Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

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André TRIVES

Le : 25/03/2012 16:33

J'apprends qu'un enfant de la rue du Roussillon, Jean Claude Bedjai, s'en est allé dans le monde des étoiles. Je ne le connaissais pas car né en 1937 et moi en 1941, nous n'étions pas de la même génération.

Mais cet enfant du quartier a fréquenté l'école de la Place Lelièvre et sans aucun doute, nous avons fréquenté ensemble cette grande institution qu'un de nos maîtres Monsieur Bensimon avait surnommée : l'Université de Bab el Oued. Parce qu'on y entrait au primaire à l'âge de 6 ans et qu'on y ressortait après le BEPC entre 16 ans et 17 ans, soit plus de 10 ans de fréquentation assidue, l'école Lelièvre était notre seconde maison. Parce que enseignants et élèves se côtoyaient et vivaient ensemble une vie commune depuis des générations, elle était notre deuxième famille.

Une chose est certaine, elle était un modèle d'éducation pour tous les parents. A la ténacité de former des têtes bien faites s'ajoutait un enseignement paternaliste non mentionné dans les programmes scolaires et qui rappelait inlassablement les principes et les valeurs à respecter pour nous préparer à affronter la vie. Il est vrai que pour s'en rendre compte réellement, il fallait l'avoir quittée définitivement. Je n'ai jamais oublié ces leçons de vie qui plus de cinquante ans après m'inspirent toujours et me font entendre la voix de nos instituteurs et institutrices nous répétant que dans la réussite il faut toujours s'armer de modestie, tandis que dans l'échec se résoudre à la persévérance. Le mérite n'était pas d'apprendre par coeur les leçons, mais surtout de les comprendre.

Ce sont toutes ces leçons de savoir et de savoir-être de nos maîtresses et de nos maîtres que je révise sur le tableau noir de ma mémoire comme si je devais passer un test de connaissances sous leur regard.

C'est le 1° octobre 1947, j'ai 6 ans, j'ai mis un beau tablier bleu et je m'apprête à ma première rentrée à Lelièvre accompagné de ma mère. Jean Claude lui a 10 ans, c'est un ancien pour moi, il se rend à l'école tout seul. Lui remonte la rue du Roussillon, moi la rue des Moulins, ensemble nous débouchons dans le brouhaha du marché. Il nous faut remonter la rue de Chateaudun. La pente est courte mais le cartable est léger en ce jour de rentrée. Nous laissons derrière nous le marché, ses odeurs, ses couleurs et les cris des poissonniers qui ventent à tue-tête l'arrivage de sardines sur les étals. La gouaille des vendeurs s'estompe dans notre dos.

Les retrouvailles avec ses copains se font autour du kiosque à musique. Sur la placette entourée de ficus, les parties de foot, de noyaux, de tchappes, de déraillés et de billes viendront en cours d'année. Il faut se dépêcher, la cloche a sonné. Vite, il faut passer chez " Coco et Riri " acheter une plume Sergent Major, un buvard et au passage un bonbon à 1 sou.

Les portes et fenêtres de l'école ont été repeintes en gris bleu. Nous grimpons les cinq marches, franchissons le hall en laissant le bureau du directeur Monsieur Nadal sur la gauche et la loge de la concierge sur la droite. Au mur, une plaque de marbre indique les enseignants morts pour la France au cours des deux guerres mondiales.

Les cris d'allégresse couvrent la cour de récréation. Dans quelques minutes, la sonnerie calmera tout ce petit monde. Seul le chant des oiseaux et d'une table de multiplication résonneront comme le coeur battant de l'école.

Mon cher Jean Claude, nous habitions à deux pas l'un de l'autre, nous ne nous connaissions pas, mais le fait d'avoir été à la même époque dans notre université de Bab el Oued, j'ai le sentiment qu'il existe entre nous une fraternité indestructible.

André TRIVES

L'école de la place Lelièvre: l'université de Bab el Oued

Parce qu'on y entrait au primaire vers l'âge de 6 ans et qu'on y ressortait après le BEPC entre 16 et 17 ans, soit plus de 10 ans de fréquentation assidue, l'école Lelièvre était notre seconde maison. Parce que maîtres et élèves se cotoyaient et vivaient ensemble une vie d'intérêt commun depuis des générations, elle était notre deuxième famille. Alors, vous dire que le surnom d'université de Bab el Oued qu'avait donné Mr BEN SIMON notre prof de français, pouvait lui conférer le titre de meilleure école du quartier, cela serait probablement présomptueux. Une chose est certaine, elle était un modèle pour moi où, à la ténacité de former des têtes bien pleines, s'ajoutait un enseignement paternaliste ne faisant pas partie des programmes scolaires et qui rappelait inlassablement les principes et valeurs à respecter pour nous préparer à affronter la vie.

Mais il est vrai que pour s'en rendre compte réellement, il fallait l'avoir quittée. Je n'ai jamais oublié ces moments de générosité intellectuelle qui nous étaient destinés comme si nous étions leurs propres enfants, et qui cinquante ans après m'inspirent toujours. J'ai toute ma vie, dans la réussite comme dans l'échec, entendu une voix venue de l'intérieur qui m'intimait à un rappel à la modestie ou à la persévérance. Le mérite n'était pas d'apprendre par coeur les leçons, mais surtout de les comprendre. Connaître la fable du laboureur c'était bien, comprendre la finalité de ce magnifique texte de Jean de La Fontaine, c'était mieux. C'est toutes ces leçons de savoir-être apprises sur les bancs de notre école que j'écris à la craie aujourd'hui sur le tableau noir de ma mémoire comme si je devais passer un examen devant mes maîtres et maîtresses réunis. Je voyage place Lelièvre...Que les souvenirs sont beaux...Je gravis les cinq marches de pierres usées, les murs, les portes et les fenêtres ont été repeintes en gris bleu durant les vacances d'été, je franchis le hall d'entrée, laissant sur la gauche le bureau du directeur et sur la droite la loge de la concierge, au mur une plaque de marbre commémore les enseignants morts pour la France au cours des deux guerres mondiales. Comme une déferlante, je fais partie de cette vague d'enfants sortis de "chez Coco et Riri " qui envahit la cour de récréation avec des cris d'allégresse, tentant d'évacuer l'ultime trop plein d'énergie; dans quelques minutes la sonnerie nous rappellera dans nos classes respectives et le calme reviendra. Pour l'instant la cour et le préau ressemble à des studios de cinéma où suivant l'âge des acteurs, on y tourne en virtuel Robin des Bois, le chevalier Ivanohé, Zorro ou le combat de Marcel Cerdan contre Tony Zale. Soudain, la sonnerie retentit, les cris et les rêves retournent à leur place jusqu'à la prochaine récré. Seul le chant monotone et saccadé d'une classe répétant la table de multiplication résonnera comme le coeur battant de l'école. Les récréations comme le nom l'indique sont faites pour se re-créer; ici, elles servent à vaincre: gagner des billes à tuisse, gagner une bataille de tchappes, gagner des noyaux à seven ou au tas, gagner une course, gagner à "tu l'as", gagner au chat perché, gagner au foot avec une boule de papier. Nous étions les inventeurs du slogan"la victoire est en nous".

Le rez de chaussée était occupé par le primaire, le premier étage par le secondaire et les escaliers qui y conduisent n'étaient accessibles qu'à ceux qui réussissaient l'examen d'entrée en 6°; alors vous imaginez la hantise séculaire pour tous ces enfants du primaire de pouvoir un jour accéder à l'étage des grands. Seuls les grands faisaient de la gym et du hand ball avec Mr ROMEO qui les amenait au stade Cerdan. Et ce n'était pas tout, le secondaire apportait des connaissances nouvelles qui excitaient la curiosité: l'algèbre, la physique, la chimie, l'anglais, l'arabe, la philosophie. Quand on quittait l'école après 10 ans d'habitudes confortables et protégées pour poursuivre au Collège Guillemin ou au lycée Bugeaud, c'était le grand désarroi, mais pour paraître un homme déjà, nous savions le dissimuler.

Avec les années écoulées, je garde à l'égard de nos enseignants un sentiment profond de respect. Alors qu'ils auraient pu quitter notre quartier populaire et trouver une affectation dans les beaux quartiers, ils restaient au service de Bab el Oued leur vie durant. Combien de fois, le jour de la rentrée, on entendait ce dialogue entre le maître et un élève:-" es-tu de la famille à un Ballester que j'ai eu il y a quelques années ?"-" oui, msieur, c'est mon grand frère."

On déclarait au début d'Octobre que l'année serait bonne ou mauvaise en fonction de la gentillesse ou de la sévérité qui habillait l'étiquette du maître que l'on avait. On grandissait avec eux, ils connaissaient tous nos défauts, ils savaient nous faire naître des qualités. Nous apprenions leurs us et coutumes de la bouche des anciens, et chaque année, une sorte de rapport biographique digne des Renseignements Généraux nous informait des comportements de chacun. Ainsi, par le rappel constant du passé mis à jour tous les ans, nous avions élaboré l'histoire de notre école qui se transmettait comme un trésor de famille. C'était émouvant et bien sympathique de voir un facteur, un agent de police ou un médecin de passage, interrompre le cours pour congratuler l'instituteur tout rayonnant de joie. C'était un peu grâce à lui si le petit galopin bavard mais studieux était devenu quelqu'un d'important.

De 1946 à 1958, l'école Lelièvre a été.............( Suite dans un prochain message)