ILS ETAIENT TOUS LA...

Hier 1° juin 2008, dès l'aube on vit s'amonceler anormalement de nombreux nuages menaçants à l'aplomb des platanes centenaires du Grand St Jean à Aix en Provence. Par cumulo-nimbus entiers ils avaient tenu à être présents à l'évènement devenu planétaire de leurs enfants nés à Bab el Oued comme eux-mêmes: ils n'auraient pour rien au monde voulu manquer la réunion annuelle de la fraternité du quartier de leur d'enfance. Une affection fraternelle de 178 ans mériterait à coup sûr de figurer dans le livre des records. Leur arrivée en nombre obstruât pour quelques temps le soleil emmêlé dans sa timidité. Les embouteillages assombrirent le ciel devenu maussade et un manque de place de stationnement contrariât l'enthousiasme de certains, seule la vue plongeante et imprenable leur faisait dire:" de là, je ne pourrais pas louper l'arrivée des miens". Le branle-bas de ces retrouvailles les avait fait se lever tôt, ils avaient hâte de se rencontrer eux aussi: familles, amis, voisins de l'immeuble et de la rue qui nous avaient quittés. Leur joie et leur excitation indescriptible de petit garçon devant un jouet de Noël leur faisait répéter:" Ensemble, elle était belle la vie chez nous."

Dans l'humidité ambiante, ils attendaient avec impatience de percevoir leur descendance sans être certain de les reconnaître. Le foulard et la casquette ne faisant plus partie de leur habillement, ils se réchauffaient en riant à gorge déployée en se rappelant les derbys de foot entre l'ASSE et le Mouloudia, entre le Gallia et le Red Star. Il faut préciser que parmi eux il y avait Marcel SALVA, Louis LANDI et bien d'autres champions qui avaient écrit les pages de gloire du foot de notre quartier. Puis les voitures arrivèrent en un flot ininterrompu jusqu'à perte de vue, de là-haut c'était impressionnant: par assauts successifs on les voyait s'étreindre à tour de bras dans la joie et les pleurs, ils se reconnaissaient après un moment d'hésitation et pointant un index accusateur, ils criaient:" Ooouuuiii, t'y es le fils de la concierge, ça fait 46 ans qu'on s'est pas vu, t'y as pas changé." C'était du délire, de l'indicible, du Bab el Oued, quoi !

Avec le soleil qui jouait à cache-cache et cette foule bigarrée qui s'agitait dans tous les sens, c'était pas évident pour nos anciens de retrouver les visages familiers atteints de calvitie ou de cheveux tous blanchis. Malgré l'émotion, ils avaient recours à la méthodologie du pifomètre: " C'est lui, c'est mon fils, il parle toujours avec les mains", " Je suis sûr que c'est lui, il a toujours crié en parlant, il voulait toujours avoir raison", " C'est pas possible comme il a grossi", " ça alors, la fille Bérenguer elle a fini par lui mettre le grappin dessus", " Regardes, celle là avec le couffin et la glacière, c'est ma fille et mes petits enfants, je suppose ! "

Au même moment l'encombrement de la circulation sur terre était aussi noir que là-haut, l'émotion des retrouvailles aussi émouvante sous les platanes que sur le promontoire vaporeux, on pleurait de partout: c'est à ce moment précis que des gouttes de pluie arrosèrent la campagne, soulevant pour un court instant l'affolement de leur progéniture. Il n'est de secret pour personne que la pluie a toujours gâché la fête, alors nos regrettés parents comprirent qu'il fallait vite rentrer pour ne pas ternir les réjouissances; eux aussi en leur temps avait fustigé et dédaigné les nuages et la pluie. Aussi, c'est la gorge étranglée de sanglots, le coeur silencieux de tristesse qu'ils résolurent de se quitter en se promettant de revenir l'an prochain pour retrouver ceux à qui ils avaient donné la vie. Mais cette fois-ci ils feront en sorte de trouver des véhicules moins contraignants: des nuages sans pluie pour rester plus longtemps. Comme un seul homme ils s'installèrent douillettement dans leur transport en suspension et s'en retournèrent là où d'ordinaire ils rêposent en paix. Momo et Lyas saluèrent Rolland ABISSEROUR et partir les derniers en direction des étoiles qui brillent sur les hauteurs de Bab el Oued.

Le soleil désormais participait à la liesse, on se pourléchait d'envie à la vue des pâtisseries aux amandes dégoulinant de miel, une colonne de fumée alléchante provoquait les appétits gloutons autour du brasero de merguez, le chant des Africains repris en coeur par la foule dressait une chair de poule collective, Franck, l'animateur fidèle, redonnait des joies endiablées sur la piste aux souvenirs avec des airs populaires,la fête battait son plein. Le président de l'ABEO Raymond PALOMBA pouvait être fier avec toute son équipe de bénévoles pour cette grande journée de communion amicale et fraternelle autour de ce mot magique: BAB EL OUED.

Que la vie perdure et s'écoule lentement, mais que cette réunion annuelle des enfants de Bab el Oued revienne vite, très, très vite...