Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Pierre-Emile BISBAL

Deux instants.

Le pain chez Maresca.

On ne m’autorise plus à sortir seul à cause de la situation qui se dégrade à Bab-El-Oued. La population de la Placette Lelièvre s’est clairsemée. Du balcon de chez mes grands-parents, j’épie les jeux des rares groupes qui subsistent. Je m’amuse par procuration. Cette réclusion me pèse, alors je profite de chaque occasion pour être dans la rue. Ainsi, faire les courses, c’est grignoter un peu de liberté. Avec mon grand-père, nous allons chez Maresca acheter le pain. En sortant de l’immeuble, après l’obscurité de la cage d’escalier l’intense lumière du dehors m’éblouit. Nous descendons la rue Jean Jaurès en suivant le mur de la Placette surmonté de ses grilles de fer. Nous passons à l’aplomb du terrain de boule. On dépasse le salon de coiffure. Avant, je craignais d’entendre la phrase fatidique « Bientôt faudra aller chez Charlot». Cette sentence terrible signifiait qu’une grande partie de mon prochain jeudi après-midi serait amputée par l’attente dans cette boutique surchauffée. Maintenant j’aimerai patienter dans ce salon tout en longueur juste pour le plaisir d’être avec un ou deux copains. Nous traversons le boulevard pour entrer chez Maresca. Derrière son comptoir, Solange nous sert notre pain. En sortant nous observons pendant quelques courtes minutes les manœuvres d’un hélicoptère au-dessus de l’hôpital Maillot. Nous reprenons notre chemin en sens inverse mais avec un peu plus de lenteur. Je chemine à hauteur de mon grand-père. Il pose sa main sur mon épaule pour modérer mon allure. Ses bronches sifflent à chaque inspiration. C’est un souvenir du temps ou, quand il était soldat, en 1920, il passa deux rudes hivers d’occupation en Allemagne. Nous marquons plusieurs haltes pour discuter avec ses amis du quartier. Ce sont autant de répits qui me sont offerts. Nous sommes arrivés. Il me faut abandonner ma rue et rentrer.

Des plaisirs.

A la plage, je reste « à la baille » plus que de raison. Le jeu me fait perdre la notion de temps. Il faut une injonction sévère de mes parents pour que je rejoigne le rivage. Malgré la chaleur ambiante et l’agréable température de la mer je sors de l’eau tremblant de froid. Mes lèvres sont bleuâtres. « Allez, dit ma mère, il est midi tu te sèches on va bientôt manger ». Alors, c’est l’instant du premier plaisir. Je choisis une belle portion de sable inoccupée. Tout transi, je me roule lentement dans le sable chaud et doux. On ne peut faire cela que lorsque l’on est enfant. C’est une satisfaction interdite aux adultes. Me voilà enveloppé d’une chaude caresse. Mon corps se réchauffe. La déplaisante sensation de froid recule brusquement laissant place à une suave impression de bien-être. Mais, attention, au choix de la bande de sable ! Trop éloignée du rivage elle sera brûlante, trop proche elle sera inefficace. Toute est une question d’appréciation.

L’autre plaisir, après m’être réchauffé, c’est de calmer ma faim. A l’ombre du parasol, bien protégé de la chaleur, je fouille dans le couffin réservé au casse-croûte. Je déplie le torchon blanc qui protège les cocas. Pour se rassasier, peut-on espérer plus grand bonheur que de croquer dans ce demi-cercle dodu de pâte dorée au four ? Qu’importe la garniture, soubressade, légumes, ou fritanga, le régal demeure le même. Il faut mordre soigneusement pour détacher la juste bouchée, une main placée en dessous pour récupérer ce qui pourrait chuter. Il n’est pas concevable de perdre une seule miette. La première coca calme la faim, la gourmandise justifie la seconde, la troisième reculera forcément l’heure de la reprise de la baignade, mais qu’importe. Quel festin !

Pierre-Emile BISBAL

Le 26 mars 1962 – Rue D’Isly

Une incontestable ardeur fraternelle les porte. Ils avancent dignes et simple. Ils ne craignent rien car ils brandissent le plus admirable et le plus vigoureux des symboles : Le drapeau de leur pays. Aucune agressivité ne filtre de cette lente et longue progression. Femmes, enfants et hommes mêlés se contentent d’exprimer une louable volonté, celle de secourir un quartier de leur ville à cet instant ceinturé par la force. Ils forment une foule profondément humaine, avec comme unique arme le désir de rompre un blocus inutile et inhumain. Seul un dément pourrait penser qu’ils représentent une quelconque menace dont il faudrait se défier.

Ils avancent vers leur destin avec toute la sérénité de ceux qui œuvrent pour le bien. Ils marchent en chantant les chants du peuple auquel ils appartiennent. Ces chants appris dans leurs écoles. Ces écoles qui ont formé ceux qui les ont précédés et dont la mort de certains fut comptabilisée sur tous les champs de bataille de la nation. La confiance et la détermination cheminent à leurs cotés. Ils se veulent inoffensifs pour mieux réussir leur entreprise. Ce sont des libérateurs aux mains vides de toute arme. Le but qu’ils se fixent et aussi simple que leurs intentions sont pacifiques. Ouvrir une brèche dans un mur de désespoir.

Ils avancent dans une des plus belles avenues de leur ville. Un homme se baisse et prend sa fille dans ses bras il l’assure sur son bras gauche et enlace sa jeune femme du droit. Ils avancent, déjà perdus, déjà condamnés. Ils ne s’en doutent même pas. Ils chantent. A cet instant, ils existent parfaitement, sans restriction, lumineux et vivants. Cette marche est un geste d’amour absolu. Ils l’offre à tous ceux vers qui ils convergent et dont ils souhaitent la liberté. Soudain les tirs des armes automatiques les fauchent. Ils tombent comme tombent les innocents, incrédules et surpris, victimes absurdes d’un ahurissant carnage. Ils tombent comme tombent tous les justes que la barbarie du hasard désigne à la mort. Ils tombent sans savoir qu’ils tombent, sans le dernier regard qui encourage ou la dernière parole qui apaise. Ils tombent et tombent encore. Tout se fige. Ils ne chantent plus. Ils hurlent. Ils agonisent. Ils meurent. Les drapeaux tricolores qu’ils agitaient, les hymnes patriotiques qu’ils lançaient au vent furent des talismans inefficaces. Ce 26 mars la mort fit des belles et bonnes affaires. Pas de chicane avec celui qui doit partir. Pas besoin de lutter contre le médecin ou la religion. Une fructueuse moisson obtenue sans le moindre effort.

Pourquoi, dans ce printemps méditerranéen, ce presque été, les Dieux se détournèrent-ils leurs regards de la rue d’Isly ? Notre communauté n’avait nul besoin de martyrs supplémentaires, elle n’en avait déjà que trop. « Mon lieutenant, je vous en supplie, criez halte au feu ! ». Avec cette imploration rugueuse comme un sanglot, hurlée dans son micro, le reporter témoin de la scène illustrera l’une des plus abominables boucheries de l’Histoire du vingtième siècle, de l’Algérie et de la France.

Notre souvenir, aussi longtemps qu’il perdurera, donnera à nos victimes de la rue d’Isly le plus beau titre qu’il soit : « Morts pour la Fraternité ». Cette permanence dans notre mémoire leur évitera aussi la chute impudique dans la fosse commune des statistiques de l’Histoire.

Ajout de photos

- 2 photos dans les rues de Bab El Oued de Mustapha OUALIKENE

- 1 photo dans Autres écoles de Bab El Oued de Mustapha OUALIKENE

André TRIVES

L'école de la place Lelièvre: l'université de Bab el Oued

Parce qu'on y entrait au primaire vers l'âge de 6 ans et qu'on y ressortait après le BEPC entre 16 et 17 ans, soit plus de 10 ans de fréquentation assidue, l'école Lelièvre était notre seconde maison. Parce que maîtres et élèves se cotoyaient et vivaient ensemble une vie d'intérêt commun depuis des générations, elle était notre deuxième famille. Alors, vous dire que le surnom d'université de Bab el Oued qu'avait donné Mr BEN SIMON notre prof de français, pouvait lui conférer le titre de meilleure école du quartier, cela serait probablement présomptueux. Une chose est certaine, elle était un modèle pour moi où, à la ténacité de former des têtes bien pleines, s'ajoutait un enseignement paternaliste ne faisant pas partie des programmes scolaires et qui rappelait inlassablement les principes et valeurs à respecter pour nous préparer à affronter la vie.

Mais il est vrai que pour s'en rendre compte réellement, il fallait l'avoir quittée. Je n'ai jamais oublié ces moments de générosité intellectuelle qui nous étaient destinés comme si nous étions leurs propres enfants, et qui cinquante ans après m'inspirent toujours. J'ai toute ma vie, dans la réussite comme dans l'échec, entendu une voix venue de l'intérieur qui m'intimait à un rappel à la modestie ou à la persévérance. Le mérite n'était pas d'apprendre par coeur les leçons, mais surtout de les comprendre. Connaître la fable du laboureur c'était bien, comprendre la finalité de ce magnifique texte de Jean de La Fontaine, c'était mieux. C'est toutes ces leçons de savoir-être apprises sur les bancs de notre école que j'écris à la craie aujourd'hui sur le tableau noir de ma mémoire comme si je devais passer un examen devant mes maîtres et maîtresses réunis. Je voyage place Lelièvre...Que les souvenirs sont beaux...Je gravis les cinq marches de pierres usées, les murs, les portes et les fenêtres ont été repeintes en gris bleu durant les vacances d'été, je franchis le hall d'entrée, laissant sur la gauche le bureau du directeur et sur la droite la loge de la concierge, au mur une plaque de marbre commémore les enseignants morts pour la France au cours des deux guerres mondiales. Comme une déferlante, je fais partie de cette vague d'enfants sortis de "chez Coco et Riri " qui envahit la cour de récréation avec des cris d'allégresse, tentant d'évacuer l'ultime trop plein d'énergie; dans quelques minutes la sonnerie nous rappellera dans nos classes respectives et le calme reviendra. Pour l'instant la cour et le préau ressemble à des studios de cinéma où suivant l'âge des acteurs, on y tourne en virtuel Robin des Bois, le chevalier Ivanohé, Zorro ou le combat de Marcel Cerdan contre Tony Zale. Soudain, la sonnerie retentit, les cris et les rêves retournent à leur place jusqu'à la prochaine récré. Seul le chant monotone et saccadé d'une classe répétant la table de multiplication résonnera comme le coeur battant de l'école. Les récréations comme le nom l'indique sont faites pour se re-créer; ici, elles servent à vaincre: gagner des billes à tuisse, gagner une bataille de tchappes, gagner des noyaux à seven ou au tas, gagner une course, gagner à "tu l'as", gagner au chat perché, gagner au foot avec une boule de papier. Nous étions les inventeurs du slogan"la victoire est en nous".

Le rez de chaussée était occupé par le primaire, le premier étage par le secondaire et les escaliers qui y conduisent n'étaient accessibles qu'à ceux qui réussissaient l'examen d'entrée en 6°; alors vous imaginez la hantise séculaire pour tous ces enfants du primaire de pouvoir un jour accéder à l'étage des grands. Seuls les grands faisaient de la gym et du hand ball avec Mr ROMEO qui les amenait au stade Cerdan. Et ce n'était pas tout, le secondaire apportait des connaissances nouvelles qui excitaient la curiosité: l'algèbre, la physique, la chimie, l'anglais, l'arabe, la philosophie. Quand on quittait l'école après 10 ans d'habitudes confortables et protégées pour poursuivre au Collège Guillemin ou au lycée Bugeaud, c'était le grand désarroi, mais pour paraître un homme déjà, nous savions le dissimuler.

Avec les années écoulées, je garde à l'égard de nos enseignants un sentiment profond de respect. Alors qu'ils auraient pu quitter notre quartier populaire et trouver une affectation dans les beaux quartiers, ils restaient au service de Bab el Oued leur vie durant. Combien de fois, le jour de la rentrée, on entendait ce dialogue entre le maître et un élève:-" es-tu de la famille à un Ballester que j'ai eu il y a quelques années ?"-" oui, msieur, c'est mon grand frère."

On déclarait au début d'Octobre que l'année serait bonne ou mauvaise en fonction de la gentillesse ou de la sévérité qui habillait l'étiquette du maître que l'on avait. On grandissait avec eux, ils connaissaient tous nos défauts, ils savaient nous faire naître des qualités. Nous apprenions leurs us et coutumes de la bouche des anciens, et chaque année, une sorte de rapport biographique digne des Renseignements Généraux nous informait des comportements de chacun. Ainsi, par le rappel constant du passé mis à jour tous les ans, nous avions élaboré l'histoire de notre école qui se transmettait comme un trésor de famille. C'était émouvant et bien sympathique de voir un facteur, un agent de police ou un médecin de passage, interrompre le cours pour congratuler l'instituteur tout rayonnant de joie. C'était un peu grâce à lui si le petit galopin bavard mais studieux était devenu quelqu'un d'important.

De 1946 à 1958, l'école Lelièvre a été.............( Suite dans un prochain message)

André TRIVES

L'ECOLE DE LA PLACE LELIEVRE: l'université de Bab el Oued (suite du 19 mars à 21 h 05)

De 1946 à 1958, l'école Lelièvre a été dirigée par Mr NADAL un homme d'une profonde bonté, Mr MASSE avec un oeil en verre il paraissait plus sévère qu'il n'était, Mr FRANCHON la gentillesse personnalisée. Les maîtresses et les maîtres qui ont marqué cette période avaient tous sans exception pour dénominateur commun: un coeur gros comme une pastèque de 10 kgs. Et si certains étaient adeptes de la manière forte, il faut reconnaître que nous y étions pour quelque chose. Souvenons-nous: Mme WINCKLER du charme avec une main de fer, Mr NONDEDEO, la discipline au bout des doigts, Mr LEVY impressionnant de carrure et de gentillesse, Mr BENZAKEN un excellent pédagogue usant de la règle à persuasion, Mr ASCIONE trop gentille pour gérer les vedettes du quartier, Mr FOLETTI soupe au lait et le coeur sur la main, Mr BEN FREDJ la voix nasillarde qui transperçait les fenêtres, Mr STORA le sérieux et le travail sans chahut, Mr BENHAIM l'amour du métier qui le conduisait à nous agrandir les pulls par tiraillements et qui calmait les agités en les envoyant faire un tour à "l'usine aux parfums" c'est à dires les WC jouxtant sa classe, Mr MOLL sportif et puncheur à l'occasion pour que ses élèves ne quittent pas l'école sans le certificat d'études. A l'étage, les professeurs du secondaires finissaient de parfaire notre éducation d'adolescent: Mr BEN SIMON la classe dans la classe avec humour et spiritualité, jamais en colère, juste un froncement de ses sourcils épais avec une moue dubitative et le dérapage devenait contrôlé, Mr DAUSCHY visage juvénile aux attitudes d'aristocrate pour nous apprendre les verbes irréguliers, Mr DAVIN qui était naît sans sourire et qui portait en permanence un chapeau mou avec rebord baissé comme un abat-jour, Mr GERMAIN les maths en représentation théâtrale ou l'art du mime pour élucider les énigmes posaient par Thalès ou Pytagore, Mr FAGARD heureux de voir sa classe croulait de rire sous ses pitreries en cours de sciences naturelles, Mr PEUTO un conférencier de haut niveau en histoire et géographie; il nous avait fait faire la maquette de bab el Oued avec ses contours, ses reliefs et la descente de l'oued M'Kacel pour nous faire mieux comprendre là où nous vivions. Avec lui nous garderons aussi le souvenir de l'apprentissage de la reliure. Mr BLOT s'efforçant de nous faire comprendre la place des voyelles en Arabe littéraire et nous faisant réciter à l'unisson le poème sur l'hiver " El chitaou": " Hassanou foussouli el ami oua el chitaou oua y naïdine yassirou el djaou...", Mlle GAVARONE transportant péniblement de classe en classe un meuble contenant le guide chant pour nous donner le goùt de la musique classique, Mme LAFAILLE souriante derrière ses lunettes à grosse monture articulant sa leçon d'Anglais avec des lèvres peinturlurées d'un rouge éclatant, Mme ESPOSITO et Mr BARTHELET des pédagogues de l'esquisse, de la perspective et de la proportion; on vaporisait un liquide appelé fixateur sur les dessins au fusain pour les conserver. Enfin celui qui avait la sympathie de tous, toujours vêtu d'un survêtement et s'évertuant à nous faire redresser la tête pour marcher au pas: Mr ROMEO portant des lunettes à gros foyers et un sourire de gentillesse permanent.Avec lui on quittait l'école une fois par semaine et nous éprouvions alors un sentiment de liberté dès la sortie rue Jean Jaurès, à hauteur de la Typolitho l'air de la mer nous transportait dans les grandes vacances et une fois arrivés sur le terrain de basket attenant au stade Marcel Cerdan où se déroulait le cours de gym, nous ressentions le bonheur de vivre à Bab El Oued. De mai à juin le cours de natation avait lieu en pleine mer au Petit Bassin; inutile alors de décrire le charivari explosif de joies et de cris qui montait jusqu'au boulevard et qui destabilisait pour quelques heures ce petit coin tranquille pour pêcheur à la ligne. L'esprit de l'école Lelièvre, de solidarité et de grande ferté se retrouvaient dans les différentes générations qui portèrent le maillot de l'équipe de hand ball lors des rencontres inter-scolaires qui avaient lieu le jeudi après midi au stade Leclerc; et Mr ROMEO qui était l'initiateur de ces beaux moments de notre jeunesse était pour nous un grand copain, un ami, un grand frère.

Chaque année à Pâques, sous l'égide de l'Amicale des Anciens Elèves et de Parents d'Elèves de l'école, une grande kermesse ouvrait ses portes au public. Elle s'accompagnait d'une exposition de dessins, peintures, modelages et sculptures exécutés par les meilleurs élèves de chaque classe avec pour rehausser ce rendez-vous annuel depuis plus de 40 ans, des panneaux réservés aux oeuvres des anciens devenus artistes côtés et très connus. Nos parents éprouvaient un immense plaisir en découvrant une réalisation de leur fiston, mais s'en trouvaient encore plus heureux de parcourir l'école de leur enfance. En juin deux évènements traditionnels marquaient la fin de l'année scolaire: la remise solennelle des prix en présence de l'inspecteur d'Académie sous le regard ému des parents et grands parents, et, une grande fête gymnique et sportive réunissant les écoles du quartier qui se déroulait sur le stade Cerdan agrémentée de spectacles qui retraçaient des fresques historiques. Je ressens comme une démengeaison de plaisir qui traverse tout mon corps lorsque je sors du sommeil de ma mémoire le souvenir de la fête 1949/1950 qui avait pour thème: l'antiquité. Durant le dernier trimestre qui précéda cette manifestation, l'école ressembla à un grand chantier où personne ne comptait les heures supplémentaires. Sous la direction de Mr ROMEO assisté de nombreux collègues et de tous les élèves en âge de participer, une véritable razzia fut organisée sur le carton, les manches à balai, le papier de couleur, la colle, la ficelle, les vieux tissus. Ainsi on confectionna des costumes et heaumes romains, des épées, des dagues, des lances, des fouets; et pour restituer la course de Ben Hur, on emprunta aux éboueurs leurs charretons-poubelles qui furent décorés plus vrais que nature. Le couple de chevaux pur-sang qui les tirait était constitué de deux gaillards qui ne ménageaient pas leur peine sous le soleil impitoyable d'un été qui s'annonçait déjà brûlant. Ce spectacle d'enfant, monté et réalisé avec l'union de toute l'école remporta un immense succés dont "Dernière Heure" le journal paraissant l'après midi se fit l'écho pour la plus grande fierté de chacun.

Nous jouions follement dans la cour de notre école qui le temps des récréations devenait un paradis. Je revois ces visages surmontés de cheveux hirsutes, trempés de sueurs que l'on essuyait d'un revers de manche ou d'une main pas très propre. Quelles bonnes mines nous avions, rouges comme des coquelicots, au moment où la cloche nous rappelait dans les classes.

L'école Lelièvre fabriquait des modèles et des exemples de réussite; elle nous conviait pendant 10 ans à un véritable parcours iniatique qui contribuait à la plus importante des connaissances: la connaissance de soi.

André TRIVES

Slimane et Omar

L'enfance c'est des moments de vie rangés méticuleusement dans la bibliothèque de sa mémoire et qui reviennent en boucle tout le temps dès qu'un signe vous relie à ce passé de vérité. Ce signe peut être une odeur, un son ou la lecture d'un simple mot qui vous transperce d'émotion. Dernièrement sur notre site un message de l'ami Merzak portait ces mots:"Slimane le charbonnier"; mon regard s'est immédiatement embué, ces mots étaient lourds de signification pour moi, ils représentaient toute mon enfance à Bab el Oued.

Slimane DOUDOU et son frère Omar tenaient un commerce de charbon juste en face du magasin de vins et liqueurs de mes parents au 4 rue des Moulins. Ils étaient originaires de Bounoura près de Ghardaïa (Mzab) et m'avaient vu naître en 1941. Entre mes parents et les Doudou, il y avait bien plus que de l'amitié. Pendant les années 39/40 alors que mon père était mobilisé sur le front en France, Slimane rendait de nombreux services à ma mère qui gérait seule avec un enfant de 3 ans le magasin. Il intervenait quotidiennement pour placer les lourds tonneaux de vin sur le chantier; sans son aide, ma mère n'aurait pas pu assurer la marche du commerce.

Le magasin de Slimane était une véritable caverne d'Ali Baba. On y trouvait tous les produits de droguerie vendus au détail et à l'air libre; si bien qu'en entrant dans l'espace réduit qui accueillait les clients, on avait les yeux et la gorge qui piquaient. Dans un grand tonneau situait à la droite de l'entrée, recouvert d'un plateau, se trouvait contenu de la sciure de bois utile pour éponger la pluie, et au dessus une balance romaine servant à peser le charbon qui était stocké dans la pièce arrière jusqu'au plafond. Inévitablement, de temps en temps, la pile de charbon dégringolait brutalement, semant la panique dans le magasin et dans la rue où un immense nuage de poussière noire se répendait telle l'encre de sépia sur une proie. Les haïks blancs des femmes sorties précipitamment sur le trottoir pour respirer avaient radicalement changé de couleur; et Slimane comme un capitaine de navire en train de sombrer, sortait le dernier enveloppé d'un nuage étouffant tel Aladin de sa lampe magique. Avec un sourire à la "Afric-film" d'où ressortait avec innocence le blanc lumineux de ses yeux et de sa dentition, il se confondait en excuses auprès des voisins et l'incident était clos. En pénétrant dans le local, on était saisi par une ambiance de catacombe où l'ampoule électrique recouverte de poudre fine distillait une lumière tamisée comme dans une boîte de nuit. Deux calendriers côte à côte étaient fixés au mur: le traditionnel et celui de l'Hégire écrit en arabe; et entre, une grande main de Fatma de couleur verte, sertie de paillettes qui prévenait:" ici vaut mieux ne pas mettre les yeux" et malheur à celui qui essayera " Rhamsa laïnik". Du comptoir servant de caisse, submergé de facture et du traditionnel carnet "marques!" faisant crédit aux clients, aux rayonnages où s'entassaient des produits les plus hétéroclites: kanoun, lampe à pétrole, veilleuses, fourneau à pétrole, déboucheurs de fourneaux, mèche à lampe, bougies vendues à l'unité, cristeaux de soude, naphtaline, pinceaux à chaux en alfa, lavette en filasse, éventail et soufflet (marora) pour kanoun, alcool à brûler et pétrole tirés d'un tonneau métallique, lessiveuses, savon de Marseille en paillettes, blanc d'Espagne, brillantine Roja, le "ça sent bon" (banita), paquets de lessives Bonux et Persil, pompes à flytox, poudres à teintures, henné, encens(jaoui) et pour les superstitieux: graines pour kanoun(fassour) et tarentes séchées (téta): tout sans exception était noirci de poussier. A chaque vente, il époussetait le produit en soufflant énergiquement d'une expiration profonde comme un trompettiste de jazz afin de retrouver l'étiquette qui donnait le prix. Quand j'allais "faire" de la monnaie pour mon père, au retour je n'échappais jamais aux salissures du noir de charbon qui font la réputation légendaire des charbonniers.

Un jour Slimane est rentré dans le magasin de mes parents, propre comme un sou neuf et vêtu d'un costume européen avec une petite valise à la main. Je devais avoir entre 9 et 10 ans. Il venait chjercher mon père qui avait aussi préparé sa valise en carton pour rejoindre la gare d'Alger et prendre le train "inox" en direction d'Oran. Tous les deux étaient de fervents supporters de l'équipe de foot le R S A (Red Star Algérois) et ils allaient assister à un match de coupe. Leurs idoles s'appelaient: GANEM, PONSETTI, VERMEUIL, ZAIBECK, CAILLAT, MAOUCH, les frères MAGLIOZZI,DHIEL... Je les avais accompagnés jusqu'au tram place de l'Alma et leur au revoir dégageait une immense joie d'aller vivre ce beau moment de plaisir ensemble.

Je me revois âgé de 5 ou 6 ans dans le calme d'un après midi d'été, Slimane me juchait en amazone sur le cadre de son vélo et me faisait faire le tour de l'immeuble par la rue de Chateaudun et la rue du Roussillon. L'air chaud qui caressait mon visage me donnait une sensation de rafraîchissement comme le ventilateur qui tournait au plafond de chez Prosper le marchand de tissus. Il s'excusait parfois de ne pas pouvoir me ballader à nouveau et me disait:" André, j'ai pas le vélo, il est en réparation chez Kallista".

Chaque midi, le magasin dégageait des odeurs de cuisine; Slimane préparait le repas. Je le revois activant par saccade la pompe du fourneau à pétrole comme une pompe à bicyclette et me disant poliment:" André, tu manges avec moi ?" Il faut bien reconnaitre que Slimane et Omar étaient déjà des travailleurs immigrés dans leur propre pays. Ils travaillaient à Bab el Oued loin de leur famille qu'ils retrouvaient une fois tous les 2 ou 3 ans. A cette occasion ils s'habillaient avec fierté dans le tradistionnel costume des gens du sud tout de blanc vêtu; ils allaient enfin retrouver femme et enfants qu'ils avaient regardés durant de longs mois de labeur et d'isolement pénibles sur de minuscules photos en noir et blanc délavés.

C'était çà notre vie; remplie de scènes pittoresques d'une époque totalement révolue et que nous partagions parce qu'elles faisaient partie de notre destin commun.

Dans le quartier nous nous connaissions de père en fils depuis des générations. Les fils prenaient la suite des parents et cela semblait éternel.

Les charbonniers Slimane et Omar rendaient des services à tout le quartier et tout le quartier les considérait comme de la famille.

Annie SALORT

A vous tous,

Voulez-vous danser Grand-Mère ? voulez-vous danser Grand-Père ?

Tout comme au bon vieux temps, quand nous avions 16 ans ! La-bas à bab el oued !

Sur un air qui nous ressemble, Be bop oula ! Rock 'n Roll, Les Chausettes Noires,

Lets Twist Again, Only You, les Platers, Aïe Aïe le slow ! qu'est ce qu'on flirtait !

On disait "taper la paille" . Vous vous souvenez Joce, Linda, Lulu, Francis, Georges ?

Voilà à toutes les Mamies que nous sommes devenues 46 ans plus tard, une Merveilleuse Fête des Grands Mères sans oublier les Papys et en vous souhaitant à tous et toutes de devenir des Arrières, Arrières Arrières Mémés et Pépés.

Que D.ieu vous benisse et vous garde tous en bonne santé et au plaisir de se retrouver tous à Rognes le 1er Juin prochain.

Dans l'attente, je vous adresse mes affectueuses pensées grâce à ce merveilleux site.

MERCI QUI ? MERCI CHRISTIAAAAAAAAAAAN !

Bises Annie

Alain MORENO

Bonjour à toutes et tous: A, Annie Salort souvenirs, souvenirs quand tu nous tiend. J'avais un peu plus de trois ans de moins que toi. Mais je me souviens très bien des filles à la Basseta, la Placette de l'école Lelièvre, sur nos belles plages, se déhanchaient en écoutant sur leur Téppaz à piles, sans oublier le rond central, pour empiler plusieurs disques 45 tours les chansons de cette merveilleuse époque. Et nous comme des bourricots ont regardaient les belles filles danser en se disant, Aie,Aie,Aie celle-là je lui pincerais bien les f....s, mais après j'avais plutôt intérêt, à faire scappa. Je me permettrais d'ajouter à ta liste de chanteurs celui que l'on oublie souvent s'est Paul Anka(you are my destiny,Crasy love,Diana, etc...) Danielle Pastor l'écoutait souvent, je l'entendais d'en bas de chez moi dans la cour. Ce qui était merveilleux, et typique de chez nous, s'est que les gens chantaient tout le temps, parfois admirablement bien, en préparent le repas, sur les balcons,les térrasses en étendent leurs linges. Et parfois tard le soir ont s'installaient assis, le long du trottoir Av de la Bouzaréah avec les voisins et voisines pour papoter, mais surtout pour écouter Radio-Andorre, sur cette station on entendait pour le plaisir de beaucoup de gens, de la musique, et chansons Espagnoles. Tout le monde dansait, chantait, les gens de passage s'arretait pour écouter. Le boulanger, Mr Clapez nous offrait des bambas, tandis que Me Clapez nous servait de sa glace au créponet dont elle gardait jalousement son secret de fabrication. QUELS MERVEILLEUX SOUVENIRS n'est-pas Annie.

Bonne fête à toutes les mamies, et les papis comme moi aussi.

Amicalement Alain Vincent

Pierre-Emile BISBAL

Le petit arabe.

Depuis le début des vacances d’été mes parents louent une partie d’un cabanon à la Trappe. Ils y viennent le soir et chaque fin de semaine. Le reste du temps j’y suis seul sous l’autorité bienveillante de ma grand-mère. Je vis en permanence au paradis. Toutes mes journées débordent de liberté. Elles se partagent entre la baignade, la pêche, les jeux dans les bosquets situés en haut de la zone occupée par les cabanons et limitée par le haut mur du « Club des Pins ». A vivre ainsi totalement en plein air et sous le soleil ma peau s’est noircie. Cet extrême bronzage a exacerbé les spécificités de mes origines espagnole et mahonnaise.

Ce samedi après-midi, après avoir respecté le sacro-saint temps de la digestion, ce sera baignades avec mes parents. Alors qu’eux se dirigent vers la plage, chargés du parasol, des serviettes et autres rabanes, moi je file vers cette zone de rochers plats qui affleurent la surface de l’eau. Là, dans les cavités comblées par la mer, il est facile de capturer à la main un cabot, une fine girelle multicolore ou une crevette translucide. Je dépose mes prises minuscules dans un petit seau de plage dont la rouille dévore les clowns qui le décorent.

C’est l’heure où les baigneurs arrivent. De mon terrain de chasse j’aperçois mes parents qui s’installent. Près d’eux une dame et une petite fille font de même. La dame parle avec maman. Mon père prépare ses palmes, son masque et son tuba. C’est le signal, la digestion s’achève. On peut aller à la « baille ». Il est temps de cesser ma pêche. Dans mon seau, trois cabots tournent en rond. Pour regagner l’endroit où sont mes parents, je croise la route de cette petite fille qui doit avoir mon âge. Elle jette un regard dans mon seau et s’exclame « Ho ! des goujons ! » . Elle a un drôle d’accent pointu. L’an dernier, toujours pendant les vacances, j’étais à Amélie-les-Bains, en métropole, avec mes grands-parents qui y faisaient une cure. Leurs amis de Paris avaient ce même accent. Je pose mon seau dans la sable et nous nous accroupissons pour observer mes prises. Je rectifie «C’est pas des goujons, c’est des cabots ! ». La petite fille n’a pas le temps de me répondre. Sa mère lui intime sèchement de revenir près d’elle. La gamine obéit et fait volte-face. Quand elle arrive à hauteur de sa maman celle-ci la saisit par le bras et lui déclare, elle aussi avec un accent pointu : « Je t’interdis de jouer avec ce petit arabe ! ». Elle l’a dit si fort que je l’ai entendu et mes parents aussi.

Je suis surpris par la réaction de cette adulte qui refuse à sa fille la possibilité de jouer avec un arabe. Moi, les arabes je m’amuse avec eux dans la rue, la cour de récréation ou à la placette Lelièvre. Je ne suis pas le seul et il n’y a pas d’interdiction. Confronté à cette attitude surprenante, je me sens coupable comme après avoir fait une bêtise mais laquelle ? Mon seau repose sur le sable. Pour me donner une contenance, je l’empoigne, cours vers la mer pour le vider et libérer mes trois poissons.

Mon père se lève. Très calmement, très distinctement, avec sa voix forte il m’appelle « Pierre-Emile, viens ici ! ». Immédiatement la dame s’enferme dans un silence embarrassé. Craint-elle que le fait m’avoir confondu avec un arabe ne nous irrite et déclenche une altercation ? Comme rien ne se passe, la surprise s’ajoute à sa confusion. Je rejoins mes parents que cette gêne amuse.

Il y a un moment de vide puis, mon père se dresse d’un bon. J’attendais cet instant. Je connais le jeu et son scénario rituel. Il me soulève, me prend sous son bras, pénètre dans l’eau en courant à grandes enjambées puis me jette dans les vagues. Je pousse le cri d’effroi réglementaire. C’est ensuite une grande bataille d’éclaboussures. Rapidement l’amusement gomme l’incident, mais cet épisode se colle dans un coin de ma mémoire.

Bien plus tard, dans mon esprit, cette scène illustrera, une des causes de notre douloureuse séparation d’avec ce pays. Ceux-la même qui, sans nous connaître totalement, nous reprochaient de maintenir des différences entre les communautés présentes en Algérie s’autorisaient à pratiquer de réelles discriminations.

Claude QUESADA

Terre Algérienne, notre MERE

Jeunesse des années 50, te souviens-tu, du boulevard du front de mer d’Alger qui a connu l’épanouissement de tant de d’amours et de flirts ?

Qu’il valait cher ce mètre carré, non ce demi mètre carré, adossé aux remparts de cette promenade !

Que de promesses, que de serments ont-ils été échangés !

Te souviens-tu de l’exaltation du premier baiser, de l’engouement ou de la maladresse du premier bécot, de l’émoi des premières caresses !

A cette époque, il fallait laisser du temps au temps pour réaliser son œuvre.

Jeunesse des années 50 de BEO te souviens-tu de ces effluves légers d’eucalyptus et d’iode qui venaient attiser nos odorats ?

Jeunesse des années 50 te souviens-tu des baignades sur la côte Ouest où les forêts de pins venaient jeter ses épis sur le sable doré de la plage, ou des plongeons sur la côte Est bordée, au loin, par les monts du DJURJURA couverts de neige ?

Un simple rocher sur un lac a fait écrire à Lamartine l’une de ces plus belle phrases : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

Qu’aurait-il écrit devant cette terre d’Alger ou d’Oran ou de Bône ou d’ailleurs, cette terre enrubannée de bleue par la Méditerranée si magique , si extraordinaire, si féerique qu’elle a marqué à vie les cœurs de tous ceux qui l’ont connue comme ont été marqués pour l’éternité, tous ces rochers érodés et frappés par les vents, la mer, le sable et le soleil.

Oui jeunesse des années 50 tu as été jetée, en 1962, avec tout le peuple des PN de l’autre côté de cette mer qui a bercé notre enfance.

La nostalgie de « là-bas », les souvenirs des temps heureux ou malheureux ont gravé au fond de ton cœur un bonheur que nulle part ailleurs tu aurais pu connaître.

Bien mince consolation ! ! ! !

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