Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

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Pierre-Emile BISBAL

Dernier jour

C’est la fin de l’année scolaire. Le dernier jour de classe à l’école Lelièvre. Hier, en fin d’après-midi, la maîtresse a choisi un livre dans sa petite bibliothèque à gauche de son bureau, entre l’estrade et le mur. Elle a lu deux histoires qui parlaient du moyen-âge. Ca sent les vacances. Demain, les bons élèves grimperont sur l’estrade pour la cérémonie de la remise des prix.

Ce matin, en arrivant en classe, l’institutrice n’a pas inscrit la traditionnelle phrase de morale au tableau. Nous nous sommes assis et elle nous a dit de sortir tous nos livres de nos casiers et de les poser devant nous. Nous devons enlever les couvertures salies et aller à son bureau à l’appel de notre nom. Elle examine chaque volume un par un et coche sur sa liste. Quand des pages sont griffonnées il faut retourner à sa place et bien tout gommer ! Quand elle constate que le livre est propre on le pose bien correctement sur l’estrade. Un tas pour la lecture, un tas le calcul… etc. Nous avons consacré toute la matinée et le début de l’après-midi à ce travail. Avant de sortir en récréation la maîtresse a dit : « Pour ceux qui ont perdu ou abîmé un ouvrage il y aura une lettre aux parents afin qu’ils remboursent » Elle énonce la sentence tout en désignant une petite pile de livres martyrisés qui ont rendu l’âme et gisent à l’écart des autres.

Après une récréation d’après-midi plus longue qu’à l’habitude, elle nous fait mettre en rang et, comme à chaque fois, tout en ouvrant la salle de classe, elle dit, « A vos places et sans bruit ! ». Malgré l’ordre de garder le silence, les premiers entrants poussent un cri de surprise. Derrière, dans les rangs, ça bouscule un peu pour savoir ce qui ce passe. Sur certains bureaux est posé un objet. Ce sont des affaires confisquées tout au long de l’année scolaire. Giner retrouve son petit couteau pliant rouge. Ce fut la première prise de l’année. Le jour de la rentrée, Giner avait sa belle trousse à trois volets ouverte devant lui. L'enseignante passait dans les rangs et elle a repéré le couteau bien rangé dans son passant à coté des crayons de couleurs. Elle l’a pris, l’a montré en le tenant en l’air et a déclaré. « Aujourd’hui, je confisque, mais sans punition. Demain, si dans une trousse je vois ce genre d’outil, une lame de rasoir ou une lame de taille-crayon dévissée de son support c’est cinquante lignes à signer par les parents ». Nous avons tenu compte de son avertissement. Farid récupère son superbe lance-pierre avec une fourche en bois bien régulière, de l’élastique carré et un solide morceau de cuir pour tenir les projectiles. Sur la poignée, l’écorce est intacte pour assurer une meilleure prise. Farid le portait autour du cou, caché sous sa chemise mais l’institutrice s’en était quand même aperçue. Cette restitution inattendue rappelle à Farid que son grand frère, à qui appartenait l’engin, lui a fichu une sacrée tannée quand il a su que son magnifique « taouette » était perdu corps et bien. Farid affiche sa joie et sa reconnaissance par un « Merci Mademoiselle, ça c’est bien ! » qui lui jaillit du cœur. La maîtresse fait celle qui n’a pas entendu cette manière peu orthodoxe de l’interpeller. De table en table nous exhibons nos trophées. Pour ma part je retrouve un petit pistolet noir en tôle emboutie qui éclate des amorces rondes au moyen d’une gâchette argentée. Certains, encouragés par l’ambiance générale, commentent l’événement. Pour calmer le brouhaha naissant l’institutrice frappe trois petits coups secs sur son bureau avec le plat de sa règle. « Vous attendrez d’être dehors pour bavarder. Rangez-moi tout ça dans vos cartables ou je confisque à nouveau ! ». Le calme revient. Nous faisons tout disparaître dans nos sacoches. Ce serait trop bête de tout perdre maintenant. La maîtresse ouvre un nouveau livre de contes et légendes. Cette fois elle nous lit des textes sur l’Auvergne. Il est question de pont, de chien et de diable. L’après-midi s’achève.. Sur nos pupitres vides nous avons posés nos cartables, avec, dedans, comme des petits cadeaux, les restitutions de Mademoiselle Martin. Dans quelques instants la sonnerie va retentir et nous quitterons notre classe pour la dernière fois. Les grandes vacances sont à la porte de l’école. La placette nous appelle. Nos jeux nous attendent. Nous patientons. Pendant ces ultimes secondes, règne un silence que nous savourons tous. Nous vivons dans le calme les derniers instants de cette année scolaire. A la rentrée prochaine, au cours élémentaire deuxième année, tout sera différent.

André TRIVES

Une famille à mettre dans le guiness-book:

100.000, 200.000, 300.000, c'est le nombre de frères et soeurs composant aujourd'hui la famille de Bab el Oued. On se reconnait avec un même coeur, un même sang, une même origine. On est juif, musulman, catholique ou athée, algérien, français,italien, espagnol, maltais ou citoyen du monde; on est tout ça à la fois.

Et lorsque l'un d'entre nous est dans la peine, on enregistre immédiatement, grâce au "téléphone arabe", venant de l'Europe à l'Afrique du Nord, des condoléances attristées, des témoignages de sympathie pour apaiser la douleur de quelqu'un que l'on considère appartenant à sa propre famille.

Battons-nous pour garder à jamais ce ciment exceptionnel et magnifique qui relie les hommes au delà de leur différence et qui leur donne la plus belle des parures: LA FRATERNITE.

Je suis fier que cette idée de fraternité mise en chantier depuis quelques mois perdure et prend de l'empleur sur le site de Mr TIMONER où les enfants de Bab el Oued nés avant 1962 retrouvent la vérité.

Pierre-Emile BISBAL

Le beau couffin.

Pourquoi certains objets marquent notre mémoire ? On n’en sait trop rien. Ils se contentent de partager notre quotidien et y laissent leur empreinte. Au détour d’une évocation on les retrouve. Ainsi, en ce qui me concerne, j’ai souvenir d’un couffin qu’enfant j’ai l’impression d’avoir toujours connu. Je vous parle de l’objet en vannerie servant à transporter les provisions et commun à tous les peuples du bassin méditerranéen et non pas du berceau pour l’enfant. Ce couffin, se distingue des deux ou trois autres que nous possédons car il est coloré, plus grand et plus beau. Ses anses en cuir sont solidement cousues aux épaisses bandes de paille tressée de ses flancs. Ses bords sont décorés de liens en raphia entrelacés rouge et bleu. Ce grand sac possède un traitement spécial. On lui tapisse le fond avec un morceau de toile cirée découpé à sa mesure et les bords avec du papier journal pour éviter de le salir. Les autres paniers étant du tout-venant, on droit à moins de précautions. Lui c’est le jeune premier des cabas.

Ce couffin, je m’y accroche quand j’accompagne ma grand-mère au marché de Bab-El-Oued. C’est celui dans lequel on dépose les fruits et les légumes un peu fragiles. Suivant les saisons, je le vois engloutir les poivrons à la peau tendue et vernie, les abricots dont les noyaux valent de l’or à mes yeux, les amandes avec parfois un peu de sève collante sur leur enveloppe verte et craquante, les savoureuses fèves fraîches dans leur cosse humide et duveteuse, les petites pêches de vigne au goût puissant, le succulent raisin muscat dont je dérobe systématiquement quelques grains, les clémentines odorantes et les oranges maltaises, au jus sanguin et doux. Il accueille le gigot du dimanche, les œufs frais de chez Kader et la charcuterie. Dans les autres on met les patates et les bouteilles.

Ce couffin participe à toutes les grandes expéditions familiales. Il nous suit à la plage ou nous accompagne en foret de Bahinem. Pour Pâques c’est lui qui transporte la « Mouna » cette brioche odorante avec son œuf dur au sommet. Quand il sort avec nous il est recouvert d’un beau torchon blanc pour protéger le pique-nique que nous lui confions. En général quand il est dans le couloir les réjouissances ne sont pas loin.

Sauf aujourd’hui! Le couffin se tient à son poste, près de la porte d’entrée, plein jusqu'à la gueule de bonnes choses toutes plus odorantes les unes que les autres. Mais il ne flotte pas une ambiance de fête dans la maison. Ce soir, c’est papa qui l’emmène. Il n’est pas habillé comme d’habitude. Il s’est mis en soldat avec de gros pataugas aux pieds. Faut qu’il aille faire « la territoriale ». Il achève ses derniers préparatifs. Un ami doit venir le chercher. En attendant, j’ai mis son calot sur ma tête et, à l’épaule, je porte mon fusil à flèche, celui de mon tir aux pigeons. C’est juste pour me déguiser un petit peu, je ne joue pas vraiment. J’observe ce qui se passe assis à la table de la salle à manger. Je sens bien que tout le monde est un peu triste et que maman est toute tourneboulée. Une fois encore, fébrilement, elle vérifie tout ce que papa emporte. On frappe à la porte. C’est le monsieur qui vient chercher papa. Lui aussi est habillé en militaire. J’ai rendu son calot à mon père. Il m’a soulevé pour m’embrasser en me disant d’être bien sage avec maman et mémé quant il n’était pas là. Il prend notre couffin et se charge de sa grande musette. Maman s’accroche à son bras. Elle descend avec lui pour ne pas perdre quelques minutes de sa présence.

Pendant ces quelques jours où mon père sera absent maman sera anxieuse. Matin et soir, l’écoute du bulletin d’information sur Radio-Alger se fera dans le plus grand silence. Notre poste radio est posé sur le bureau de mon père. Elle s’accoudera à un des cotés du grand plateau de bois, le plus près possible du haut parleur du poste. Les doigts de ses mains nerveusement entrelacés un peu comme quand on fait une prière. Attentive à chaque mot, elle ne se redressera qu’une fois le bulletin terminé, rassurée pour un court laps de temps. Puis, la sordide inquiétude la gagnera de nouveaux

Enfin, papa rentrera, maman sourira de nouveau. Cette fois-ci, je prendrai le calot militaire et je pourrai m’amuser. Tout rentrera dans l’ordre et le couffin rejoindra sa place au fond du placard de la cuisine.

Michel SUCH

Pour José Pace.

Je sais que passer par le site pour des messages persos c'est pas poli... Mais bon, j'ai peut-être retrouvé un petit-petit cousin. Alors... Ma grand-mère aussi était maltaise... Celle de la rue en impasse, près du garage Galéa et de la ferme des Muscat. Celle là même qui guérit de l'infite et des coups de soleil. Elle aussi est née à Alger en 1895. C'est une fille Borg et sa mère était une Pace. Ses frères gardaient des chèvres au-dessus du fanal de la Bassétta. Je dis gardaient parce que les chèvres ne leur appartenaient pas... Ne crois pas que les Maltais ne sont pas représentés sur le site. Ils s'y expriment librement. Y'a qu'à lire. Il n'y a pas de minorité. Les malta tchoucha y ont leur place. Les PN sont une grande communauté. Le métissage fait notre richesse. Ma grand-mère Borg-Pace devenue Tomani-Azzopardi, tu le devineras par mon grand-père, qui lui est né à La Valette, a eu quatre filles. Deux ont épousé des espagnols, une un italien et la dernière un arrière-arrière petit fils de déporté de la Commune? Alors tu vois, nous sommes tous un peu cousin? Un peu cousin de la cuisse gauche? Quand on demande à ma mère Maltaise qui a épousé un Espagnol « Tu es quoi toi ? » Elle répond toujours : « Je suis Algéroise de la Basséta » et elle rajoute après un temps :« Mais, mes parents étaient maltais ».

Salut COUSIN. Michel

Margot

Ma grand mère m'avait demandé d'écrire cela hier . Je le fais aujourd'hui à son grand Dam !!(c'est pas grave) .............................................................

Bab El Oued ! si tu savais combien j'aime ce coin d'Alger ... Ah, cettte cité de rêve ! un geste ... Un mot ... Une odeur ... en quelques fractions de seconde, le retour au passé dans ce coin de ville bercé par les flots bleus, entre Padovani et Raisville .. La Consolation, qui pourrait raconter les plus belles histoires d'amour ou d'amitié .. Tu comprends n'est-ce pas, que l'on ne peut oublier le fil de savie ? Couper ses racines, son vécu, c'est vouloir annihiler l'essence même de son existence qui a engendré l'aujourd'hui et grâce à quoi demain sera !

Les gens de Bab el oued ne se prennent pas pour les plus beaux et les plus forts. D'origine modeste, voire pauvre, ils ont appris à ne pas douter des véritables capacités de l'homme devant les difficultés de la vie . Mais non, ils ne sont ni colons, ni profiteurs, ni racistes, parce qu'ils ont reçu en héritage le poids des peuples opprimés et la force de faire face aux sarcasmes de ceux qui se disent au dessus des lois et des gens. Comme dit si bien Rose, à Bab el Oued, vit "le MOnde entier ". et bien oui, comment nommer autrement ces populations arrivées de tous les coins de la Méditerranée ? un peu Berbères, un peu Mozabyte, un peu Trurcs, une communauté juive peut être d'origine berbère vivant depuis des millénaires, un "chouya" de Francais fraîchement débarqués, d'Italiens, d'Espagnols, sans oublier les Alsaciens et les Libanais . J'ai bien dit, le Monde entier ! Mais ??? Tu me diras : Où sont donc les colonisateurs ? La réponse n'est pas semple parce que l'histoire même de l'Algérie ne l'est pas . Je vais metttre de côté, avec ta permission, les profiteurs de drame, les banquiers qui n'ont pas de nom, pour ne parler que de l'authenticité de l'Algérie de Bab el Oued, à savoir, le Peuple, le Petit Peuple . Leur façon de vivre ? Un tourbillon, une Explosion ! A chaque instant, une histoire se passe et la situation la plus banale prend allure de comédie ou tragédie, avec toute l'exagération ou le défoulement qu'on veut ou peut y mettre . Sous cette apparence se trouve un immense besoin d'amour, une sensibilité touchante, et le véritable respect d'autrui. Ils se moquent des autres comme ils savent se caricaturer pour ne pas rester en dehors des Algérois . Un flot de gestes et de paroles, des colères monstres ou énormes éclats de rire, ils vivent heureux et pleinement sans se soucier des regars sévères des habitants des rues Michelet et d'Isly qui demandent un peur plus de discrétion ..... etc ... etc .... ( on me dit que c'était déjà écrit mais je n'efface pas, tant pis ! Margot .

Pierre-Emile BISBAL

Le dernier.

Quand le dernier d’entre-nous partira, les mémoires partisanes se souviendront uniquement de ce qu’elles jugeront nécessaire aux thèses qu’elles soutiennent, aux arguments qu’elles défendent, aux sentiments qu’elles affichent. Nous serons utilisés comme des ombres indispensables au trompe-l’œil des décors dans lesquels nos vies passées, nos espoirs, nos réussites et nos erreurs seront mis en scène. On nous attribuera un rôle sympathique ou détestable suivant le personnage qu’on voudra bien nous faire jouer.

Quand le dernier d’entre-nous partira, plus aucune voix ne portera notre sentiment de vérité sur notre vie en ce bout de terre d’Afrique où la volonté du destin conduisit nos aïeux. Le chemin sera fait. Notre malheur engendré par de fracassantes et hypocrites déclarations se figera à jamais dans notre silence.

Quand le dernier d’entre nous partira, ceux auprès de qui nous avons trouvé écoute, aide et compassion et qui allèrent jusqu’au sacrifice suprême, verront aussi pâlir puis disparaître le souvenir de leur fraternel et extrême engagement. Ce sera pour eux une injuste seconde mort.

Quand le dernier d’entre nous partira, ceux pour qui nous incarnions le malheur qui les frappe seront surpris de constater que celui-ci ne disparaît pas avec nous. Si leur courage les autorise à regarder le malheur en face, ils constateront que son visage n’offre pas la moindre ressemblance avec les nôtres.

Quand le dernier d’entre-nous partira, le soleil marquera le zénith comme à son habitude. Les vagues n’arrêteront pas un seul instant de caresser le sable de la plage. Le Siroco s’obstinera à porter la chaude haleine du sud. Cela n’empêchera même pas la chute d’une aiguille de pin dans notre forêt méditerranéenne. Nous ne nous en offusquerons pas. Nous n’avons pas l’outrecuidance de penser que nous intéressons les Dieux.

Quand le dernier d’entre nous rejoindra que ce soit dans la glaciale obscurité du néant ou dans l’éblouissante et chaude clarté d’un paradis, nous lui ménagerons une place dans notre grand cercle afin qu’en rassemblant tous nos souvenirs, nous puissions continuer encore et encore à vivre et à faire vivre notre Algérie.

Alfred LANGLOIS (Freddy)

A tous les amateurs ou anciens joueurs de toupie :

Deux choses trés importantes après tout achat de toupie, et, avant de s'en servir IL FALLAIT IMPERATIVEMENT - premierement : couper la tete de l'engin et deuxiemement , enlever le guangui d'origine et le remplacer par un clou assez costaud (attention à la manoeuvre pour ne pas casser la toupie.)

La première opération était très importante car si en jouant avec une toupie qui avait "sa tete", vous touchiez un autre joueur, celui-ci avait le droit : soit de garder le jouet, soit de le fracasser avec un gros caillou (c'était en tout cas une régle dans notre quartier de la rue Léon Roches).

Le remplacement de gangui par un clou permettait d'avoir une toupie plus performante dans sa rotation et facilitait la pose de la guitane. Toujours pour question de facilité, nous mettions à l'extrémité de la guitane que nous tenions en main "un sou troué" arreté par un gros noeud.

Souvenirs, souvenirs.

Amitiès à tous. Freddy.

Pierre-Emile BISBAL

Une leçon.

C’est encore raté ! Le corps de bois heurte le sol en premier. Ma toupie, achetée ce matin, tournoie pitoyablement sur son ventre. Elle affiche les stigmates de ma maladresse et de mon inexpérience. Encore neuve, elle est déjà grêlée de chocs. Le trait de peinture rouge qui décore sa partie la plus renflée s’efface à plusieurs endroits. Avec persévérance, j’enroule la cordelette autour du corps de la toupie pour tenter un nouvel essai quand une voix me retient : -« Non, pas comme ça ! C’est pas bon !»

Devant l’entrée du kiosque, un vieux monsieur m’interpelle. C’est Vicente. C’est comme ça que j’ai entendu mon grand-père l’appeler au boulodrome. Depuis un moment, sous sa large casquette, il m’observe tout en surveillant son petit-fils qui fait du tricycle sur la place Lelièvre. Il vient vers moi et grimpe les marches du kiosque. Déjà deux ou trois autres enfants ont stoppé leurs jeux pour regarder ce qui ce passe.

- « Fais voir ta toupie. ».

Il tend sa main, la paume vers le haut et me fait signe de lui donner mon jouet en agitant ses doigts. Je m’exécute et je le préviens.

- « Elle marche pas bien.» Il examine la toupie et hausse les épaules.

- « Ahoua ! Tu racontes des « tchalefs », elle est bien cette toupie. C’est toi qui ne sais pas t’en servir !».

Doucement, il chausse des grosses lunettes marron qu’il tire d’un étui placé dans la poche de poitrine de sa veste. Précautionneusement, il enroule la cordelette autour de la toupie. Il a un petit sourire en coin en exécutant ce travail précis. Il tremble un peu . Je regrette de lui avoir confié mon jouet. Il va me l’abîmer c’est sur. Mon inquiétude grandit. Fataliste je me console en me disant que, de toute façon, cette toupie ne fonctionne pas. Elle doit être mal équilibrée ou alors le clou sur lequel elle est sensée tournoyer n’est pas bien affûté. A moins que ce soit la ficelle, trop courte ou trop longue. S’il la casse ce n’est pas bien grave.

C’est drôle une personne âgée avec une toupie dans la main. Un vieux bonhomme ça joue aux boules, au jacquet ou aux cartes espagnoles au café, mais pas à la toupie. Je suis persuadé qu’il va la jeter trop fort et qu’elle se fracassera sur le ciment du kiosque. Il a relevé un peu la manche de sa veste. En préparant son geste, il me prédit:

- « Tu vas voir comme elle marche bien ! ».

Il lance ma toupie si vite et si fermement que je n’ai même pas eu le temps d’être surpris. Elle atterrit sur sa pointe. Un instant, elle semble immobile, mais elle tourbillonne à toute vitesse. Son museau d’acier frotte sur le ciment, elle ronronne. Elle se déplace au grès des aspérités de la dalle. Le moindre obstacle la fait dévier de sa route. Elle demeure en équilibre pendant un long moment, puis, elle perd de la vitesse, fait quelques embardées comme si la tête lui tournait, deux petits rebonds et se couche sur le coté. Vicente ramasse la toupie et me la rend.

- « Tu vois, qu’elle tourne ta toupie. Mais tu n’enroules pas ta « guitane » comme il faut (Il n’a pas dit pas la ficelle il dit la « guitane ») et ton geste pour la lancer n’est pas bon ».

Il m’a montré comment bien mettre la « guitane ». Il faut que ce soit serré régulièrement autour du corps de la toupie. Pour le geste il m’explique que l’on fait comme si on voulait lancer un caillou pour un ricochet et vite ramener la main en arrière à toute vitesse pour dérouler la cordelette. A une des extrémités de la ficelle il fait une petite boucle qu’il me passe au majeur de la main droite.

- « Tu enlèveras la boucle quand tu sauras bien jeter ta toupie, sinon tes copains diront que tu envoies ta toupie « à la fille » ».

J’ai dit oui. Devant lui je fais un, puis deux, puis trois essais un peu lamentables mais je perçois que les choses vont mieux. A la quatrième tentative, la toupie tombe sur son axe. Elle tournicote maladroitement mais c’est un progrès qui me gonfle de fierté. Pour moi, l’espoir renaît. Je tourne mon regard vers mon mentor. Il a son pouce droit levé et il cligne de l’œil pour dire que c’est bien. Il appelle le gamin qui fait du vélo. Ils partent. Je vois s’éloigner mon professeur de toupie.

Toute la fin de l’après-midi je m’exerce consciencieusement en respectant les commandements de Monsieur Vicente : « Guitane » bien serrée régulièrement, geste sec. Maintenant je réussis à presque tous les coups et ma toupie ondule et virevolte comme il se doit. Alors, j’enlève la boucle autour du doigt et ça marche toujours. La prochaine étape c’est de pouvoir glisser mes doigts écartés sous la toupie quand elle tourbillonne et la récupérer sur la paume de ma main. Mais ça, c’est une autre histoire !

Annie SALORT

Mes Amis, mes frères et soeurs de Bab el Oued,

Née en 1948, j'avais 14 ans en 62 quand :

J'ai quitté MON PAYS, j'ai quitté MA MAISON - leurs souvenirs se réveillent bien après mon adieu ! (avec 2 valises comme la majorité d'entre nous)

Une chaîne dans l'eau a claqué comme un fouet !

Ce coup de fouet fait mal, trés mal encore aujourd'hui !

Mais le besoin d'y retourner était viscéral, alors après moultes réflexions

On l'a fait avec les 7 copains, baptisés les 7 nains, parce que nous étions redevenus tout petits 45 ans après.

Celà a été merveilleux dans les rires et les larmes, les émotions trop fortes, c'est beau un homme qui pleure devant sa rue, sa maison, son école, la tombe de ces ancètres.

C'est vrai que nous sommes accueillis de façon étonnante, entourés, surprotégés,

accompagnés, sécurisés . Des Bienvenues CHEZ VOUS à chaque pas, à tous les coins de rues. Mais voilà nous sommes repartis en notre Terre d'accueil, les laissant chez nous !!!

Alors, il faut admettre que certains ne veulent pas y retourner, il n'y a pas de haine à celà, surtout ceux qui ont perdu un être cher à cause de cette putain de guerre !

Il y a même des pieds noirs qui ne veulent, même plus entendre parler de retrouvailles et de rassemblement fraternel ! Il y en a qui ont déchiré la page sur l'Algérie.

Monsieur d'Alesio, vous n'avez pas besoin de faire de pub pour l'Algérie, on sait ce que l'on a perdu. Laissez à chacun le relent de leur émotion, de leur sentiment.

Merci Momo, Didine, Zakia pour votre merveilleux accueil, mais vous ne saurez jamais la douleur que nous éprouvons depuis 45 ans, d'avoir subit cet exil, ce déracinement, douleur et regrets qui ne s'éffaceront jamais, malgré

notre réussite en France et ailleurs

où nous sommes tous éparpillés. (La France ne nous ayant pas fait de cadeau)

Merci à Christian, par ce site, d'avoir le bonheur de se retrouver, d'évoquer nos souvenirs d'anecdotes, de rituels, de parfums, que l'ont aurait pu poursuivre et vivre tous ensemble dans NOTRE BELLE ALGERIE, NOTRE PAYS !

Toute ma tendresse à vous tous.

Annie

André TRIVES

Le marché de mon enfance:

J'habitais au n°4 de la rue des Moulins qui débouchait sur le grand marché couvert où chaque matin, sept jours sur sept, les ménagères du quartier venaient faire leurs emplettes pour préparer le repas du jour. Les menus étaient inpirés selon les approvisionnements découverts chaque matin et si la sardine était belle et à bas prix, on mangeait de la sardine frite, en escabètche ou en beignet. Le frigo n'existait pas encore et la glacière ne faisait pas de miracle, donc les produits frais s'achetaient en quantité suffisante pour le jour même, ce qui permettait aussi d'éviter les gaspillages.

Notre marché de Bab el oued avait une grande renommée; avec ses quatres portes orientées aux quatre points cardinaux, il voyait une foule compacte serpenter péniblement sur le périmètre où sous la chaleur étouffante de l'été, elle ressemblait à une cohorte de pénitents abjurant leurs péchés.

A l'intérieur d'un côté, se dressaient les étals de fruits et légumes, de l'autre les dalles de pierre recouvertes de poissons entourés de monticules de glace pilée; le tout parcouru d'allées perpendiculaires où il était difficile de se frayer un passage. Tout autour se situaient des magasins d'alimentation diverse: boucherie, charcuterie, triperie, fleuriste, volailler, marchand de salaisons, etc...

A l'extérieur, occupant toutes les rues adjacentes, des marchands côte à côte sur des étalages en bois, protégés d'un parasol de fortune, vantaient à haute voix la qualité de leurs produits: pastèques, melons, oranges, tomates, citrons, dont les couleurs en faisaient une palette éclatante sous le soleil d'été. Ah mes amis, quel marché ! On se serait cru dans un jardin enchanté où il était aussi intéressant de faire des bonnes affaires que de rencontrer des visages connus. Nos mères prenaient un infini plaisir à faire leur marché chaque matin, car il n'était pas rare qu'elles saluent presque toute la famille, la plupart des amis, et se trouvaient ainsi au courant avec des "tchatches" à ne plus en finir, des nouvelles heureuses ou malheureuses de la vie de tout le monde. La télévision n'existant pas, nos séries "téléruelles" se vivaient en direct sur notre scène méditerranéenne: la rue, en étant acteur et spectateur.

A l'aide d'un couffin dont la contenance était aussi utile que pesante, elles parcouraient les étals des marchand tenus pour la plupart par des Arabes de père en fils avec qui elles avaient des rapports depuis de nombreuses années car elles étaient clientes de mère en fille et savaient la confiance réciproque qui existait. Pour une pièce de vingt centimes, des enfants pas plus hauts que trois pommes: les "yaouleds" proposaient leurs services de ramener le lourd couffin jusqu'à la maison. Sans oublier, les petits cireurs, malins comme pas deux, qui place de l'Alma, s'agenouillaient pour reluire le cuire des chaussures et qui pour aider le polissage du cirage, ajouter discrètement un crachat de professionnel. Toutes ces scènes pittoresques animaient le marché et lui donnaient un caractère unique d'humanité où tout le monde avait sa place et duquel il se dégageait un sentiment fort, très fort: la simplicité.

A suivre... PROCHAINEMENT

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