LE MARCHE DE MON ENFANCE (suite)

Il y avait la cohue dans les boulangeries des alentours où la tradition nous faisait savourer pour casse-croùte une calentita chaude et coulante dans un pain à 10 ( centimes bien sùr).

Le spectacle était dans la rue avec l'arrivée des charettes chargées de casiers de poissons frais en provenance de la pêcherie. Les vociférations du cocher et les sabots du cheval martelant le pavé attiraient le regard des passants qui admiraient cette scène poignante où l'homme et la bête reluisants de transpiration unissaient leurs efforts. Lorsque la pêche était abondante, les prix étaient bradés pour le plus grand bonheur des consommateurs.

Ceux qui ont fréquenté ce paradis de la cuisinière, ceux qui habitaient à deux pas de ce garde-manger inépuisable, pour ne pas avoir retrouvé son équivalent ailleurs, aujourd'hui encore, en expriment des regrets plein d'émotion. A 13 h le marché se vidait, laissant les portefaix ranger les étalages tandis que les boueux nettoyaient à la lance à eau et chargeaient les camions-poubelle à la pelle. A partir de ce moment le quartier était tranformé, les commerces fermaient jusqu'à 16 h et le calme d'une sieste permettait de réparer les fatigues du matin. Alors, intervenait l'arroseuse municipale qui inondait rues et trottoirs, poursuivie par des dizaines d'enfants se rafraîchissant leurs pieds nus dans la fumée de vapeur s'élevant de l'asphalte brûlant.

A 16 h30, la sortie des écoles répandait une joie communicative qui s'installait sur les placettes et devant les porches des maisons. Bab el Oued revendiquait cette exubérance qui se tranmettait de génération en génération où la rencontre des enfants dans la rue préfigurait les centres de culture en milieux ouverts. Evidemment la clé de cette vie au grand air, c'était le climat...

A partir de 18 h, Bab el Oued ne ressemblait en rien au Bab el Oued du matin, si le matin avec le marché grouillant d'activités et le départ des travailleurs prenant le bus Bd de Provence pour se rendre au boulot, il ressemblait à une ruche d'abeilles au travail, le soir, avec toute cette jeunesse qui rentrait des ateliers et des usines pour "faire l'avenue de la Bouzarea", il prenait l'aspect d'une grande fête de famille.

Les jeunes gens et jeunes filles qui faisait" andar et venir" jusqu'à la nuit tombée en dégustant un beignet italien de chez Pascal ou un créponné de chez Di Miglio, finissaient par échanger des regards complices et les premiers sourires laissaient place à des sentiments plus profonds. Combien de mariages ont dû avoir pour origine les rencontres du soir sur les trottoirs de l'avenue.