Le : 20/12/2014 21:47

Noël de mon enfance

À l’approche de Noël, quand le froid picotait un peu les doigts de nos mains plongées profondément dans nos poches, quand l’automne déjà bien avancé dans l’année finissante, les commerçants situés dans l’avenue principale nommée avenue de la Bouzaréah qui traversait notre quartier de Bab el oued, décidaient de décorer leur vitrine de lumières clignotantes, de pères Noël et de guirlandes multicolores qui embrassaient les articles, cadeaux de Noël, exposés au premier plan de leur devanture.

S’il fallait classer ces devantures par ordre d’enchantement, dans mes souvenirs et malgré mon jeune âge à l’époque, je placerais le Monoprix, fierté de notre quartier, en tête de ce classement d’une part parce que sa vitrine illuminée était plutôt imposante de grandeur mais, de plus, toutes sortes d’articles y figuraient : les habits de fêtes, les poupées, les jouets, enfin tous les cadeaux que l’on souhaitait offrir ou recevoir à l’occasion de ce Noël.

Bien sur il y avait également les autres commerces, les plus petits qui voulaient et se devaient de marquer cette période festive. Je mettrais en bonne place dans ce classement le fameux « Discophone », ce grand magasin qui faisait angle de cette large avenue (large dans mon imagination!) avec la rue Barra. Sa vitrine était souvent alléchante, particulièrement à cette époque de l’année avec ses appareils électroménagers et surtout ses fameux tourne-disques de marque « Teppaz » qui ont marqué notre jeunesse, que mes frères, ma sœur et moi-même avons eu le bonheur de découvrir en cadeau avec notre premier 45 tours microsillon comme on disait, celui de Claude Luter, superbe trompettiste, accompagné d’André Révélioti dans une version de « Petite fleur ».

Les jouets des petits garçons les plus prisés étaient sans conteste les tricycles ou les vélos à quatre roues dont les deux petites roues latérales étaient démontables quand l’expérience de l’équilibre était acquise, les engins comme les voitures ou les avions qui fonctionnaient à l’aide de piles et étaient guidés par un petit volant à l’extrémité d’un câble gainé qui actionnait la direction des roues. C’était également ceux qui étaient le plus exposés en vitrine ou à l’intérieur du magasin. Dans mes vagues souvenirs, je crois bien que l’avion faisait parti d’un de mes premiers cadeaux de Noël offert par le comité des fêtes de la fabrique de cigarettes BASTOS où ma mère travaillait; je me revois dans la cour de notre immeuble, suivant mon avion sur une hypothétique piste d’envol avec les ampoules clignotantes sur la carlingue devant et derrière, en imitant le bruit des moteurs à hélices avec ma bouche.

Les jouets préférés des petites filles étaient, somme toute, les poupées. Poupées blondes, brunes, avec des belles robes amples et multicolores qui leur permettaient de tenir en position assise, également les baigneurs étaient prisés par les petites filles pour pouvoir jouer à la maman. Dans les vitrines de ces commerçants, à côté de ces poupées enchanteresses, on voyait souvent les dinettes en plastique avec leurs lots d’assiettes, de couverts, de gobelets et pour les plus complètes, les casseroles, théière et cafetière. Eh oui, fallait bien nourrir ces poupées tout de même!

Les grands, eux, préféraient les patins à roulettes de marque « Sprint », ceux qui étaient réglables en longueur avec leurs lanières de fixation en cuir et les roues de caoutchouc ou les trottinettes à pédale d’accélérateur devant et frein derrière ou même pour les plus veinards le vélo avec le guidon de course à la pépère. La grande classe quoi ! Ce qui avait le don d’énerver les commerçants et les piétons du quartier parce qu’il nous fallait de la place sur les trottoirs pour circuler et des cris pour s’exprimer!

Cette période de l’année était propice au chalandage dans cette avenue. En général la foule la remontait sur un trottoir et redescendait sur celui d’en face. Partout les lumières scintillaient, jusque dans les bars où les habitués préféraient la tchatche, l’apéro et la kémia au plaisir des yeux devant ces merveilles exposées !

Les parents et les enfants n’avaient pas les mêmes préoccupations les jours précédant Noël. Pour nous le souci permanent était de savoir si le Père Noël allait respecter nos désidératas, s’il avait bien compris la lettre que nous lui avons adressée quelques jours auparavant. On en avait parlé à l’école avec la maitresse. Elle nous avait bien expliqués, comme l’ont fait nos parents, comment le jouet allait venir garnir nos chaussons au près de la cheminé. Déjà l’explication ne s’annonçait pas très claire car nous n’avions pas de cheminé à la maison. Chez nous comme chez la plus part de mes copains, d’ailleurs. Malgré tout nous avions toujours fait confiance au Père Noël, alors……on espérait qu’il eut suffisamment de sous pour ne pas délaisser notre maison sur son parcours.

Le souci de ma mère tenait surtout dans l’organisation de ces fêtes : avec qui allons-nous les passer, où allons-nous les passer et surtout qu’allons-nous manger ! En ce qui nous concerne nous n’avions que deux endroits où passer nos fêtes : ici à la maison entre les quatre enfants et notre mère ou bien chez notre chère et adorée tante Vincente, une sœur de ma mère, où nous avons passé des moments inoubliables. À l’occasion de ces fêtes, ma mère avait une expression qui nous avait marqués et qui est encore d’actualité, elle disait toujours « Pour les fêtes on va jeter le bourricot par la fenêtre ». Dans son esprit cela voulait dire qu’on allait dépenser sans compter bien que nous n’avions pas trop d’argent à dépenser ! Bref, si chacun de nous avait ses préférences gustatives : volaille, poisson, viande, etc. il y avait pour nous les Espagnols, une nourriture traditionnelle incontournable sans laquelle Noël ne serait pas Noël : le TURRON (touron), nougat espagnol dur ou mou, spécialité d’Alicante, que nous allions chercher chez un petit fabricant Espagnol situé dans la petite rue Raspail, pas très loin de chez nous. Cet homme était également spécialisé dans la fabrication de fruits secs pralinés. Son local n’était ouvert que pendant la période des fêtes de Noël et c’était un immense plaisir pour les adultes et les enfants de passer devant, ça embaumait le sucre cuit, la praline quoi! Je me souviens que dans la pièce centrale de ce local était installée une grande cuve circulaire en cuivre, je crois, chauffée par le dessous et qui tournait sur un axe. Avec une sorte de palette en bois, le confiseur malaxait son mélange de fruits secs et de caramel à l’intérieur de cette cuve jusqu’à obtenir ses fameuses pralines ou son mélange de miel, blanc d’œuf, sucre et amandes pilées ou non pour la réalisation de son turron.

Notre quartier étant surtout habité de citoyens d’origine espagnole venus de la région d’Alicante avec quelques italiens du sud de ce pays alors, pas besoin de vous dire que tout nos actes et pensées étaient basés sur la religion. La religion chrétienne prenait une place prépondérante dans notre vie quotidienne et rythmait notre existence. Ai-je besoin de vous dire que pour notre population, Noël était un moment de grâce. L’église St Louis située juste derrière chez nous était notre lieu de réconfort et de prière. Chaque Noël une crèche était réalisée par la communauté chrétienne avec l’aide de notre curé nommé Jean SCOTTO je crois et une messe était dite la veille vers minuit autour de cette crèche. Bien que cet instant devait être un instant de paix et de plaisir, les femmes arrivaient coiffées de leur mantille, ce qui me désolais à chaque fois car j’avais le sentiment qu’elles étaient malheureuses dans la maison de Dieu.

Certaines familles assez aisées, celles qui avaient une voiture, car il y en avait tout de même dans notre quartier ouvrier de Bab el oued, profitaient de la proximité de la station de ski de Chréa située après Blida à une soixantaine de kilomètres d’Alger pour passer les fêtes de fin d’année. J’avais été invité une fois à passer une journée par les parents d’un copain de classe, j’avais été impressionné par la blancheur de la neige que je ne connaissais pas car je n’en avais jamais vu et l’aisance de ces skieurs à dévaler ces pistes après avoir atteint le sommet de la montagne à califourchon sur un tire fesses. Autour des années 55 les sports d’hiver n’étaient pas aussi développés que maintenant mais le plaisir devait quand même être intense. J’ai en tête l’image d’un très grand chalet au pied de ces pistes qui devait servir à abriter les voyageurs et ceux qui venaient y passer quelques jours de vacances afin de tenter d’oublier le tumulte de la grande ville.

Le temps passe, les souvenirs restent, surtout les bons car les mauvais, ceux qui ont gâché notre jeunesse, nous font encore si mal que, personnellement, j’ai tendance à les occulter. Parmi les souvenirs oubliés, ils en sont certainement qui avaient de l’importance dans notre existence à l’époque et faisaient parti de notre quotidien. Je veux parler de ces dates de vacances d’hiver. Je ne m’en souviens plus ni celles d’automne ni celles de printemps. Existaient-elles vraiment ? Je me rappelle seulement, si ma mémoire est encore bonne, que les grandes vacances, celles d’été, devaient durer trois mois et qu’après celles de Noël, c’est-à-dire d’hiver, nous devions reprendre le chemin de l’école « cagan’e tomaqués » comme disait ma mère, en abandonnant nos jouets de Noël à la maison. La nouvelle année commençait, le soleil et les beaux jours ne tarderont pas à arrivés. Vive les vacances!

Jean-Jean Moréno