tous les avantages que sa situation d’innocent accusé à tort avec exécution immédiate de la sentence lui procurera toute la journée.

Henry m’a rapporté cette histoire voilà déjà quelques années. Il a précisé. « Ma gifle des rameaux est devenue un classique dans notre famille. Il n’y a pas une réunion familiale où cette méprise ne soit pas évoquée. Maman est bien âgée maintenant. Certains souvenirs lui échappent, mais pas le hold-up de mon rameau ni la baffe que je me suis ramassée à tort.»

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