Le marché de mon enfance:

J'habitais au n°4 de la rue des Moulins qui débouchait sur le grand marché couvert où chaque matin, sept jours sur sept, les ménagères du quartier venaient faire leurs emplettes pour préparer le repas du jour. Les menus étaient inpirés selon les approvisionnements découverts chaque matin et si la sardine était belle et à bas prix, on mangeait de la sardine frite, en escabètche ou en beignet. Le frigo n'existait pas encore et la glacière ne faisait pas de miracle, donc les produits frais s'achetaient en quantité suffisante pour le jour même, ce qui permettait aussi d'éviter les gaspillages.

Notre marché de Bab el oued avait une grande renommée; avec ses quatres portes orientées aux quatre points cardinaux, il voyait une foule compacte serpenter péniblement sur le périmètre où sous la chaleur étouffante de l'été, elle ressemblait à une cohorte de pénitents abjurant leurs péchés.

A l'intérieur d'un côté, se dressaient les étals de fruits et légumes, de l'autre les dalles de pierre recouvertes de poissons entourés de monticules de glace pilée; le tout parcouru d'allées perpendiculaires où il était difficile de se frayer un passage. Tout autour se situaient des magasins d'alimentation diverse: boucherie, charcuterie, triperie, fleuriste, volailler, marchand de salaisons, etc...

A l'extérieur, occupant toutes les rues adjacentes, des marchands côte à côte sur des étalages en bois, protégés d'un parasol de fortune, vantaient à haute voix la qualité de leurs produits: pastèques, melons, oranges, tomates, citrons, dont les couleurs en faisaient une palette éclatante sous le soleil d'été. Ah mes amis, quel marché ! On se serait cru dans un jardin enchanté où il était aussi intéressant de faire des bonnes affaires que de rencontrer des visages connus. Nos mères prenaient un infini plaisir à faire leur marché chaque matin, car il n'était pas rare qu'elles saluent presque toute la famille, la plupart des amis, et se trouvaient ainsi au courant avec des "tchatches" à ne plus en finir, des nouvelles heureuses ou malheureuses de la vie de tout le monde. La télévision n'existant pas, nos séries "téléruelles" se vivaient en direct sur notre scène méditerranéenne: la rue, en étant acteur et spectateur.

A l'aide d'un couffin dont la contenance était aussi utile que pesante, elles parcouraient les étals des marchand tenus pour la plupart par des Arabes de père en fils avec qui elles avaient des rapports depuis de nombreuses années car elles étaient clientes de mère en fille et savaient la confiance réciproque qui existait. Pour une pièce de vingt centimes, des enfants pas plus hauts que trois pommes: les "yaouleds" proposaient leurs services de ramener le lourd couffin jusqu'à la maison. Sans oublier, les petits cireurs, malins comme pas deux, qui place de l'Alma, s'agenouillaient pour reluire le cuire des chaussures et qui pour aider le polissage du cirage, ajouter discrètement un crachat de professionnel. Toutes ces scènes pittoresques animaient le marché et lui donnaient un caractère unique d'humanité où tout le monde avait sa place et duquel il se dégageait un sentiment fort, très fort: la simplicité.

A suivre... PROCHAINEMENT